Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mercredi 23 juin 2010

mercredi 23 juin 2010

Et si pendant la coupe du monde, on légalisait le financement occulte des partis politiques ?

Un lecteur attentif aux choses du parlement attire mon attention sur la proposition de loi n°268 du sénateur Bernard Saugey (UMP - Isère) “visant à réformer le champ des poursuites de la prise illégale d’intérêts des élus locaux” et qui vient à la séance publique du jeudi 24 juin à 9 heures.

Cette proposition de loi est fort courte, ce qui promet des débats brefs, d’autant qu’aucun amendement n’a été déposé.

Elle se propose de modifier légèrement la définition du délit de prise illégale d’intérêt (art. 432-12 du Code pénal) :

Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou par une personne investie d’un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement, est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75000 euros d’amende.

Ce n’est pas l’article le mieux rédigé du Code pénal. Il réprime le fait pour les élus, et les fonctionnaires et assimilés, qui sont cette qualité en charge la gestion ou la surveillance de fonds publics, de faire sen sorte qu’une partie de ces fonds profite à eux, à leurs proches ou à toute personne qu’ils souhaitent ainsi favoriser. Par exemple, un président de conseil général qui fait embaucher son épouse pour une obscure mission fort bien rémunérée commet une prise illégale d’intérêt au profit de son épouse.

Ce n’est pas le détournement de fonds publics (art. 432-15 du Code pénal), plus sévèrement puni (10 ans de prison et 150 000 euros d’amende), qui est plus brutal : l’élu tape dans la caisse et se met l’argent dans la poche. La prise illégale d’intérêt s’inscrit dans le fonctionnement normal de l’institution, mais le choix fait par l’élu n’est pas totalement (voire pas du tout) fait dans l’intérêt général, il est pollué par des considérations extérieures de l’élu. Faire réparer un nid de poule dans une rue de la commune est conforme à l’intérêt général ; faire en sorte que ce soit son beau-frère qui effectue les travaux, non.

La proposition de loi Saugey se propose de remplacer un mot par un autre. Pas de quoi fouetter un chat, n’est-ce pas ?

Voire…

Le délit de prise illégale d’intérêt deviendrait alors (je simplifie la définition en élaguant les mots superflus, je raye le mot ôté et graisse les mots ajoutés) :

Le fait,… par une personne investie d’un mandat électif public, de prendre…, directement ou indirectement, un intérêt quelconque personnel distinct de l’intérêt général dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte,… la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement.

Un seul mot vous manque et le Code pénal est dépeuplé.

L’effet de cette loi serait donc de dépénaliser les situations ou l’élu favorise un tiers avec qui il n’a pas de lien personnel. Favoriser son épouse, son fils ou son beau-frère resterait puni, mais plus, par exemple et au hasard, le fait de faire en sorte qu’une partie des fonds publics que l’on gère favorise son parti politique.

Car quel est le refrain sans cesse entonné par l’élu pris la main dans le sac ? La phrase portant absolution de tous les péchés ?

« Mais voyons, il n’y a pas d’enrichissement personnel. »

Et bien grâce à cette loi, si elle était votée, il n’y aurait plus délit sans enrichissement personnel.

Et ce serait particulièrement pernicieux. Car ce que sanctionne la prise illégale d’intérêt n’est pas l’enrichissement personnel de l’élu mais l’appauvrissement de la collectivité publique. Pour elle, le préjudice reste le même que l’intérêt de l’élu pris dans l’opération ait été personnel ou non.

Et à propos de prise illégale d’intérêt, il ne vous aura pas échappé que le Sénat représente les collectivités locales et est élu par le collège des Grands Électeurs (conseillers régionaux, conseillers généraux, et délégués des conseils municipaux), c’est-à-dire que les Sénateurs, qui sont eux-même très souvent des élus locaux, sont élus par l’ensemble des élus locaux susceptibles d’être visés par le délit de prise illégale d’intérêt.

La lecture du rapport sur cette proposition de loi est édifiant : le rapporteur (madame le sénateur Anne-Marie Escoffier, RDSE, Aveyron), après avoir justement rappelé que ce délit s’appuie sur le devoir de probité des élus, justifie cette proposition par cette formidable affirmation, titre de la deuxième partie de son rapport : cette proposition de loi vise “à mieux réprimer la recherche d’un intérêt personnel”. Non, elle vise à uniquement réprimer la recherche d’un intérêt personnel. En somme, rechercher un intérêt non personnel, comme financer son parti politique, n’est pas contraire au devoir de probité. Qu’il me soit permis d’en douter. La chose a semble-t-il échappé à la Commission des lois du Sénat qui, lors de son examen de la proposition, a modifié… l’intitulé de la proposition, là encore en changeant un mot pour un autre : le mot “réformer” a été remplacé par “clarifier”, et l’allusion aux élus locaux a été retirée, un peu trop voyant sans doute.

J’invite donc l’ensemble des sénateurs, dont je ne doute pas un instant de la très haute probité, de ramener à la raison leurs deux collègues égarés et de rejeter d’un bloc cette proposition de loi jeudi matin, qui serait donner un blanc-seing à quelques élus peu soucieux du bon usage des fonds publics tant qu’ils ne profitent qu’à autrui et non eux-même.

La République a plus que jamais besoin de vertu. Ce n’est pas le moment de dépénaliser le vice, même si je le reconnais, cela “clarifierait” les choses.

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