Je serais Rachida Dati, je me ferais du souci pour mon record (et accessoirement, pour ma prestation de serment, mais passons) car nous avons avec Éric Besson de la graine de champion.
C’est par une ordonnance rendue ce jour que le président de l’Académie a décerné le prix sans qu’il soit besoin de réunir une formation de jugement, tant il était manifestement mérité.
Les propos primés ont été tenus à Libération (papier signé “service Société”). Chaque réponse est un véritable bijou. Je vais donc devoir citer la totalité de l’article, je compte sur la compréhension du Service Société de Libération.
Les questions de Libération sont en caractères gras.
Début de citation.
Pour la première fois, le Haut-Commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR) vous met en garde et exige que les réfugiés kurdes puissent bénéficier d’un examen complet de leur situation.
Le HCR n’a pas mis en garde la France. Il lui a demandé que chacune de ces personnes puisse bénéficier d’un examen individuel de sa situation, ce qui est le cas. La France respecte l’ensemble des demandes du HCR.
Mes lecteurs reconnaîtront d’entrée de jeu la technique dite de la négation des faits qui dérangent.
Voyons le communiqué du HCR (je graisse) :
Le HCR appelle les autorités françaises à s’assurer que toutes les personnes sollicitant la protection de la France puissent accéder à une procédure d’asile leur permettant de bénéficier d’un examen complet et équitable de leur demande assorti de la possibilité de présenter un recours suspensif en cas de décision négative. (…)
Tout en reconnaissant que les contrôles aux frontières sont essentiels pour combattre, notamment, la criminalité internationale, y compris la traîte d’êtres humains, le HCR souligne combien il est important que des mesures pratiques soient adoptées et mises en oeuvre permettant d’identifier les personnes ayant besoin d’une protection internationale afin que ces contrôles n’aboutissent pas à l’expulsion de réfugiés vers leur pays d’origine où leur vie ou leur liberté, pourraient être en danger.
Comme le soulève à juste titre Libé, ce communiqué est une première. Le HCR n’a pas l’habitude de publier des communiqués édictant des évidences. Et il y a bien mise en garde dans le second paragraphe : “Attention à ne pas prendre de décision d’expulsion à la légère”. Éric Besson dit que c’est ce qu’a fait la France : mes lecteurs supputent aussitôt qu’il n’en est donc rien. Ils ont raison, bien sûr.
En les orientant en rétention, l’examen de leur situation sera fait en urgence dans un délai de cinq jours au lieu de vingt et un…
Petite erreur de Libé : pas cinq jours, quatre, au lieu de quinze et non vingt et un. Et pas quatre jours, mais 96 heures exactement (ça ne se compute pas de la même façon). Pour les autres demandeurs, il n’y a pas de délai, l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA) traite le dossier en 3-4 mois (source : rapport d’activité 2008 de l’OFPRA, p. 32); toutefois le préfet qui reçoit la demande peut décider que le dossier devra être traité prioritairement en 15 jours. L’OFPRA n’a pas son mot à dire. Art. R. 723-3 du Code de l’Entrée et du Séjour et du Droit d’Asile (CESEDA). L’abus de ces procédures prioritaires est une plaie, mais le juge administratif y a récemment mis le hola. On y reviendra. Écoutons le lauréat.
L’examen de chaque situation individuelle a commencé dès le début de la procédure, à Bonifacio, puis dans les centres de rétention administrative. Par ailleurs, les personnes qui déposeront une demande d’asile en préfecture verront cette demande instruite par l’Ofpra en procédure normale, et non en procédure accélérée comme le prétendent certains.
Voici le cœur des propos qui entraînent le Busiris.
C’est extraordinaire. Éric Besson ose affirmer que, conformément à la demande du HCR, chaque situation individuelle sera examinée alors que les 147 kurdes ont été placés en centre de rétention.
Or pour entrer en centre de rétention, il faut obligatoirement un sésame préalable dont la liste est à l’article L.551-1 du CESEDA : ici c’est le 3° : un arrêté de reconduite frappant un étranger ne pouvant quitter le territoire immédiatement. Donc face au HCR qui lui dit : “attention, examinez bien chaque situation individuelle, de peur de renvoyer à la mort un vrai réfugié”, Éric Besson répond : “mais bien sûr, à présent que j’ai ordonné qu’ils soient renvoyés dans leur pays d’origine, on va pouvoir examiner chaque situation individuelle”. Et il le fait sans se marrer, notez bien.
Franchement, je vous le demande, contre quoi le HCR pourrait-il avoir envie de mettre en garde la France ?
Le festival continue.
Pourquoi ne pas avoir dirigé les réfugiés vers un centre d’accueil plutôt qu’en rétention ?
La loi prévoit en effet que les demandeurs d’asile peuvent être accueillis dans des Cendre d’Accueil des Demandeurs d’Asile (CADA, prononcer kada), gérés par des associations agréées.
Nous ne disposions pas immédiatement de 124 places adaptées dans les centres d’accueil de demandeurs d’asile. Il n’était pas possible de faire attendre ces 124 personnes, avec des familles, des femmes enceintes et des enfants en bas âge, dans un gymnase.
Ben oui, les gymnases, c’est fait pour vacciner. Là attention, on touche au pinacle :
Et en les accueillant dans les centres de rétention, ces personnes ont pu immédiatement bénéficier d’un examen médical complet, des services d’un interprète, d’un accompagnement dans l’exercice de leurs droits et d’un hébergement adapté. Ce placement a aussi permis aux services de police et de gendarmerie de poursuivre leurs auditions dans le cadre de l’enquête judiciaire contre la filière clandestine.
J’adore le “en les accueillant dans les centres de rétention”. Ou comment faire passer une prison pour un hôtel. Un centre de rétention n’est qu’une chose : une salle d’attente avant l’embarquement. Certainement pas un point d’accueil. C’est la police aux frontières qui les garde, et les gentils membres n’ont pas le droit de sortir. Et on apprend au passage que “l’examen individuel” de chaque situation est en réalité une audition comme témoin dans une enquête judiciaire contre un réseau de passeurs.
Le placement en rétention d’enfants a été plusieurs fois sanctionné par la justice.
Aucun enfant n’a jamais été placé seul en centre de rétention.
C’est plus un festival, c’est une bacchanale ! Encore heureux qu’aucun enfant n’ait jamais été placé seul en centre de rétention, puisque seul un étranger en situation irrégulière peut être placé en centre de rétention ; or un mineur ne peut pas être en situation irrégulière, seuls les majeurs étant tenus d’avoir une autorisation de séjour. Placer un mineur seul en centre de rétention constituerait le crime de séquestration arbitraire.
Le placement de familles est en revanche parfaitement autorisé, en application de la Convention internationale des droits de l’enfant, qui prévoit que l’intérêt supérieur de l’enfant est de rester avec sa famille.
Absolument. C’est l’argument invoqué par l’administration pour placer des enfants, parfois des nouveaux nés en centre de rétention : ce serait inhumain de séparer les familles. En négligeant le fait que les familles n’ont rien demandé et ne font de tort à personne, et qu’on pourrait leur foutre la paix, ce qui est une solution économique et respectueuse de la Convention internationale des droits de l’enfant. Malheureusement, le juge administratif valide ce point de vue.
Et une pierre dans le jardin de la gauche :
C’est pourquoi le gouvernement de Lionel Jospin a décidé d’aménager des espaces dédiés aux familles dans les centres de rétention. Et il a bien fait.
Si les juges des libertés et de la détention décident de libérer tous les Kurdes, les orienterez-vous vers un centre d’accueil ? (C’était avant que les JLD ne libèrent TOUS les Kurdes en constatant l’illégalité de la procédure, NDLR)
Les dispositions ont été prises pour que les migrants amenés à quitter les centres de rétention soient immédiatement pris en charge par les services de l’Etat et qu’un hébergement leur soit proposé, en partenariat avec la Croix-Rouge.
Ah, donc une solution alternative au placement en centre de rétention était possible, finalement ?
Dans l’affaire des Afghans de Calais, le Conseil d’Etat a estimé que vous aviez porté une atteinte illégale et grave au droit d’asile.
Il y a des moments où Éric Besson ne peut plus nier la réalité.
Le Conseil d’Etat a effectivement jugé que pour les personnes interpellées lors du démantèlement de la «jungle» en septembre 2009, les demandes d’asile ne pouvaient pas être traitées selon la procédure accélérée. C’est pourquoi j’ai indiqué que les personnes interpellées en Corse, le 23 janvier, qui déposeront une demande d’asile en préfecture verront cette demande instruite en procédure normale, et non en procédure accélérée.
On dit prioritaire, pas accélérée. Mais là encore, c’est superbe : ceux qui déposeront une demande en préfecture verront leur dossier examiné selon la procédure de droit commun comme l’exige la loi. L’homme qui vous dit ça a juste avant pris la décision de placer en centre de rétention TOUS les demandeurs d’asile potentiel, s’assurant ainsi qu’aucun ne pourra déposer sa demande en préfecture. Ainsi, leur éventuelle demande ne sera pas traitée en 15 jours, selon la procédure prioritaire qui serait illégale, mais en… 96 heures, selon la procédure applicable en rétention. Elle est pas belle, la vie ?
Rappelons le piteux épilogue à cette ignominie nationale : les juges des libertés et de la détention ont découvert avec stupeur que les arrêtés de reconduite à la frontière ont été notifiés sans placement préalable en garde à vue, ce qui est complètement illégal, et ont remis en liberté tous les Kurdes concernés. Afin d’éviter de se faire bananer autant e fois devant le tribunal administratif (avec à chaque fois au moins 500 euros à payer en frais d’avocat), le ministre de l’immigration et de l’incompétence a rapporté, c’est à dire abrogé rétroactivement ses cent vint et quelques arrêtés. Sa tentative de les renvoyer vite fait en Syrie a avorté. Tiens ? C’était pas contre cette tentative éventuelle que le HCR avait mis la France en garde ?
L’ensemble de ces propos est donc logiquement récompensé d’un troisième prix Busiris, sous les yeux abondamment mouillés de larmes de Marianne.
Je vous laisse, je vais débattre de l’identité nationale avec mon préfet.