Je reviens sur le billet de dimanche sur la burqa au volant pour développer un point qui n’a pas de lien direct avec ledit vêtement. J’en profite pour vous préciser que les commentaires seront fermés demain matin, les 300 commentaires ayant été atteints. Vient un moment ou le débat devient du bruit, et la profusion de commentaire n’est pas un gage de modération du ton.
J’ai rédigé ce billet en ayant à l’esprit la seule explication que donnait la presse, et qui semble-t-il a bien été le fondement de la contravention : le fait que le voile réduisant le champ de vision, il était incompatible avec la conduite pour le policier instrumentant.
Des lecteurs ont objecté que l’article R.412-6, II du code de la route prévoit deux hypothèses distinctes correspondant à ses deux phrases.
II - Tout conducteur doit se tenir constamment en état et en position d’exécuter commodément et sans délai toutes les manœuvres qui lui incombent. (première phrase) Ses possibilités de mouvement et son champ de vision ne doivent pas être réduits par le nombre ou la position des passagers, par les objets transportés ou par l’apposition d’objets non transparents sur les vitres (seconde phrase).
Et selon eux, le port du niqab, puisque c’est d’un niqab qu’il s’agit, entraverait assez les mouvements pour fonder la contravention.
J’objecte respectueusement.
Certes, la première phrase crée une première obligation sanctionnée d’une amende : se tenir en état et en position d’exécuter commodément les manœuvres. L’état et la position ne sont pas les vêtements portés.
La deuxième phrase mentionne bien le champ de vision et les possibilités de mouvement, qui ne peuvent être réduits par les quatre hypothèses mentionnées : nombre des passagers, position des passagers, objets transportés et apposition d’objet opaques sur les vitres. Donc la gêne provoquée par le port d’un vêtement ample ne tombe pas pour moi sous le coup du texte. C’est cette phrase qui a fondé pendant longtemps la verbalisation des conducteurs ayant un téléphone mobile à la main (ce qui est bien un objet transporté), jusqu’à ce qu’un décret de 2003 crée une contravention spécifique afin de permettre de l’assortir d’une perte de deux points sur le permis (la contravention générale n’étant pas assortie d’une telle perte de points).
Je passe rapidement sur l’argumentation par l’absurde qui a été soulevée par plusieurs lecteurs : on peut donc conduire les yeux bandés ou avec une camisole de force ? La réponse est bien sûr non. C’est matériellement impossible. Et comme il n’existe aucun cas documenté de conducteur ayant tenté de conduire avec une camisole de force (on se demande comment il aurait démarré) ou avec les yeux bandés (les conducteurs ayant une forte propension à aimer voir où ils vont), le législateur n’a pas ressenti le besoin d’interdire ces comportements.
L’argument par l’absurde est généralement ridicule ; il l’est toujours en droit. Prendre une règle, lui appliquer une hypothèse absurde et déduire de ce résultat absurde que la règle est absurde peut convaincre un auditoire, à condition qu’il soit en état d’ivresse avancé. Merci de considérer mes lecteurs comme raisonnablement sobres et intelligents. À ce train là, on peut aussi se demander, tout vêtement bardant le corps entravant ses mouvements, s’il n’est pas obligatoire de conduire tout nu.
Un deuxième mot sur la force probante des procès-verbaux. En matière de contraventions, le principe est que les procès-verbaux font foi jusqu’à preuve contraire apportée par écrit ou par témoins (art. 537 du CPP). On peut dès lors se demander si, du moment qu’un policier estime que tel vêtement entrave les mouvements, fermez le ban, le juge ne peut que s’incliner.
C’est là une très mauvaise compréhension de la règle de la force probante des procès verbaux. Cette force probante a deux limites (outre celle de la régularité de forme posée par l’article 429 du CPP). Elle ne porte que sur ce qui y est consigné, et surtout, elle ne porte que sur les faits.
Je développe.
On ne peut contester que par écrit ou par témoins le contenu de ces procès verbaux. Mais sur ce qu’ils ne disent pas, la preuve est libre.
Ainsi, prenons l’exemple d’un conducteur grillant un feu rouge. Le pv mentionnera “non respect d’un feu de signalisation rouge fixe, le véhicule sortant de l’impasse Rachida Dati et s’engageant à droite dans la rue Tabaga” (Oui, un PV de contravention n’est bien souvent pas plus long que ça). Le conducteur ne peut prouver que par écrit ou par témoins que le feu n’était pas rouge au moment où il l’a franchi. Mais il peut prouver par tout moyen que ce feu était endommagé et restait en fait en permanence au rouge. Par exemple, en le filmant avec son téléphone portable. Ainsi, la cour de cassation a cassé un jugement du juge de proximité qui s’était accroché à son PV constatant l’usage d’un téléphone au volant comme à une moule à son rocher, alors que le prévenu affirmait avoir été verbalisé à l’arrêt, l’obligation de ne pas voir ses mouvements réduits par un objet transporté ne s’appliquant qu’à un véhicule en circulation. Or le PV était muet sur ce point.
Enfin, la force probante ne porte que sur les faits constatés. Le fait qu’ils constituent effectivement l’infraction relève de l’office du juge. Cela ne pose généralement aucun problème, la plupart des contraventions, surtout au code de la route, étant purement matérielles. La simple constatation des faits met un terme au débat : le feu était rouge, le temps de stationnement était dépassé, point. Mais si les faits nécessitent une appréciation, elle relève du juge, et l’article R. 412-6 se prête volontiers à ce type de conflit d’appréciation. Ainsi, et nous en revenons à notre affaire, le fait que la conductrice portait un niqab, une fois consigné, est à peu près acquis, et le juge ne peut pas revenir là-dessus. Mais le fait de savoir si un niqab constitue effectivement une des entraves prévues par l’article R.412-6 du code de la route relève du juge et du juge seul, pas de la conviction personnelle du policier. Le fait que cette contravention ait été dressée ne met donc pas un terme au débat juridique.