Alors que votre serviteur a chaussé les siennes à la plage, c’est celles de martyr que revendique Olivier Bonnet sur son blog.
Quitte à gâcher un peu ses effets, je me dois de relever un certain nombre d’erreurs qui profiteront ainsi à mes lecteurs qui réviseront ainsi leur droit de la presse et éviteront de commettre la même le jour venu.
Olivier Bonnet se plaint d’être “trainé devant un tribunal” par un magistrat, Marc Bourrague, pour des faits d’injure publique.
Bon, passons rapidement sur ce cliché de traîner devant les tribunaux. Toutes les parties que j’ai vu entrer dans un tribunal étaient debout sur leurs deux pieds, sauf les culs-de-jatte, ça va de soi. Quand bien même Olivier Bonnet serait réticent à comparaître, ce n’est pas le président Bourrague qui le fera entrer dans le prétoire en le tirant par les pieds tandis que ses ongles rayeront le parquet.
Le blogueur ouvre sur une formule péremptoire sur laquelle je reviendrai à la fin : Nouvelle attaque contre la liberté d’expression sur Internet : le magistrat Marc Bourragué me traîne devant le tribunal pour soi-disant “injure publique”. Mais la lecture de l’article révèle que l’attaque n’a rien de nouveau, puisque la plainte remonte à 2007. En fait, c’est l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel qui a été rendue il y a peu : l’instruction judiciaire est terminée, la procédure suit son cours, tout simplement. J’ajoute que le magistrat plaignant n’est pour rien dans cette mesure, qui découle logiquement de sa plainte d’il y a deux ans.
Notre mis en examen s’indigne ensuite de l’état du droit. Après avoir rappelé que l’injure est “Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait ” (Art. 29 de la loi du 29 juillet 1881, il expose que :
C’est pourquoi on ne dispose pas pour se défendre de l’offre de la preuve. Inutile d’expliquer pourquoi on a écrit ce qu’on a écrit puisqu’il s’agit d’une “injure”, donc n’imputant aucun fait. Cette incrimination, dont nous allons voir qu’elle ne tient pas une seconde, m’interdit concrètement de me défendre !
Tout d’abord, on peut se dire que si Olivier Bonnet se prépare à nous démontrer que l’accusation dont il fait l’objet ne tient pas une seconde, c’est que la loi doit quand même un peu lui permettre concrètement de se défendre. Un vide juridique, peut-être…
Ensuite, mes lecteurs devenus experts en droit de la presse auront compris l’erreur du journaliste, qui n’est pas juridique mais logique. L’injure, par définition, ne renfermant l’imputation d’aucun fait (puisque si on impute un fait, c’est une diffamation), l’offre de preuve des faits n’est pas admissible, faute de faits à prouver.
Mais la personne poursuivie pour injure dispose là d’un puissant moyen de défense : qu’elle établisse que le propos imputait un fait, et donc était une diffamation, et la poursuite tombe, irrémédiablement.
En effet, en droit de la presse, les règles sont strictes. Toute erreur dans la citation est sanctionnée de nullité (art. 53 de la loi du 29 juillet 1881), et une citation nulle n’a pu interromptre le délai spécial de prescription de trois mois. Autant dire que quand la nullité est prononcée, le délit est prescrit depuis longtemps.
Olivier Bonnet introduit le rappel des propos qu’il admet avoir tenus en disant que ceux-ci auraient provoqué les foudres du plaignant, du procureur de la république et du juge d’instruction. C’est vouloir faire d’une averse un ouragan.
Ses propos ont sans nul doute provoqué les foudres de la personne visée. Il n’est pas interdit de penser que c’était d’ailleurs leur but. Mais ça s’arrête là.
Le droit de la presse a cette particularité de rester essentiellement privé. Seule la plainte de l’injurié, et s’il est agent public, de son ministre, fait vivre l’action (art. 48 de la loi de 1881). Qu’il la retire, et l’action prend fin, le procureur n’ayant pas le pouvoir de reprendre l’action à son compte. La loi fournit donc à Olivier Bonnet un paratonnerre juridique contre les foudres du procureur.
Enfin, le juge d’instruction est tenu d’instruire ce dont il est saisi. Quoi qu’il pense des faits. La loi lui interdit d’avoir des foudres, puisqu’à force de charges et de décharges, il serait bien en peine de produire de l’électricité. Et en matière de délit de presse, le juge d’instruction a des pouvoirs limités : il se contente d’établir si les propos ont été tenus, par qui, et qui est la personne responsable de la publication (qui n’est pas toujorus l’auteur des propos). Il interrompt la prescription après avoir vérifié qu’elle n’était pas déjà acquise au moment de la plainte. Et c’est tout. Il n’a pas le pouvoir de se prononcer sur la qualification des faits, qui relève du seul tribunal.
Ainsi, en rendant cette ordonnance de renvoi, le juge d’instruction constate, sous le regard placide du procureur, que les propos figurant dans la plainte ont bien été tenus, et qu’Olivier Bonnet est responsable de leur publication. C’est tout. En matière de foudres, j’ai connu plus virulent.
Quels sont les propos en question ?
Il s’agit de deux citations de son blog publiées le 13 novembre 2007. Dans la première, il parle de Marc Bourrague en l’appelant “l’inénarrable ancien substitut du procureur de Toulouse”. Le fait d’être un substitut, fût-il ancien, fût-il de Toulouse, ne pouvant être considéré comme outrageant, c’est le mot inénarrable qui a dû chiffonner le plaignant. Le dictionnaire nous donne deux sens. le premier, vieilli, est Qu’on ne peut raconter; qu’il est impossible de décrire ou d’exprimer. Comme on ne saurait exprimer un substitut sauf à user d’un pressoir géant, c’est donc vers le second sens qu’il faut se tourner : D’une extrême cocasserie. Synonime : burlesque, cocasse, comique, extravagant, impayable (fam.),ineffable (fam.). Le caractère outrageant est ici plus visible. L’expression n’impute aucun fait. Le choix de la qualification d’injure semble pertinent, sans se prononcer sur le caracère effectivement outrageant.
Sur ce propos, Olivier Bonnet se défend en déroulant l’argumentation suivante :
La belle affaire.
Sans vouloir me mêler de ce procès, j’espère qu’il sera plus prolixe à l’audience.
La seconde citation est la suivante : On peut donc légitimement s’interroger, connaissant le CV de ce magistrat, sur son «indépendance » dans le cadre d’un tel procès [le procès Colonna, où Marc Bourrague siégeait comme assesseur dans la cour d’assises spéciale. NdEolas] tant il est évident qu’il est en “coma professionnel avancé”. Les guillemets sont d’origine.
Le propos contient deux imputations : d’une part, une absence d’indépendance, et d’autre part, un coma professionnel avancé.
Le premier point peut, selon le contexte, constituer une diffamation ou une injure. C’est l’argumentation que développe Olivier Bonnet. Ce défaut d’indépendance serait dû à l’existence supposée d’un rapport tenu secret mettant en cause le magistrat dans le cadre de l’affaire Patrice Alègre, qui serait du coup menacé à tout moment d’une sanction disciplinaire, au bon vouloir de sa hiérarchie. Si c’est bien là ce qui ressort du billet en cause (qui semble ne plus être en ligne), on serait effectivement dans le domaine de la diffamation.
Olivier Bonnet met en cause le choix de la qualification d’injure, qui lui interdirait de lancer le débat sur ce point. Mais l’argumentation ne tient pas. D’une part, comme on l’a vu, ce choix inadéquat entraînerait immanquablement la relaxe d’Olivier Bonnet. C’est donc moins une ruse qu’un cadeau. En outre, Olivier Bonnet ne serait pas recevable à présenter une offre de preuve. En effet, à supposer que ces faits fussent établis, ce que je me garderai bien d’affirmer, ils remonteraient aux années 1990 et sont couverts par l’amnistie (en dernier lieu, celle de mai 2002). or l’article 35 de la loi de 1881 interdit l’offre de preuve de faits amnistiés. J’ajoute que du coup, l’accusation d’être sous la menace permanente de sanctions ne tient plus non plus, puisque ces faits amnisitiés ne peuvent non plus fonder une sanction.
Reste enfin le “coma professionnel avancé”. On peut comprendre de ces propos que nonobstant l’absence de sanctions disciplinaires, la carrière du magistrat aurait pris une voie de garage révélant une disgrâce dissimulée. Le seul argument avancé à l’appui de cette affirmation est que c’est “évident”. C’est un peu léger pour constituer une diffamation, la jurisprudence exigeant des faits articulés susceptibles d’un débat. Ce d’autant que ce magistrat a entre-temps été nommé vice-procureur à Montauban, puis cinq ans plus tard vice-président à Paris, où il siège dans deux chambres correctionnelle. Le coma professionnel avancé ne me paraît pas si évident, sauf à considérer que risquer de m’entendre plaider est considéré comme un châtiment dans la magistrature. Le choix de l’injure n’est pas manifestement infondé. On verra ce qu’en dira le tribunal.
Enfin, je voudrais épargner à Olivier Bonnet la perte inutile d’un jour de congé. Il ne sera pas jugé le 4 septembre, c’est une audience de fixation de la date définitive du jugement, une audience d’agenda en somme, avec au besoin fixation des audiences-relais visant à interrompre la prescription tous les trois mois. Sa présence n’est pas nécessaire, bien que le parquet de la 17e a toujours besoin d’être lustré par le ventre d’un justiciable. Son avocat s’en tirera très bien tout seul.
Pour conclure, une remarque plus générale sur l’affirmation “une nouvelle attaque contre la liberté d’expression sur Internet” qui ouvre le billet d’Olivier Bonnet. On me sait chatouilleux sur la question. J’ai pour elle les yeux de Chimène, non pas parce que ce serait la première des libertés (celles de conscience et d’aller et venir pour ne citer qu’elles ont également ma plus haute estime) mais parce que c’est toujours la plus vulnérable. Tout le monde a une excellente raison de vouloir en priver ses adversaires.
C’est pourquoi je tique quand elle est galvaudée.
La liberté d’expression de M. Bonnet n’est pas en cause ici. Il a pu écrire ces propos, et les publier librement, sans demander l’autorisation de quiconque. Son blog n’a pas été fermé à cause de ces propos, et nul ne menace de représailles Jean-Louis Bianco qui lui a apporté officiellement son soutien.
La liberté ne veut pas dire l’irresponsabilité. Chacun doit pouvoir tenir les propos qu’il veut, la contrepartie étant de devoir en rendre compte quand ces propos sont fautifs aux yeux de la loi. Et autant je suis réservé quand la loi prétend protéger un groupe (je n’aime pas, pour faire un euphémisme, les concepts de diffamation “envers les cours, les tribunaux, les armées de terre, de mer ou de l’air, les corps constitués et les administrations publiques”, ou tous les délits prétendant protéger telle ethnie, nation, race ou religion), autant quand elle donne une voie de droit à un individu à la suite des propos tenus par un autre (notez bien le à la suite, qui suppose que les propos ont pu être tenus ; la presse chinoise, par exemple, ne commet jamais de diffamation), je ne trouve rien à redire. D’autant que comme vous l’avez vu, la loi ne laisse pas la personne poursuivie sans protection, c’est le moins qu’on puisse dire.
En attaquant pour injure Olivier Bonnet, Marc Bourrague n’attaque pas la liberté d’expression. Il se défend contre ce qu’il estime être une agression verbale. Le juge dira s’il a raison ou pas. Mais il demeure qu’Olivier Bonnet aurait pu exprimer les mêmes réserves et critiques, fussent-elles infondées, à l’égard de ce magistrat sans encourir de poursuites. Quand on fait un métier de plume, on sait comment chatouiller les limites sans les franchir.
Il est toujours tentant, quand on fait de la politique comme Olivier Bonnet (qui se présente comme “un journaliste engagé” et qui ai-je cru comprendre exprime une certaine réserve à l’égard du président de la République) de se prétendre victime, l’époque s’y prête. Pourtant, si j’ai bien suivi, personne, à commencer par monsieur Bourrague, ne l’a qualifié d’inénarrable blogueur ou de journaliste en coma professionnel dépassé.
Je ne signerai donc pas la pétition ouverte sur son blog, et attire l’attention des éventuels signataires qu’en signant ce texte qui qualifie de fallacieuses les accusations du magistrat et d’abusive sa plainte, ce qui est une imputation de faits précis, ils se rendent, eux, bel et bien auteurs du délit de diffamation.