Décidément, c’est un atavisme chez les procs que de me porter la contradiction. Jusque sur mon blog,
Ainsi, Sub Lege Libertas propose une contre-argumentation à mon analyse de l’affaire Anastase contre Balthazar prédisant la confirmation de la victoire du premier. Et le bougre va chercher jusque dans l’arsenal de l’ancien droit et des brocards en latin, connaissant ma vulnérabilité à tout argument proféré dans la langue de Cicéron.
Mais il ne sera pas dit que je me rendrai sans combattre, surtout quand j’ai raison.
Mon premier réflexe de juriste est d’invoquer le respect des domaines. Nemo auditur (l’usage en droit veut qu’on cite un brocard avec ses deux premiers mots sauf si l’un d’eux est un adjectif auquel cas on ajoute le mot suivant : Nemo auditur, Nemo plus juris) est effectivement un adage qui s’applique au droit des obligations (plutôt que le droit des contrats, qui est une sous-division du droit des obligations), et non au droit des successions, qui ne dédaigne pas son latin (le droit des successions adore les langues mortes).
L’argument est valide, mais il est contré par la production par le parquet d’un arrêt de la cour de cassation qui applique cet adage à une hypothèse de droit des successions. Attendez… Vraiment ?
Le parquet a une tendance naturelle, empruntée au Barreau, de voir midi à sa porte. Mais comment reprocher à un procureur né dans le Nord Pas de Calais de vouloir voir le Midi ?
Comme le dit Sub Lege Libertas en commentaire, la Cour de cassation ne commet jamais d’erreur de droit puisque c’est elle qui dit le droit. Donc, c’est Sub Lege Libertas qui a dû se tromper en le lisant. Lisons-le donc nous-même.
Que dit la cour pour casser l’arrêt ayant donné à Micheline les fonds du mineur ?
«…en statuant ainsi, alors que Mme X… se trouvait exclue de la prestation considérée pour une cause qui lui était propre, le décès de son mari étant le résultat de l’acte fautif lui ayant valu sa condamnation, la cour d’appel a violé la règle susvisée [Nemo auditur]…»
Les mots importants sont les mots prestation et cause qui lui était propre.
Qu’est-ce qu’une prestation ? Appelons à la rescousse le dictionnaire du droit privé.
Le mot “prestation” désigne l’acte par lequel une personne dite “le prestataire” fournit un objet matériel ou s’acquitte d’une créance envers le ” bénéficiaire de la prestation”. Ainsi le vendeur s’acquitte d’une prestation au moment où il livre à l’acquéreur ce qui a fait l’objet de la vente, le prêteur qui verse la somme empruntée réalise la prestation qui a été prévue par l’emprunt.
Première constatation : une prestation, c’est du droit des obligations. Corollaire : un héritage n’est pas une prestation. Le mort n’a aucune dette envers le vivant, et ce n’est pas en exécution d’un contrat que les biens du défunt vont à ses héritiers.
Le mot “prestation” est largement employé dans le droit de la Sécurité sociale. Le remboursement par l’organisme de sécurité sociale, à l’assuré, des frais médicaux que ce dernier a avancés, est une prestation. Le salaire de remplacement que verse l’Assedic à une personne en recherche d’emploi, est une prestation. On parle alors de “prestations sociales”.
Nous y voilà. Une pension de retraite relève du droit de la sécurité sociale (qui couvre l’assurance maladie, l’assurance chômage, les allocations familiales et l’assurance vieillesse, dite prévoyance). Et une pension (il est plus exact de dire rente mais le mot a pris une connotation négative) est une prestation. C’est l’exécution d’une obligation par la caisse, ici la société de secours minière, contrepartie de l’obligation assumée sa vie durant par le défunt houilleur de cotiser à la société de secours. C’est une forme de contrat d’assurance, mais dont la loi fixe les clauses et rend l’adhésion obligatoire. Il demeure, c’est un contrat, qui relève du droit privé (la preuve : c’est la cour de cassation qui statue dans cette affaire).
Ergo, la cour de cassation a bien appliqué l’adage nemo auditur non pas à une affaire de droit des successions mais de droit des obligations. Le litige opposait la veuve d’un assuré à la société de secours minière, veuve qui agissait non en héritière (ce qu’elle n’était pas) mais en tant que créancière : le contrat lui donne droit à toucher la pension de son mari pendant un an après le décès ou jusqu’aux trois ans du plus jeune de ses enfants.
En outre, la cour exclut la veuve par ses propres mains pour une cause qui lui était propre (le fait d’avoir estourbi son mari). La cour insiste sur cette cause qui est la turpitude qu’invoque la veuve contre l’adage nemo auditur. Or, Anastase a certes fauté, mais était-ce pour une cause qui lui était propre ? Non, disent de conserve un chœur d’experts ayant conclu à l’irresponsabilité, c’est-à-dire à l’abolissement du discernement. Dès lors, pas de turpitude à reprocher à Anastase, sauf à le rendre responsable de sa folie, ce qui serait à tout le moins une nouveauté.
Pour conclure, Sub Lege Libertas rêve à voix haute (cela s’appelle requérir) une extension de cette jurisprudence à une hypothèse éloignée de celle d’origine, pour rétablir de l’équité dans cette affaire. J’aime l’équité. Si, si. Elle est très gentille. Mais l’égalité entre héritiers, c’est d’ordre public.
Je terminerai en disant que je ne vois pas en quoi l’équité permettrait d’interdire à Anastase, poursuivi par Balthazar pour le dédommager de ces décès, et condamné à le payer, à faire valoir ses droits sur la succession pour payer son frère, ne serait-ce que par compensation. Cette condamnation, c’est un transfert d’un patrimoine à l’autre. Balthazar l’a demandé et obtenu. Mais si Anastase renonçait à cette succession, cela reviendrait à payer deux fois son frère. Il n’est pas interdit d’être aussi équitable avec les fous.
Par ces motifs, plaise à la cour confirmer mon billet.
Sous toutes réserves, et ce sera justice, n’oubliez pas mon article 700, bande de radins.