Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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vendredi 4 juin 2010

vendredi 4 juin 2010

Renatus

Cette année, le barreau de Paris fête une date importante, qui a par ricochet une importance certaine pour tous les avocats de France : le bicentenaire de son rétablissement par le décret impérial du 14 décembre 1810.

L’Ordre des avocats, et avec lui la profession d’avocat elle-même, avait en effet été supprimée par l’assemblée Constituante par la loi des 16 août et 2 septembre 1790 (qui abolissait les corporations d’ancien régime, dont l’ordre faisait partie), pour des raisons qui restent assez mystérieuses pour les historiens, puisque les avocats étaient majoritaires au sein de cette assemblée (165 sur 300 députés). Le rapporteur de la loi était lui-même avocat (le lyonnais Bergasse) et de fait, les comptes-rendus des débats nous apprennent que l’unanimité des avocats de l’assemblée ont voté cette loi, sauf un : le député de l’Artois Maximilien Robespierre.

Toute partie aura le droit de plaider sa cause elle-même, si elle le juge convenable et afin que le ministère des avocats soit aussi libre qu’il doit l’être, les avocats cesseront de de former une corporation ou un ordre, et tout citoyen ayant fait les études et subi les examens nécessaires, pourra exercer cette profession : il ne sera plus tenu de répondre de sa conduite qu’à la loi.

(Rapport du député Bergasse, cité dans Histoire des avocats en France, Bernard Sur, Ed. Dalloz, 1997, qui a largement inspiré ce billet).

Apparaissent à la place de la profession d’avocat les défenseurs officieux, et est créée la profession d’avoué, qui représente, rédige les actes et plaide devant la juridiction à laquelle ils sont attachés. Elle ne sera pas supprimée lors du rétablissement de l’Ordre, malgré les protestations des avocats. Les avoués près les tribunaux de grande instance seront supprimés en 1971 et la suppression des avoués d’appel est sur les rails et devrait devenir effective en 2011, ces deux professions fusionnant avec les avocats.

Les avoués sont les héritiers des procureurs d’ancien régime, qui étaient clercs (alors que les avocats étaient laïcs) et plaidaient principalement devant les juridictions ecclésiastiques où la procédure était écrite, tandis que l’avocat plaidait devant les juridictions séculières à la procédure orale, d’où la séparation des tâches : l’avoué rédige les placets et les conclusions, et l’avocat les plaide. En Espagne, les avoués existent encore et s’appellent… procuradores.

Paradoxalement, 1790, année de la suppression de la profession sera aussi celle de la naissance de la profession d’avocat moderne. La Révolution a en effet profondément modifié l’organisation de la justice, réforme dont les principes sont encore en vigueur aujourd’hui : instauration d’une justice de paix pour les petits litiges, devenue les tribunaux d’instance et de proximité. En Belgique, elle porte encore ce nom. Création de 545 tribunaux de première instance (devenus 157 tribunaux de grande instance, une fois la réforme de la carte judiciaire entrée en vigueur), l’appel se faisant d’un tribunal à l’autre, des tribunaux de commerce, héritiers des juges consulaires du Chancelier de l’Hospital, des tribunaux criminels, avec jury criminel, ancêtre des cours d’assises, et du Tribunal de cassation, qui deviendra Cour sous l’Empire.

L’instauration des tribunaux criminels, avec jury (douze citoyens mâles, délibérants hors la présence du juge sur la seule culpabilité, la peine étant prononcée par le juge seul) et loi de procédure unique pour toute la France qui prévoit le droit à un défenseur, est la naissance de la défense pénale moderne. Et très vite, ce sont les anciens avocats qui vont assurer la défense devant cette juridiction. Et face aux dérives des défenseurs officieux qui ne se caractérisaient pas par leur probité, ceux-ci vont fonder un groupe informel, “les avocats du Marais”, du nom du quartier où ils étaient établis (3e et 4e arrdt de Paris), instaurant entre eux une déontologie rigoureuse. Leurs noms sont entrés dans l’Histoire : Berryer père, Bonnet, Bellart, Target, Férey, dont nous reparlerons, Delamalle, Chauveau-Lagarde, De Sèze, Billecoq, Théloriern Tronson du Coudray, défenseur de la Reine, qui sera arrêté aussitôt sa plaidoirie terminée et déporté en Guyane pour avoir trop bien défendu sa cliente. Ils organisent aussi des cours privés pour former leurs successeurs, l’Université ayant aussi été abolie. C’est l’ancêtre des Centre Régionaux de Formation des Avocats.

Le premier grand procès pénal sera celui de Louis XVI, qui fera appel à Tronchet, dernier Bâtonnier des avocats en 1790, Malesherbes, qui sortira de sa retraite pour défendre le roi, sachant que cela pourrait lui coûter la vie (et de fait il fut condamné à mort sous la Terreur) et de Sèze.

L’heure de gloire des avocats du Marais sera l’heure la plus sombre de la Révolution : le Tribunal Révolutionnaire, créé par le décret du 13 mars 1793, qui précise que la défense y est “autorisée”. Les audiences sont publiques, et le public est souvent surexcité et en armes. Les avocats sont convoqués le matin du procès, à l’aube, pour une audience ouverte à douze heures, une éventuelle sentence de mort étant exécutée dans la foulée, l’avocat devant accompagner son client jusqu’à la Place de Grève (place de l’Hôtel de Ville, ce qui tombait bien, c’était sur son chemin pour rentrer au Marais).

En 1794, Fouquier-Tinville, l’accusateur public, en ayant assez de ces avocats qui plaidaient trop bien, exige qu’ils présentent un certificat de civisme pour pouvoir plaider. Sachant que si ce certificat leur était refusé, c’était la mort assurée en vertu de la loi des Suspects. Une loi du 11 juin 1794 prévoit que désormais, c’est le Tribunal lui-même qui désignera les défenseurs parmi des “patriotes”. Comme disait Couthon, membre du comité de salut public (dont le fauteuil roulant est conservé au musée Carnavalet), il est inconcevable que tyrans et conspirateurs puissent obtenir un défenseur qui se permette de les justifier et de critiquer la Révolution ; ces “mercenaires” doivent être interdits. Il finira par admettre son erreur deux mois plus tard, quand lors du9 Thermidor, il sera arrêté aux côtés de Robespierre et Saint-Just, et immédiatement conduits à la guillotine, sans avoir droit à un défenseur. Déjà, on voyait apparaître ce travers du législateur qui trouve toujours saugrenue l’idée qu’on lui applique la loi qu’il vote.

Le Directoire sera une période d’apaisement et dès 1795, les “avocats défenseurs” reprennent leur office (ils étaient 305), et les avoués, interdits aussi sous la Terreur, sont rétablis. Les avoués sont attachés à un ressort, pas les avocats.

L’Empire mettra fin à la Révolution, mais la réorganisation de la République ne verra pas tout de suite le rétablissement des avocats (la profession est rétablie par la loi du 13 mars 1804, dans la foulée de l’entrée en vigueur du Code civil). Napoléon, comme de manière générale tous les monarques jaloux de leur pouvoir, détestait les avocats, dont nombre d’entre eux critiquaient durement la politique autoritaire de l’empereur, comme le duo Bellart et Bonnet, qui défendit avec brio Cadoudal devant le tribunal d’exception qu’il avait créé pour le juger (vieille tradition reprise par le général de Gaulle), qu’il avait voulu pour ce fait envoyer au bagne de Cayenne. Quand son ministre Cambacérès lui soumit un projet de décret rétablissant l’Ordre des avocats, il annota dessus : « Tant que j’aurai l’épée au côté, jamais je ne signerai un pareil décret. je veux qu’on puisse couper la langue à un avocat qui s’en sert contre le gouvernement ». Mais s’il les détestait, l’Empereur savait reconnaître leurs mérites : ce sont quatre avocats qui rédigèrent le Code civil, dont le Bâtonnier Tronchet, le défenseur de Louis XVI.

Le seul avocat qui trouva grâce à ses yeux fut Férey, qui gagna même l’amitié de l’Empereur (ce fut le seul avocat à recevoir sous l’Empire la Légion d’Honneur ; la chose s’est depuis banalisée). Et Férey fut un avocat rusé jusqu’au bout. À sa mort en 1807, il légua sa bibliothèque à “l’Ordre des Avocats”. Ce legs devait être validé par décret, ce qui était tout sauf évident puisque l’Ordre des avocats n’avait pas d’existence juridique. Pourtant, par attachement à son ami, l’Empereur signa le décret, reconnaissant implicitement l’existence d’un tel Ordre. Et comme l’Empereur aimait l’ordre faute d’aimer l’Ordre, il lui fallut bien se résoudre à l’organiser. Ce sera fait par un décret du 14 décembre 1810, mais à quelles conditions ! Amis magistrats, cela va vous faire rêver.

Le tableau des avocats est dressé par le Procureur Général est approuvé par le Garde des Sceaux (Camabacérès). La totalité du Conseil de l’Ordre est désigné par le Procureur Général. L’avocat ne peut plaider que dans son ressort. Ils doivent prêter serment de fidélité à l’Empereur. Les décisions du Conseil de l’Ordre peuvent être portées en appel devant la cour d’appel (règle encore en vigueur), et le Garde des Sceaux a un pouvoir de sanction directe.Enfin, les avocats doivent mentionner leurs honoraires au pied des actes (Une ordonnance de Blois avait tenté d’imposer cette règle en 1602, provoquant la première grève des avocats).

C’est dit-on de ces années terribles que les avocats ont hérité leur passion pour la liberté, qui transcende leurs opinions politiques ou philosophiques.

Delamalle devient le premier Bâtonnier de l’Ordre recréé, Bellart et Bonnet siégeant au premier Conseil de l’ordre (ce qui convenons-en est une meilleure villégiature que le bagne). La première décision du Conseil est de rétablir le Bureau de Consultation gratuite pour les pauvres et la Conférence du Stage, ancêtre de l’actuelle Conférence. Celle-ci se réunira dans la Bibliothèque de l’Ordre, constituée avec le fonds légué par Férey et 2000 ouvrages de l’Ordre aboli en 1790 et retrouvés conservés à l’Arsenal. Aujourd’hui encore, c’est dans la Bibliothèque de l’Ordre que se réunit la Conférence pour le concours d’éloquence qui désigne ses douze membres. Le 2 juillet 1812, l’Ordre obtient le rétablissement du monopole de la plaidoirie, au détriment des avoués, qui perdure encore aujourd’hui, sauf pour les incidents et au pénal, encore qu’on les y voit rarement (et encore plus rarement l’année prochaine…).

Alors, comme on n’a pas tous les jours 200 ans, trinquons virtuellement pour la seule profession qui a obtenu son rétablissement de celui qui voulait sa mort, et qui depuis deux siècles se fait une joie d’être un caillou dans la chaussure de ceux qui veulent nous mener où ils veulent et non où nous voulons, qui se fait un honneur d’être le dernier soutien de ceux qui n’en ont plus, d’être aux côtés des pauvres, des sales, des aubains, des abimés de la vie, des petits truands ou des grands malfrats, pour rappeler qu’avant tout, ce sont des êtres humains, ce sont nos semblables.

Champagne.

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