par Sub lege libertas
Ce jeudi 18 mars à quinze heures, Madame Simone Veil sera reçue comme membre de l’Académie française pour y occuper le treizième fauteuil de cette compagnie.
Profitons au passage pour rappeler à la présidence de la République, que le terme d’« intronisation » employé dans son communiqué de 9 heures 46 pour désigner la réception « sous la Coupole » de Madame Simone Veil est impropre, sauf à y lire une certaine forme d’ironie involontaire ou déplacée. Comme protecteur de cette Compagnie, le Président de la République assistera donc à cette cérémonie de « réception » que ses services eussent été mieux inspirés de désigner par son nom. La maîtrise de la langue française s’impose lorsqu’on protège l’Académie dont le seul rôle officiel est de veiller sur elle.
Pourquoi Sub lege libertas sombre-t-il dans l’académisme ?
Pour saluer ici Simone Veil, magistrat, qui rejoint cette assemblée si singulière. Je n’ignore pas que la carrière dans la magistrature de la récipiendaire n’est pas à l’origine de son élection à l’Académie. Mais, je souligne qu’aucun magistrat de l’ordre judiciaire n’avait siégé à l’Académie française depuis André Dupin, élu en 1832 alors qu’il était Procureur Général près la Cour de cassation – André Dupin avait adopté comme devise personnelle lors de sa nomination à ce poste « sub lege libertas ». Lui non plus d’ailleurs ne devait son élection à son office de magistrat, mais comme Madame Simone Veil, à son parcours d’homme d’État.
Si le monde de la robe – et je ne parle pas ici du sexe de Madame Simone Veil, sixième femme à siéger quai Conti – était plus fréquemment représenté à l’Académie au XVIIe et XVIIIe siècle – citons le Baron de Montesquieu qui émerge de l’oubli avec Malesherbes, la tendance s’inversa par la suite. Au XXe siècle, si nous exceptons François Albert-Buisson qui fut magistrat consulaire et Président du Tribunal de commerce de Paris et Pierre Moinot qui fut procureur général près la Cour des comptes, seuls quelques avocats siégèrent à l’Académie française. Saluons notamment parmi eux, Maurice Garçon et Georges Izard, le premier car il fut l’incarnation de l’éloquence judiciaire ; le second car s'il ne fut des quatre-vingt députés qui, le 10 juillet 1940, refusèrent de voter les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain, du moins ne prit-il pas part au vote et fut ensuite un vrai résistant.[1] Aujourd’hui, Jean-Denis Bredin représente le Barreau dans cette docte assemblée.
Saluer la réception à l’Académie française du magistrat Simone Veil, c’est aussi une façon de rendre hommage à la femme et son parcours sans répéter ici les éloges convenus, quasi nécrologiques, lus çà et là. C’est aussi, à travers le kaléidoscope des portraits des 719 immortels qui siégèrent quai Conti, avoir un autre regard sur l’identité française qui fait qu’à cinq fauteuils du siège occupé par le Maréchal Pétain, siégera désormais Madame Simone Jacob épouse Veil déportée le 13 avril 1944 à Auschwitz-Birkenau en application de l’acte dit loi du 3 octobre 1940 portant statut des juifs promulgué par ledit Pétain.
Madame vous siégerez aussi sur le fauteuil jadis occupé par Jean Racine qui fit chanter à Esther :
Eh ! que reproche aux Juifs sa haine envenimée?
Quelle guerre intestine avons-nous allumée ?
Les a-t-on vu marcher parmi vos ennemis?
Fut-il jamais au joug esclaves plus soumis?
Madame, la robe que vous avez portée, votre histoire et vos combats vous font encore la digne héritière du Baron de Montesquieu au sein de cette Compagnie.
À votre immortalité !