Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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vendredi 23 juillet 2010

vendredi 23 juillet 2010

Profitons de notre liberté avant qu'elle n'expire

Le Gouvernement, qui n’a visiblement rien de mieux à faire de ses journées (Quelle crise ? Quelles affaire ? Où ça, une guerre en Afghanistan ?) a aujourd’hui décidé de rétablir une infraction de blasphème.

Le décret n°2010-835 du 21 juillet 2010 relatif à l’incrimination de l’outrage au drapeau tricolore est publié aujourd’hui au JO, et incrimine d’une contravention de 5e classe (1500 € d’amende max, 3000€ en cas de récidive)

le fait, lorsqu’il est commis dans des conditions de nature à troubler l’ordre public et dans l’intention d’outrager le drapeau tricolore :

1° De détruire celui-ci, le détériorer ou l’utiliser de manière dégradante, dans un lieu public ou ouvert au public ;

2° Pour l’auteur de tels faits, même commis dans un lieu privé, de diffuser ou faire diffuser l’enregistrement d’images relatives à leur commission.

Rappelons que cette loi indispensable est due uniquement à la photo ci-dessus, primée lors d’un concours de photographie de la FNAC de Nice sur le thème du politiquement incorrect. En effet, aucune loi ne permettait de punir cet artiste pour son oeuvre, vous réalisez le scandale : on se serait cru dans, horresco referens, un pays de liberté, du genre de celui qui écrirait ce mot sur le frontispice de ses bâtiments publics.

Déjà, depuis 7 ans, depuis la loi du 18 mars 2003 sur la Sécurité intérieure, un article 433-5-1 du Code pénal réprime le fait, au cours d’une manifestation organisée ou réglementée par les autorités publiques, d’outrager publiquement l’hymne national ou le drapeau tricolore. Cet abominable attentat est puni de 7500 euros d’amende (c’est donc un délit), et même de six mois de prison s’il est commis en réunion, c’est à dire par au moins deux personnes agissant de conserve. Là aussi, c’était une loi de circonstance, destinée à réagir suite à la présence de Jean-marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle aux sifflets ayant résonné lors de la Marseillaise du match “amical” de football France-Algérie du 6 octobre 2001.

Avec l’efficacité que l’on sait.

Et à l’époque, le Conseil constitutionnel avait précisé que les oeuvre de l’esprit devaient être exclues du champ de cet article, et que le terme de manifestation réglementée s’entendait restrictivement aux manifestations publiques à caractère sportif, récréatif ou culturel se déroulant dans des enceintes soumises par les lois et règlements à des règles d’hygiène et de sécurité en raison du nombre de personnes qu’elles accueillent (Décision n° 2003-467 DC du 13 mars 2003, §104)

Alors puisque ce gouvernement aime les lois, dans le sens où un pédophile aime les enfants, je voudrais juste lui en rappeler quelques unes.

Il s’agit de trois articles de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, déclaration qui figure, sans doute à la suite d’un moment d’égarement, dans notre Constitution.

Article 4 - La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi.

Article 5 - La loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas.

Article 11 - La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi.

Que faire face à cela ?

Le décret peut être attaqué dans le délai de deux mois devant le Conseil d’Etat. Le recours n’a que peu de chance d’aboutir, car il y a gros à parier que le Gouvernement a suivi les recommandations dudit Conseil consulté sur le projet de décret. Et pour porter l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme, il faut que cette loi soit appliquée, c’est à dire qu’une personne soit poursuivie. Et je n’imagine pas un procureur en France qui trouvera qu’un tel outrage mérite autre chose qu’un rappel à la loi, et encore s’il est de mauvaise humeur.

En attendant, le décret est paru au JO aujourd’hui. Il entre donc en vigueur ce soir à minuit (art. 1er du Code civil) et ne peut s’appliquer à des faits commis avant son entrée en vigueur (art. 112-1 du Code pénal)

Outrage à une poubelle, anonyme du XXIe siècle

Je vous invite donc tous à profiter de votre liberté avant qu’elle ne disparaisse. Outragez un drapeau et publiez la photo avant minuit. Au douzième coup, une partie de votre liberté d’expression se transformera en citrouille.

Et à tous les patriotes qui viendront me dire que la liberté d’insulter le drapeau ne mérite guère de protection et que la face du monde ne sera pas changée par ce décret, je rétorquerai qu’il n’y a pas de liberté d’insulter le drapeau : il y a la liberté, point. Et que c’est un bout supplémentaire qu’on rabote, sans que rien ne le justifie, si ce n’est la volonté de bomber le torse et de se frapper la poitrine comme un Oran-Outang face… à une exposition de photographes amateur dans un grand magasin de Nice. Est-ce de cela que vous acceptez de laisser dépendre votre liberté ? Trouvez-vous normal que l’Etat, dont le rôle est de défendre votre liberté, vous interdise d’ne faire usage parce que ça colle bien avec sa communication électorale ? La face du monde ne sera pas changée, non, mais la surface de votre liberté, oui. Tout le monde n’est pas obligé d’avoir une mentalité de valet.

Le mot France, étymologiquement, veut dire “le pays des hommes libres”. Je suis pour interdire tout outrage à ce nom par l’Etat.

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