Par Dadouche et Gascogne
Tribunal de Framboisy, audience correctionnelle à juge unique du 35 mai 2013. L’huissier appelle : “Dossier 15, Rabachon Michel et Michu Jocelyne épouse Rabachon”.
Un couple s’avance à la barre. Il n’est pas très à l’aise, elle est manifestement un peu remontée. Après la vérification d’identité, la présidente entonne son couplet : “Vous comparaissez aujourd’hui tous les deux devant ce tribunal car il vous est reproché de vous être, à Framboisy, courant 2011, soustrait, sans motif légitime, à vos obligations légales, au point de compromettre la moralité de votre enfant mineur Matthieu Rabachon, en l’espèce en ne prenant pas les mesures appropriées pour lui faire respecter les obligations fixées judiciairement par le jugement du tribunal pour enfants de céans du 13 janvier 2011, infraction prévue et réprimée notamment par l’article 227-17 du Code Pénal”. Il se renfrogne, elle commence à protester. La présidente l’interrompt : “Madame, je vais d’abord rappeler les faits tels qu’ils ressortent de la procédure et des éléments transmis par le tribunal pour enfants, vous pourrez ensuite vous expliquer”.
La présidente résume le parcours judiciaire et familial de Mathieu. Tout commence par des problèmes de comportement en milieu scolaire, dès la fin de l’école primaire. Ses parents le font suivre par un psychologue, sans résultat. Le juge des enfants est finalement saisi en assistance éducative après son exclusion du collège à la suite d’insultes envers un professeur et d’absences non justifiées. Le rapport d’investigation et d’orientation éducative souligne des incohérences éducatives entre les parents, entre une certaine rigidité de la mère et un plus grand laxisme du père, qui est peu présent et “achète” sa tranquillité quand il est là en cédant facilement à ses enfants. Matthieu est intelligent et réussit plutôt scolairement quand il ne perturbe pas les cours (et quand il y va…). La situation se tend au domicile et Matthieu commence à réagir avec violence aux tentatives de sa mère de maintenir des règles. Après trois portes cassées, un canapé mis en lambeaux et une perquisition des gendarmes à la suite de vols d’autoradios commis avec des copains plus âgés, le père prend la mesure du problème et décide de “reprendre les choses en main”. Il déclare forfait quand Matthieu, avec lequel il avait une relation plutôt chaleureuse quand il ne lui refusait rien, l’insulte à la moindre frustration . Parallèlement, le juge des enfants est saisi des procédures pénales et ordonne une mesure d’aide réparation puis une mesure de liberté surveillée. Après que Matthieu a menacé sa mère et son frère avec un couteau parce qu’on lui refusait de sortir un soir, un placement est décidé dans une Maison d’Enfants à Caractère Social (MECS), qui accueille des adolescents en petit collectif. Les parents, au bord du divorce, pensent pouvoir souffler un peu . Ils ont la surprise, au bout de quelques jours, de voir Matthieu arriver pour dîner comme si de rien n’était, décrétant qu’il est hors de question qu’il reste au foyer où on prétend lui interdire de téléphoner à sa copine à minuit passé. Les parents, qui ont en mémoire les propos du juge des enfants qui leur a doctement expliqué que Matthieu a besoin d’un cadre que seuls peuvent désormais lui apporter des professionnels, appellent aussi sec le foyer, qui envoie un éducateur chercher l’ado récalcitrant. Au bout d’une dizaine de fois, le foyer n’envoie plus personne, l’Aide Sociale à l’Enfance demande au juge des enfants la mainlevée du placement et les parents commencent à trouver que les professionnels ne sont pas bien doués. Le juge des enfants résiste un peu mais doit déposer les armes quand le foyer refuse d’accueillir à nouveau le jeune, qui se montre violent avec les autres gamins accueillis, et que l’ASE fait savoir qu’elle n’a aucune structure actuellement capable d’accueillir Matthieu.
Retour chez Papa-Maman, qui se braquent contre les éducateurs et le juge des enfants “qui ne savent pas mieux y faire qu’eux”. Matthieu sort quand à lui renforcé de cet intermède et nargue ses parents à chaque occasion, particulièrement le jour où son père, à bout, est sur le point de le frapper et où la prunelle de ses yeux le menace d’aller porter plainte à la gendarmerie. Les parents baissent les bras et se contentent de tout faire pour éviter que le jeune tyran ne s’énerve. Jusqu’à son interpellation au petit matin, au volant d’une voiture volée. Matthieu est déféré devant le juge des enfants, qui souhaiterait le placer en Centre Educatif Fermé (CEF). Matthieu a en effet 15 ans et demi et n’a fait l’objet de poursuites “que” dans trois affaires (les autres procédure dans lesquelles il est impliqué ne sont en effet pas encore parvenues au Parquet). Une détention n’est évidemment pas envisageable, ni juridiquement ni en opportunité, mais un cadre ferme est indispensable. Manque de chance, ou plutôt manque de place, aucun des 12 CEF contactés en urgence par les éducateurs de permanence de la Protection Judiciaire de la Jeunesse ne peut accueillir Matthieu dans l’immédiat. Peut être plus tard… En attendant, on dégotte miraculeusement une place dans un foyer de la PJJ à Ponponville[1]. Matthieu est placé sous contrôle judiciaire avec obligation de respecter le placement, sans retour chez ses parents le week-end pour l’instant. Le vendredi soir il sonne chez ses parents, qui appellent le foyer. Mais Ponponville c’est loin, c’est vendredi soir, les éducateurs ne se déplaceront pas. Les parents, qui ne voient pas comment faire rentrer de force leur Tanguy nouvelle manière dans la voiture familiale, baissent les bras et attendent la fin du week-end. Le lundi matin, l’éducateur de la PJJ qui suit Matthieu à Framboisy vient le chercher et réussit à le convaincre de monter dans la voiture. Il en sautera quasiment en marche quelques centaines de mètres plus loin. Dans le même temps, le foyer de la PJJ fait savoir que le jeune “se met en danger et met en danger les autres” (il a déjà provoqué trois bagarres en une semaine) et demande la mainlevée du placement “le jeune ne correspondant pas au projet de l’établissement”.
Retour à la case départ, et toujours pas de place en CEF. Matthieu est condamné par le Tribunal pour enfants à une peine de deux mois d’emprisonnement avec sursis et mise à l’épreuve, assorti d’une obligation de formation, de soins psychologiques et de respect du placement en CEF qui sera ordonné dès qu’on aura une place. Deux mois plus tard, Matthieu est toujours désœuvré (il ne s’est plus levé au bout de deux jours pour aller au stage que son père lui avait trouvé). Il a ricané quand on lui a parlé d’aller voir un psychologue, et ses parents envisagent de mettre le petit frère en internat pour le protéger. Matthieu, qui semblait avoir compris qu’il valait mieux se tenir à carreau, ne commet plus d’infraction jusqu’à un nouveau vol de voiture avec course-poursuite avec les gendarmes. Cette fois on trouve une place en CEF, où il est expédié manu militari. Il sera plus tard incarcéré après avoir fugué du CEF et commis de nouveaux faits.
C’est pour la période de quelques mois durant lesquels Matthieu était au domicile de ses parents sans respecter l’obligation de formation et soins, et qui s’est soldée par son départ effectif en CEF, que Michel et Jocelyne sont poursuivis. Les gendarmes ont en effet noté dans le PV de synthèse de cette procédure que la famille “a montré depuis des années un grand laxisme face aux dérives de leur fils, bien connu de nos services”. On lit entre les lignes que les militaires ont peu apprécié les réflexions de Michel qui lors d’une première procédure pour des dégradations sur la commune, leur avait en substance reproché de ne pas plutôt s’occuper des trois cambriolages qui venaient de se produire à côté de chez lui. Le substitut de permanence, emporté par son élan et agacé d’avoir du passer un week-end entier à gérer l’interpellation de Matthieu, décide, ne connaissant de la situation que ce que l’OPJ lui en a dit, qu’il n’y a pas de raison de ne poursuivre que le mineur et qu’il va faire application du nouveau texte qui permet de poursuivre les parents. C’est forcément de leur faute, ils sont laxistes.
La présidente interroge Jocelyne et Michel : pourquoi n’ont-ils pas sollicité une aide éducative dès que Matthieu a rencontré des difficultés de comportement en milieu scolaire ?
Jocelyne lève les yeux au ciel et se tourne vers Michel : “Vas y toi, explique…”. Et Michel, reprenant courage, commence : “Pour ce que ça sert les éducateurs…”. L’air exaspéré de Jocelyne l’arrête net. il reprend : “je pensais que les éducateurs c’était pour des cas plus graves, je ne trouvais pas que c’était bien méchant, moi aussi j’étais un peu chahuteur. Et puis les professeurs l’avaient dans le nez”. Soupir excédé de Jocelyne. Michel reprend : “C’est vrai que je ne me suis pas rendu compte au début, j’ai voulu tout faire pour mes enfants, j’ai été trop gentil et ça se retourne contre moi. On a des milliers d’euros de dommages et intérêts à payer, on a failli se séparer, et maintenant on est là.”
La présidente reprend : “Je vois dans les rapports des différents services éducatifs et dans les décisions du juge des enfants que Matthieu a souvent profité de certaines incohérences entre vous”. Jocelyne, de plus en plus agitée, prend la parole : “Les services et la juge, ils écrivent bien ce qu’ils veulent, ils n’y étaient pas. Matthieu a toujours été un enfant dur, il fallait toujours le surveiller et le punir.” Se retournant vers son mari : “c’est vrai aussi que tu ne m’as jamais beaucoup soutenue quand tu étais là”. Michel lui répond “quand je rentrais on ne pouvait jamais rien faire parce que Matthieu était puni pour quelque chose. Dès que tu étais agacée par quelque chose, c’était de sa faute”.
La présidente, qui voit la petite aiguille de l’horloge monumentale de la salle d’audience se rapprocher dangereusement du VIII et qui sait qu’il reste encore 4 dossiers, tente de recadrer le débat sur la période des faits poursuivis : “Enfin quand même, il semble qu’avant de partir au CEF, Matthieu faisait ce qu’il voulait à la maison”. Jocelyne, piquée au vif, lui répond : “Vous croyez que ça nous plaisait ? Tout ce qu’il a appris dans les foyers, c’est des insultes et des menaces. C’était invivable à la maison, j’en étais venue à avoir peur de mon fils”. Elle s’arrête net, s’effondrant en sanglots. Elle reprend : “Et une fois au CEF, vous croyez que ça a été mieux ? C’est après le CEF qu’il est parti en prison ! Et ça va encore être de notre faute, comme si la juge des enfants ne nous l’avait pas assez seriné pendant les audiences du Tribunal pour enfants”. La présidente tente plus prudemment “Mais ces difficultés ne sont pas venues en un seul jour, et les services éducatifs ont tenté de vous expliquer qu’il fallait être plus ferme”. Pour toute réponse, Jocelyne lève les yeux au ciel. Michel tente timidement “Le jour où j’ai failli lui mettre une gifle pour le calmer, il a voulu aller porter plainte ! Comment voulez vous qu’on fasse alors que même les éducateurs n’y arrivent pas ?” Jocelyne enchaîne “Dans les foyer, ils font ce qu’ils veulent ! Au début, on a joué le jeu, on les prévenait chaque fois qu’il rentrait, ils ne venaient même plus le chercher. Quand la juge nous a dit que le placement était levé, alors que devant nous elle et le Procureur lui avaient dit qu’il partirait en prison s’il fuguait, qu’est ce qu’on pouvait faire ?”.
La président, qui a été juge des enfants dans une autre vie, bafouille quelques chose sur “le manque de place dans les foyers” et, après avoir demandé à Jocelyne et Michel s’ils ont quelque chose à ajouter, donne la parole au Procureur.
Le procureur se lève, excédé par le déroulé des débats, non pas que sa collègue du siège ne les ait pas bien tenus (encore que, si on l’écoutait ne serait-ce qu’un peu lors des assemblées générales…), mais par le discours des parents :
“Madame le président, j’ai toujours quelques difficultés à entendre à l’audience des parents vous dire que, finalement, si leur enfant a fait tout et n’importe quoi, c’est nécessairement à cause des éducateurs qui ont moins bien fait leur travail qu’eux, du juge qui n’a rien compris à la souffrance de leur enfant, ou encore des institutions qui n’ont pas donné la place adéquate à leur rejeton. Que les choses soient claires dans l’esprit de M. et Mme Rabachon, si quelque chose à échoué au niveau de la prise en charge éducative de Matthieu, c’est bien d’abord vers ses parents qu’il faut se retourner.
Et je ne néglige pas, bien évidemment, les difficultés auxquelles ils ont été confrontées. Mais si leur fils a bien fait “ce qu’il voulait” en foyer, c’est d’abord parce que, à la base, il faisait ce qu’il voulait au foyer parental.
Alors qu’a bien pu tenter la société, que je représente à cette audience. Elle a d’abord limité en bons d’achat les allocations qu’ont touchées M. et Mme Rabachon lors de la rentrée scolaire de leur fils, au cas où ceux-ci auraient préféré acheter un écran plat plutôt que des cahiers et des crayons. Et comme cela n’a pas été suffisant, il a bien fallu passer au stade supérieur. Ainsi, la représentation nationale a souhaité que les parents qui n’acceptaient pas que leur rejeton soit sous contrôle de la justice, et qui n’obligeaient pas leur enfant à respecter ses obligations judiciaires, soient sanctionnés. Le député Ciotti, après avoir lutté contre l’absentéisme scolaire, a-t-il proposé à l’assemblée nationale de punir de peines allant jusqu’à deux ans d’emprisonnement les parents dont les enfants ne respecteraient pas leurs obligations. Un parent ne doit-il pas en effet être responsable du comportement de sa progéniture ?
J’entends déjà les oulémas des droits de l’homme vous dire que la responsabilité pénale ne saurait être que personnelle. Et après ? La représentation nationale n’est-elle pas en droit de modifier les règles ? Il existait bien une époque où le groupe était responsable du comportement de l’un de ses membres. La répression des Hooligans nous a bien démontré que cette responsabilité collective était une bonne chose. Les parents ne peuvent dés lors qu’être pénalement responsables du comportement de leurs enfants.
Je ne reviendrai dés lors pas sur la constitution de l’infraction, et son imputabilité. Matthieu n’a en rien respecté ses obligations judiciaires, ses parents ne l’ont en rien obligé à s’y conformer, comme nous avons pu le comprendre lors de leur déposition à la barre de votre juridiction. Vous ne pourrez dés lors qu’entrer en voie de condamnation.
Je me pose cependant la question de l’implication des autres membres de la famille de Matthieu. En effet, si les parents n’ont pu le forcer à respecter ses obligations, qu’en est-il de ses grands-parents, tant paternels que maternels, habitants Framboisy ? Et que dire des oncles et des tantes, substituts paternels et maternels, qui habitent également la même ville ? Je compte sur la jurisprudence de votre juridiction pour démontrer que nous pouvons aller encore plus loin dans la responsabilité familiale.
Devrais-je d’ailleurs, peut-être dans le sens de la défense, aller jusqu’à exiger que soit mise en cause la responsabilité des services sociaux, et pourquoi pas du juge des enfants, qui n’ont su, pas plus que les parents, encadrer ce jeune délinquant ?
Je n’irai bien sûr pas jusqu’à mettre en cause la société elle-même, qui n’a pas su empêcher Matthieu de persévérer dans son parcours délinquant. Puisque je la représente, je me verrais dans l’obligation de m’accuser moi-même, ce qu’aucune convention internationale portant sur la procédure pénale n’admet.
Et puis, il faut savoir s’arrêter quelque part dans la recherche de responsabilités.
Reste à savoir quelle peine infliger à M. et Mme Rabachon, leur culpabilité ne faisant aucun doute.
Je ne vous apprends rien en affirmant que la peine que vous prononcerez se doit d’avoir un caractère pédagogique. Qu’en outre, elle doit permettre d’éviter la récidive. Qu’enfin, elle se doit de favoriser la resocialisation des condamnés. Alors quoi de mieux, leur casier ne portant trace d’aucune condamnation, qu’une peine alternative à l’emprisonnement. Et particulièrement d’un stage de parentalité, qui va enfin leur apprendre comment éduquer un enfant.
Car je reste intimement persuadé que l’échec éducationnel de ces parents pourra être compensé par deux journées de ce stage mis en place par l’État, qui leur apprendra comment éduquer un enfant. A leur frais. Enfin.
Il me semble évident qu’élever un enfant, cela s’apprend.
Et ce sera justice[2].