par Sub lege libertas
Il fut un temps sur les terres nubiennes où les femmes furent maîtresse de leur destin comme du royaume. Héritières des candaces qui arrêtèrent Auguste et imposèrent aux romains la paix et le respect de leur indépendance, qui se battirent pour vénérer jusqu’en 543 à Philaé Isis, la déesse des mystères, les soudanaises ne sont pas femmes à abdiquer leur fierté. L’Agence France Presse nous le narre : Loubna Ahmed al-Hussein écrivait des billets pour le journal al-Sahafa (La Presse) et travaillait à la section médias de la mission des Nations unies au Soudan (Unmis) au moment où elle avait été arrêtée. Comme treize autre femmes également interpellées, son humaine indignité était de porter comme une reine le pantalon.
Pour tous ceux qui se gaussent légèrement en petit comité sur les réformes de la justice pénale française en pensant qu’à ce sujet au moins, aucun débat ne s’instaure chez les fils et filles de sans-culottes, je me dois d’indiquer que le 7[1]novembre 1800, une ordonnance [2] a interdit aux femmes le port du pantalon. C’est l'ordonnance du 16 Brumaire an IX[3] de la République, non abrogée. Elle dispose que toute femme désirant s’habiller en homme doit se présenter à la Préfecture de police pour en obtenir l’autorisation. Celle ci ne peut être donnée qu’au vu d’un certificat d’un officier de santé. Cette réglementation[4] a fait l’objet de deux circulaires en 1892 et 1909 autorisant le port féminin du pantalon, si la femme tient par la main un guidon de bicyclette ou les rênes d'un cheval ![5]
Certes la France est un un pays obscurantiste où “les droits fondamentaux de la personne humaine dans les affaires simples ou compliquées sont souvent mis à mal ; les textes applicables sont confus ou enchevêtrés” (page 5 sur 59 du Léger rapport du Comité de réflexion sur la justice pénale). Seulement, au Soudan où les textes applicables ne sont ni confus ni enchevêtrés, l'article 152 du code pénal de 1991, entré en vigueur deux ans après le coup d'Etat de l'actuel président Omar el-Béchir, prévoit une peine maximale de 40 coups de fouet pour quiconque «commet un acte indécent, un acte qui viole la moralité publique ou porte des vêtements indécents».
Alors qu’elle peut invoquer l’immunité diplomatique que lui confère son poste aux Nations Unies, Loubna Ahmed al-Hussein en démissionne et décide alors de mener un combat contre l'article 152 du code pénal soudanais... en allant devant ses juges. Son attitude est méritoire à deux titres : d’une part, elle croit possible un état de droit et une justice libre en son pays, ce qui constitue dans le Soudan d’Omar el-Bechir une pétition de citoyenneté remarquable ; d’autre part, loin de se contenter d’une protestation d’égalité féministe de salon occidental(isé), notre journaliste devenue activiste soutient selon l’AFP que cet article viole la Constitution soudanaise et l'esprit de la loi islamique (charia) en vigueur dans le Nord du Soudan, majoritairement musulman. «Cette loi est mauvaise. Il n'est pas dans nos traditions et notre comportement à nous, peuple soudanais, de flageller les femmes», a soutenu une autre opposante.
Une telle défense mérite d’être applaudie. Il eût été facile de débiner la loi soudanaise au regard des conventions internationales dont le Soudan est signataire, pire de suspecter la justice soudanaise d’archaïsme. Mais c’est risqué de ne pas être entendu par ses juges nationaux que de parler d’universalité toujours trop occidentale aux yeux de qui voit l’univers s’aliter soit dans l’impérialisme des moeurs des anciens colonisateurs, soit dans le particularisme culturel pour respecter les différences plutôt que la dignité des personnes. Loubna me plaît car elle prend ses procureurs au mot et à leur maux. Ils rêvent à haute voix (cela s'appelle requérir, Eolas D.R.) de la déculotter, elle veut les mettre à nu dans leur argumentation fragile.
Pourtant Loubna Ahmed al-Hussein a été reconnue coupable lundi 7 septembre 2009 d'avoir porté un "pantalon indécent", mais le juge moins philistin que jésuite lui avait donné le choix entre une amende de 500 livres soudanaises (environ 140 euros) ou un mois de prison. Refusant de payer l'amende, elle était donc été incarcérée. Notons au passage avec le porte-parole du Haut Commissariat aux Réfugiés, Rupert Colville, que "les 13 autres femmes arrêtées avec Loubna al-Hussein n'ont pas du tout bénéficié d'une représentation juridique et n'ont pas eu le temps adéquat pour préparer leur défense, contrairement à Loubna al-Hussein qui a été défendue par des avocats de la mission soudanaise de l'ONU. Par ailleurs, dans une sorte de plaidé coupable soudanais, certaines de ces 13 femmes ont subi immédiatement une flagellation de 10 coups, pour éviter de risquer l’application d’une sentence plus lourde.
L'union des journalistes soudanais dit avoir payé l'amende infligée à Loubna Ahmed al-Hussein qui a aussitôt été libérée. "J'avais demandé à ma famille et à mes amis de ne pas la payer", a-t-elle affirmé, ne sachant pas pour le moment si elle allait interjeter appel du verdict de culpabilité prononcé par la cour de Khartoum-Nord. "Nous allons continuer le combat pour changer cette loi, la police de l'ordre public et les tribunaux de l'ordre public".
Je salue votre décence Madame, non celle de votre pantalon, qui ne vous libère pas de l’état du droit, mais celle de votre volonté de justice et de légalisme dont procédera vraiment votre liberté au Soudan. Vous êtes fille de Rousseau dont on aimerait que les soudanais récitent librement les mots :
Un peuple libre obéit aux lois, mais il n'obéit qu'aux lois et c'est par la force des lois qu'il n'obéit pas aux hommes. Toutes les barrières qu'on donne dans les républiques au pouvoir des magistrats ne sont établies que pour garantir de leurs atteintes l'enceinte sacrée des lois : ils en sont les ministres, non les arbitres, ils doivent les garder, non les enfreindre. Un peuple est libre, quelque forme qu'ait son gouvernement, quand dans celui qui le gouverne il ne voit point l'homme, mais l'organe de la loi. En un mot, la liberté suit toujours le sort des lois, elle règne ou périt avec elles. (Jean Jacques Rousseau, Lettres écrites de la montagne, Lettre VIII, édité à Amsterdam, chez Marc Michel, en 1764)
Notes
[1] Et non le 17 ; je corrige grâce à la pertinence de ce commentaire qui me rappelant le cas de Rosa Bonheur, me fournit la date exacte de ce texte.
[2] Et non une loi ; le même commentateur m'a permis de voir qu'il s'agit en fait d'une ordonnance du Préfet de police de Paris. On dirait aujourd'hui grosso modo un arrêté préfectoral.
[3] Et non donc, la loi du 26 Brumaire an IX ;voir notes 1 et 2 pour les corrections apportées le 10 septembre à 16 heures 40.
[4] dont le non respect était à l'époque sanctionné par l'article 259 de l'ancien code pénal.
[5] Dans la mesure où le code pénal actuel en son article 433-14 dispose qu'est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende le fait par toute personne, publiquement et sans droit, de porter un costume réglementé par l'autorité publique, je peux rêver à voix haute (cela s'appelle requérir, Eolas D.R.) de poursuites contre une femme en pantalon, puisque le texte réglementaire du 16 brumaire an IX n'est pas abrogé et que manifestement, il constitue une réglementation par l'autorité publique du port public d'un costume, en l'espèce celui d'homme par une femme. Je ne disconviens pas qu'il y a des textes fondammentaux sur l'égalité des sexes qui permettraient de rendre vaines mes poursuites.