Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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vendredi 4 septembre 2009

vendredi 4 septembre 2009

Je disconviens respectueusement

Décidément, c’est un atavisme chez les procs que de me porter la contradiction. Jusque sur mon blog,

Ainsi, Sub Lege Libertas propose une contre-argumentation à mon analyse de l’affaire Anastase contre Balthazar prédisant la confirmation de la victoire du premier. Et le bougre va chercher jusque dans l’arsenal de l’ancien droit et des brocards en latin, connaissant ma vulnérabilité à tout argument proféré dans la langue de Cicéron.

Mais il ne sera pas dit que je me rendrai sans combattre, surtout quand j’ai raison.

Mon premier réflexe de juriste est d’invoquer le respect des domaines. Nemo auditur (l’usage en droit veut qu’on cite un brocard avec ses deux premiers mots sauf si l’un d’eux est un adjectif auquel cas on ajoute le mot suivant : Nemo auditur, Nemo plus juris) est effectivement un adage qui s’applique au droit des obligations (plutôt que le droit des contrats, qui est une sous-division du droit des obligations), et non au droit des successions, qui ne dédaigne pas son latin (le droit des successions adore les langues mortes).

L’argument est valide, mais il est contré par la production par le parquet d’un arrêt de la cour de cassation qui applique cet adage à une hypothèse de droit des successions. Attendez… Vraiment ?

Le parquet a une tendance naturelle, empruntée au Barreau, de voir midi à sa porte. Mais comment reprocher à un procureur né dans le Nord Pas de Calais de vouloir voir le Midi ?

Comme le dit Sub Lege Libertas en commentaire, la Cour de cassation ne commet jamais d’erreur de droit puisque c’est elle qui dit le droit. Donc, c’est Sub Lege Libertas qui a dû se tromper en le lisant. Lisons-le donc nous-même.

Que dit la cour pour casser l’arrêt ayant donné à Micheline les fonds du mineur ?

«…en statuant ainsi, alors que Mme X… se trouvait exclue de la prestation considérée pour une cause qui lui était propre, le décès de son mari étant le résultat de l’acte fautif lui ayant valu sa condamnation, la cour d’appel a violé la règle susvisée [Nemo auditur]…»

Les mots importants sont les mots prestation et cause qui lui était propre

Qu’est-ce qu’une prestation ? Appelons à la rescousse le dictionnaire du droit privé.

Le mot “prestation” désigne l’acte par lequel une personne dite “le prestataire” fournit un objet matériel ou s’acquitte d’une créance envers le ” bénéficiaire de la prestation”. Ainsi le vendeur s’acquitte d’une prestation au moment où il livre à l’acquéreur ce qui a fait l’objet de la vente, le prêteur qui verse la somme empruntée réalise la prestation qui a été prévue par l’emprunt.

Première constatation : une prestation, c’est du droit des obligations. Corollaire : un héritage n’est pas une prestation. Le mort n’a aucune dette envers le vivant, et ce n’est pas en exécution d’un contrat que les biens du défunt vont à ses héritiers.

Le mot “prestation” est largement employé dans le droit de la Sécurité sociale. Le remboursement par l’organisme de sécurité sociale, à l’assuré, des frais médicaux que ce dernier a avancés, est une prestation. Le salaire de remplacement que verse l’Assedic à une personne en recherche d’emploi, est une prestation. On parle alors de “prestations sociales”.

Nous y voilà. Une pension de retraite relève du droit de la sécurité sociale (qui couvre l’assurance maladie, l’assurance chômage, les allocations familiales et l’assurance vieillesse, dite prévoyance). Et une pension (il est plus exact de dire rente mais le mot a pris une connotation négative) est une prestation. C’est l’exécution d’une obligation par la caisse, ici la société de secours minière, contrepartie de l’obligation assumée sa vie durant par le défunt houilleur de cotiser à la société de secours. C’est une forme de contrat d’assurance, mais dont la loi fixe les clauses et rend l’adhésion obligatoire. Il demeure, c’est un contrat, qui relève du droit privé (la preuve : c’est la cour de cassation qui statue dans cette affaire).

Ergo, la cour de cassation a bien appliqué l’adage nemo auditur non pas à une affaire de droit des successions mais de droit des obligations. Le litige opposait la veuve d’un assuré à la société de secours minière, veuve qui agissait non en héritière (ce qu’elle n’était pas) mais en tant que créancière : le contrat lui donne droit à toucher la pension de son mari pendant un an après le décès ou jusqu’aux trois ans du plus jeune de ses enfants. 

En outre, la cour exclut la veuve par ses propres mains pour une cause qui lui était propre (le fait d’avoir estourbi son mari). La cour insiste sur cette cause qui est la turpitude qu’invoque la veuve contre l’adage nemo auditur. Or, Anastase a certes fauté, mais était-ce pour une cause qui lui était propre ? Non, disent de conserve un chœur d’experts ayant conclu à l’irresponsabilité, c’est-à-dire à l’abolissement du discernement. Dès lors, pas de turpitude à reprocher à Anastase, sauf à le rendre responsable de sa folie, ce qui serait à tout le moins une nouveauté. 

Pour conclure, Sub Lege Libertas rêve à voix haute (cela s’appelle requérir) une extension de cette jurisprudence à une hypothèse éloignée de celle d’origine, pour rétablir de l’équité dans cette affaire. J’aime l’équité. Si, si. Elle est très gentille. Mais l’égalité entre héritiers, c’est d’ordre public. 

Je terminerai en disant que je ne vois pas en quoi l’équité permettrait d’interdire à Anastase, poursuivi par Balthazar pour le dédommager de ces décès, et condamné à le payer, à faire valoir ses droits sur la succession pour payer son frère, ne serait-ce que par compensation. Cette condamnation, c’est un transfert d’un patrimoine à l’autre. Balthazar l’a demandé et obtenu. Mais si Anastase renonçait à cette succession, cela reviendrait à payer deux fois son frère. Il n’est pas interdit d’être aussi équitable avec les fous. 

Par ces motifs, plaise à la cour confirmer mon billet. 

Sous toutes réserves, et ce sera justice, n’oubliez pas mon article 700, bande de radins. 

Rentrée des classes : cours de latin ou pourquoi ne pas tuer son mari pour toucher sa retraite de veuve.

par Sub lege libertas


Oui, on peut tuer ses parents et toucher l’héritage. Est-ce si sûr ? Le Maître de ces lieux a démontré juridiquement la béance entre le droit successoral (les indignités) et la morale, voire -j’y ajoute - le droit naturel ou divin (tu ne tueras point). Evidemment, le procureur - qui peut toujours au nom de l’ordre public ou dans l’intérêt de la loi venir donner son avis aux civilistes - ne peut totalement rester taisant. Et que pourrait-il répondre juridiquement pour exhéréder le fils qui a causé la mort de son père dans un geste de démence reconnue pénalement ?

Et bien, il ne parlera pas chinois mais latin ! Et vous vous en doutez ça me plaît bien… Depuis 1948 (selon le Professeur Morvan qui s’est penché sur la question), la Cour de cassation qui contrôle l’usage des règles de droit a recours à des principes de droit qui viennent lui servir de fondement à son analyse quand la référence à un texte législatif n’y suffit pas. Ces principes sont très divers, mais pour nombre d’entre eux, ce sont des adages latins, de vieilles maximes de droit romain qui pour certaines ont parfois été traduites en articles de loi. Mais souvent elles demeurent non écrites, sauf à être visées par un tribunal ou une cour de justice comme référence : vu le principe…

Dans notre beau système judiciaire, cette pratique peut étonner : les jacobins hurleront contre au nom de la prohibition des “arrêts de règlement”, ces jugements par lesquels les cours souveraines de l’Ancien Régime face à la maigreur des textes légaux cuisinaient une règle de droit à leur propre sauce et décidaient qu’elle réglait pour l’avenir (d’où le nom d’arrêt de règlement) la question posée par le litige. Je ne trancherai pas le débat entre les jacobins, les positivistes, les jus-naturalistes et autres oiseaux interprètes des sources du droit pour savoir si le recours à des principes non écrits comme fondement d’une décision judiciaire est une hérésie systémique, un scandale politique (gouvernement des juges) ou l’expression de la normativité de la jurisprudence même sans ”stare decisis”, preuve de l’adaptation permanente du droit à l’évolution de la société. Mékeskidi ? Rien d’autre en français que ce que dit un juge dans son jugement peut servir de référence pour un autre jugement dans un cas similaire, même si ce n’est pas obligatoire, et qu’ainsi sans que la loi ait changé, son interprétation par les juges permet de l’adapter à la réalité de la société.

Je me contenterai de cette pratique établie pour tenter de débouter Anastase de sa demande de part d’héritage de feu son papa qu’il a follement occis. Et voilà donc qu’avec Balthazar le frérot orphelin, le procureur que je suis s’écrie : “Nemo auditur propriam turpitudinem allegans”. Comme l’article 111 de l’ordonnance royale donnée à Villers-Cotterêts le 15 août 1539, insinué au Parlement de Paris le 5 septembre de la même année, toujours en vigueur dans notre pays, m’interdit l’usage d’une autre langue dans les actes judiciaires que la langue françoise, je me reprends et derechef je m’écrie : Nul ne peut alléguer ses propres méfaits pour en tirer profit.

Ah ! Mais ne serait-ce pas de la morale qui sous couvert d’adage latin s’insinue dans le droit pour mettre en échec l’application des textes en vigueur au profit d’Anastase ? J’ose un glissement de terrain sémantique : morale peut-être, équité certainement. Et là, je reste juriste car jus est ars boni et aequi, le droit est le moyen d’être bon et équitable. Le droit anglo-saxon, que je maîtrise certes aussi bien que la langue de Shakespeare parlée par une betizu, use me semble-t-il très bien de cette notion d’équité comme fondement notamment du droit des obligations, là où notre bon vieux législateur post-révolutionnaire nous fait privilégier l’égalité. Mais comme le juge et pas seulement celui de Château-Thierry aime naturellement l’équité quand l’égalité de la loi semble injuste, il trouve refuge dans cet adage “nemo auditur” pour prohiber que l’on tire avantage d’un méfait que l’on a causé.

Bien. Mais cet adage a-t-il déjà été utilisé dans un cas comme celui de nos Abel et Caïn de l’héritage ? Et c’est là où je vais vous parler de mon pays natal, le bassin minier du Nord-Pas de Calais. En ces contrées, Micheline - on l’appellera comme cela - vivait auprès de son Robert retraité des mines, sans doute silicosé, sirotant son café bistoule du matin au soir. Or un jour ou peut-être était-ce une nuit, lassée de la vie que lui faisait mener son Robert, voilà que la Micheline le cogne tant avec tout ce qui lui tombe sous la main que Robert quitte le bas monde de son coron pour l’éternité. Micheline est condamnée pour coups mortels avec arme à cinq années de réclusion criminelle par la cour d’assises de Saint-Omer ou de Douai, peu importe.

Mais bientôt Micheline quitte les murs de sa prison et s’avise que désormais veuve de feu son mineur de fond, elle peut revendiquer la pension de reversion d’ouvrier mineur conformément au décret du 27 novembre 1946, portant organisation de la sécurité sociale dans les mines. C’est la veuve joyeuse version ch’ti! La Cour d’appel de Douai, le 19 février 1993, donne raison à Micheline qui se réjouissait déjà, après voir touché le fond, de le faire désormais au pluriel. Las, la Cour de cassation s’en mêle et sans remettre en cause la réalité du droit à pension ouvert par les textes au profit de Micheline, vise uniquement en tête de son arrêt (et en latin !) la règle “nemo auditur” pour dire à Micheline qu’elle “se trouvait exclue de la prestation considérée pour une cause qui lui était propre, le décès de son mari étant le résultat de l’acte fautif lui ayant valu sa condamnation”.

J’en entends déjà qui disent : “D’accord, mais à la différence de Micheline, Anastase n’a pas été condamné puisqu’il était irresponsable pénalement. Donc, pique nique douille c’est Sub lege libertas l’andouille ” Que nenni ! Car au visa de la règle “nemo audititur” je conclue civilement ainsi : Attendu que Anastase a causé le décès de son père, qu’il a d’ailleurs été tenu de réparer au profit de son frère Balthazar les conséquences de son geste fautif au plan civil, Attendu que Anastase ne peut se prévaloir de son comportement fautif pour revendiquer la qualité d’ayant-droit à la succession de son père, laquelle n’a été ouverte qu’à raison de ce comportement, que dès lors en application de la règle sus-visée, il doit se voir débouter de sa demande…

Attendons donc tous de voir comment la cour d’appel de Nîmes, peut-être sur conclusion de l’avocat général inspiré par la lecture de ce billet, statuera, avant de se soumettre à la tentation d’estourbir ses géniteurs par un fol appât du lucre.

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