Par Gascogne
La sortie d’un rapport universitaire sur les interceptions de télécommunication a été l’occasion pour différents journaux, dont le Nouvel Observateur et le Figaro, de titrer sur une “explosion” de ces interceptions, en confondant allègrement les écoutes administratives et les écoutes judiciaires, qui n’ont pourtant pas grand chose en commun d’un point de vue procédural.
L’occasion de faire un point sur ces interceptions.
Je ne traiterai pas des écoutes administratives, qui, jusqu’à une époque très récente, pouvaient être qualifiées de sauvage, mais pour lesquelles un début d’encadrement s’est fait jour, suite notamment à l’affaire dite des “écoutes de l’Elysée”. Une loi du 9 juillet 2004 est venue réglementer cette pratique, et la soumettre au contrôle d’une commission présidée par un magistrat.
Concernant les écoutes judiciaires, elles sont réglementées par les articles 100 à 100-7 du code de procédure pénale. Jusqu’à la loi 91-646 du 10 juillet 1991, la pratique des écoutes n’était pas encadrée. Les juges d’instruction s’appuyaient pour les ordonner sur l’article 81 du code de procédure pénale leur permettant de procéder à tous actes utiles à la manifestation de la vérité.
Afin de s’assurer de la proportionnalité de cette mesure attentatoire au droit à la vie privée, seules les enquêtes portant sur des infractions punies d’une peine supérieure ou égale à deux ans d’emprisonnement peuvent faire l’objet d’écoutes téléphoniques ou de toute autre type d’interception (textos, courriels, correspondances écrites). A noter que cela représente l’énorme majorité des délits et la totalité des crimes.
En outre, seul un magistrat du siège peut ordonner cette mesure. Il s’agit majoritairement des juges d’instruction, mais depuis la loi dite Perben II du 9 mars 2004, les JLD peuvent également ordonner cette mesure dans le cadre d’enquêtes dirigées par le procureur de la République, et à sa requête, en matière de criminalité organisée ou de terrorisme (Art. 706-95 du CPP). Alors que cette mesure est ordonnée pour quatre mois renouvelables par le juge d’instruction, sa durée est limitée à quinze jours (renouvelables) lorsqu’il s’agit d’une écoute sur la base de l’article 706-95. Le texte a prévu que le procureur devait tenir au courant de la poursuite des investigations le JLD qui les a ordonnées, mais je ne pense pas qu’en pratique, cela arrive très souvent (que les JLD qui me lisent me détrompent…). A l’inverse, les résultats des interceptions sont envoyés au juge d’instruction, qui doit les incorporer immédiatement à son dossier, sauf à ce qu’il existe un risque pour la suite des investigations.
Matériellement, le juge d’instruction délivre une commission rogatoire, c’est à dire une délégation de pouvoir, à un officier de police judiciaire, aux fins de procéder à l’interception, entre deux dates, d’une ligne identifiée par un numéro de téléphone, pouvant appartenir à M. ou Mme X. “Pouvant appartenir”, car rien n’est moins sûr en matière de détention de ligne téléphonique, les délinquants sachant particulièrement bien ouvrir une ligne au nom d’un tiers.
Les OPJ réquisitionnent alors l’opérateur téléphonique, et louent en outre à une entreprise privée un appareil d’enregistrement des conversations et de gravure sur CD de ces enregistrements. L’opérateur procède à une dérivation téléphonique de la ligne jusqu’au commissariat ou à la gendarmerie requérante.
L’appareil enregistreur se déclenche automatiquement à chaque communication. Vient ensuite un très long et fastidieux travail d’écoute des conversations, et de retranscription, uniquement si l’OPJ estime que la conversation est en rapport avec son dossier, ce qui lui laisse une marge d’appréciation très large, puisque le juge ne viendra pas écouter la totalité des enregistrements (sauf contestation ultérieure par le mis en examen, puisque les CD d’écoute sont placés sous scellé). Ce travail est pénible, car vous n’imaginez même pas la platitude de la majorité des conversations téléphoniques que nous tenons tous : thèmes principaux, le beau temps et la diarrhée du petit dernier.
La retranscription est tout aussi fastidieuse, car contrairement aux procès-verbaux d’audition, qui sont une synthèse la plus fidèle possible de ce qui a été dit, le pv de retranscription d’écoute se fait au mot à mot. Et s’agissant de langage parlé, cela donne à peut près ça :
X (pouvant être M. Chichon) : Ouais, c’est moi.
Y (pouvant être Mme Chichon) : Ah ?
X : Ouais, pour ce soir…
Y : Nan, pas de blème, quand tu veux…
X : parce que bon…
Y : Ch’suis là vers huit heures.
X : Ah, ouais, parce que, j’voulais dire, quoi…
Y : Je sais, je sais, c’est pas évident pour toi, mais bon…
X : Nan, c’est pas ça, c’est juste que…
Y : T’auras pas le chocolat ?
X : Si, si, les deux tablettes, mais bon, il faut les pantalons très vite.
Y : Ah, il s’est agacé, ton vendeur ?
X : Voilà…Bon, bé, à toute.
Y : A toute.
La hantise de tout juge d’instruction : la lecture d’un tome entier d’écoutes…En outre, en interrogatoire, l’exploitation n’est pas toujours évidente (“J’vous assure, Monsieur le juge, je parlais vraiment de pantalons et de chocolat…”). Les écoutes téléphoniques restent cependant très intéressantes pour réunir des présomptions contre quelqu’un.
Concernant le coût des interceptions, les choses ont évolué depuis quelques années suite à un bras de fer qui a eu lieu entre certaines Chambres de l’instruction et les trois opérateurs français. Ceux-ci ont en effet profité du peu d’entrain de nombre de magistrats à contrôler les dépenses qu’ils ordonnaient pour tarifer à coût prohibitif les dérivations qu’ils mettaient en place. Il ne s’agit pourtant (mais tout technicien est bienvenu à me contredire) que d’une simple manipulation informatique. Le juge d’instruction rend en fin d’interception ce que l’on appelle une ordonnance de taxe, par laquelle il indique le montant à payer à l’opérateur. Il est libre de l’apprécier (sauf en ce qui concerne certaines taxations visées notamment à l’article R 117 du code de procédure pénale). Certains juges d’instruction sont donc entrés en résistance en limitant les sommes demandées, confirmés ensuite par les Chambres de l’instruction, leur ordonnance étant susceptible d’appel, et les opérateurs ne s’en étant pas privés. La Chancellerie a été obligée d’entrer dans la danse, et de négocier les tarifs avec les opérateurs.
Voilà globalement le circuit d’une écoute téléphonique. Ces interceptions restent un outils d’enquête extrêmement précieux. Mais elles ne sont qu’un outil parmi tant d’autres, et une déclaration de culpabilité ne pourrait que difficilement intervenir sur cette seule base, sans que d’autres éléments du dossier ne viennent l’asseoir.