Pour ce qui sera sans doute le dernier prix Busiris de l’année, l’Académie couronne encore un récidiviste, puisque M. Ciotti est honoré de son deuxième trophée.
Et comme pour son premier prix, le récipiendaire montre qu’il a du talent et qu’il est promis aux plus hautes marches du podium. C’est en effet un prix académique, et quasiment auto-suffisant qu’il signe.
Les propos récompensés ont été tenus sur l’antenne de RMC-Info le 22 décembre dernier. Le sujet abordé était celui du projet de loi LOPPSI 2, pour Loi d’Organisation et de Programmation Pour la Sécurité Intérieure 2, puisqu’une première LOPPSI a été votée en 2003 pour nous débarrasser de la délinquance. Avec le succès que l’on sait.
Plus particulièrement, c’était le sujet du funeste article 4 qui était abordé.
Cet article 4 a pour effet d’insérer un alinéa supplémentaire dans le célèbre et imbitable article 6 de la Loi pour la Confiance dans l’Économie Numérique, qui en effet n’en avait sûrement pas assez, alinéa qui disposera, s’il survit au Conseil Constitutionnel (croisons les doigts, chers concitoyens, qu’il y périsse !) :
« Lorsque les nécessités de la lutte contre la diffusion des images ou des représentations de mineurs relevant de l’article 227-23 du code pénal le justifient, l’autorité administrative notifie aux personnes mentionnées au 1 du présent I [i.e. les fournisseurs d’accès internet] les adresses électroniques des services de communication au public en ligne contrevenant aux dispositions de cet article, auxquelles ces personnes doivent empêcher l’accès sans délai.
« Un décret fixe les modalités d’application de l’alinéa précédent, notamment celles selon lesquelles sont compensés, s’il y a lieu, les surcoûts résultant des obligations mises à la charge des opérateurs. »
Ce que permet cet article, chers amis, est que l’autorité administrative, qui semble devoir être le ministre de l’intérieur, puisse rayer d’un trait de plume un site web “lorsque les nécessités (…) le justifient”.
— Non point me direz-vous, déjà soupçonneux, et c’est ainsi que je vous aime. La loi dit bien “les nécessités de la lutte contre la diffusion des images ou des représentations de mineurs relevant de l’article 227-23 du code pénal le justifient”. C’est donc de la lutte contre la pédophilie dont nous parlons, Sainte Cause justifiant une Sainte Croisade et que diantre, personne ne va aller pleurer sur le sort de webmestres de tels sites.
Certainement pas, en effet. Ce qui me chiffonne et devrait chiffonner tout républicain est que la cause n’est ici invoquée que comme mesure marketing. Car si vous lisez bien le texte, c’est l’autorité administrative et elle seule qui décide de bloquer l’accès à un site qu’elle juge elle même comme contraire à la loi. Et en l’espèce, à la loi pénale. Les FAI ne peuvent qu’obtempérer à l’ordre de bloquer telle adresse. Aucune procédure préalable n’est prévue (et notamment pas d’intervention d’un juge pour s’assurer que le site relève bien d’un délit pénal), aucun recours non plus, si ce n’est le recours en excès de pouvoir de droit commun (qui se juge actuellement en 4 ans à Paris). J’ajoute qu’en outre, cette mesure sera inefficace, puisque le commerce de ces images passe en grande partie par des canaux bien plus discrets qu’un site accessible en tapant une URL (en supposant que l’autorité administrative pense à faire bloquer aussi l’adresse IP du site).
On se souvient que des sites aussi innocents que Wikipedia se sont déjà vus catalogués comme pédophile pour héberger des dessins du domaine public, vieilles d’un siècle.
Par principe, je n’aime pas mettre dans les mains d’un ministre un pistolet chargé avec comme seule garantie la promesse qu’il ne me tirera pas dessus. On s’est assez battu contre les ciseaux d’Anastasie pour les laisser revenir sous un prétexte se voulant vertueux, tellement vertueux qu’il ne serait pas nécessaire de l’assortir de garanties.
Mais revenons-en à notre prix.
À la grande surprise des députés du tout-sécuritaire, l’épouvantail du pédophile n’a marché que modérément, voire pas du tout. C’est le mot censure d’État qui semble avoir retenu l’attention. Et le pauvre Éric Ciotti a dû prendre son bâton de pèlerin pour aller expliquer que non, ce n’est pas de la censure.
Sauf que forcément, comme c’est de la censure (pardon, du filtrage, comme Louis XIV filtrait les livres qu’on pouvait imprimer), il a un peu de mal. Ce qui crée un terrain favorable au Busiris. Il suffisait d’attendre.
C’est donc chose faite avec cette magnifique démonstration. Elle est formidable. Ramassée en moins de trente secondes, l’aberration juridique est manifeste, et a qui plus est le caractère contradictoire qui révèle si souvent le Busiris.
Écoutez vous-même (attention, le son est un peu fort).
Transcription :
Et puis je voudrais dire à M. Zimmermann [Jérémie Zimmermann, Fondateur et porte-parole de la Quadrature du Net, invité ce matin là de RMC - NdA] aussi que consulter des images pédopornographiques relève d’un délit ; c’est un délit pénal. Télécharger des images pédopornographiques, c’est un délit pénal. Émettre des images pédopornographiques, c’est un délit. Donc c’est pour cela qu’on n’a pas mobilisé un juge ; parce qu’on nous fait la critique que le filtrage il sera par une autorité administrative.
Eh oui. Puisqu’il s’agit d’un délit, pourquoi diable mobiliser un juge ? Si on avait besoin d’un juge en matière pénale, ça se saurait. Il y aurait même des tribunaux pour ça.
Rappelons que c’est l’office du juge, et de lui seul, de dire le droit, de qualifier juridiquement, de dire si tel acte est ou non un délit. Seul un jugement peut mettre fin à la présomption d’innocence en disant un délit constitué. C’est là le rôle du pouvoir judiciaire.
Éric Ciotti réussit ainsi, sans échauffement (mais on me dit qu’en fait, il serait toujours chaud), à prendre la raison d’être du juge pour justifier qu’on se passe de lui, piétinant au passage la séparation des pouvoirs. Quand on sait qu’en l’espèce, c’est un député, membre du législatif, qui justifie que l’exécutif empiète sur le judiciaire, on se dit que ce prix Busiris mérite la mention Haute Trahison.
L’opportunité politique est caractérisée par le fait qu’Éric Ciotti est rapporteur du texte à l’assemblée nationale et qu’il a tout à perdre d’un revers, et tout à gagner en associant son image à la politique sécuritaire du Gouvernement. La mauvaise foi est signée par la contradiction du propos, qui vu l’heure matinale a dû être tenu à jeun.
L’Académie pleurant les outrages subis par la liberté, aucune festivité n’accompagnera ce prix. Fleurs et couronnes acceptées.