Par Paxatagore
Aux Etats-Unis, les juges fédéraux sont nommés par le président des Etats-Unis, à vie. Comme tout un paquet de hauts responsables, la décision du Président doit être confirmée par le Sénat. Le Sénat donne son accord après une audition, plus ou moins longue, de l’impétrant par le comité judiciaire du Sénat. A cette occasion, on discute de ses conceptions juridiques et, forcément, politique, de ses précédentes décisions (s’il était déjà juge) ou de ce qu’il pense de telles ou telles décisions importantes. C’est un exercice délicat, parfois long, et le candidat a pour objectif d’éviter de se lier les mains tout en se mettant le moins de monde à dos. Certains ne passent pas la barre et sont désavoués par le Sénat. Notre hôte a plusieurs fois évoqué, ces derniers jour, la procédure de nomination, toujours en cours, de Mme Sonia Sottomayor, comme justice à la cour suprême.
Pour autant, il faut bien avoir à l’esprit que ce que le candidat-juge peut dire pendant ces auditions n’a strictement aucune valeur juridique. Il peut donner son avis sur plein de questions, y compris la meilleure façon de cuisiner les petits pois, on ne pourra pas par la suite le révoquer parce que les décisions qu’il rend ne sont pas conformes à ce qu’on attendait de lui. C’est l’une des grandes limites de l’exercice. Cette chronique recense plusieurs cas, fameux, dans l’histoire américaine, où des candidats choisis en fonction des convictions qu’on leur supposait, se sont révélés avec le temps bien différents. Le cas le plus récent est celui de David Souter, nommé par les Républicains et qui faisait alors profession de foi d’originalisme (une doctrine en vogue aux Etats-Unis qui veut qu’on ne doive interpréter la Constitution que conformément à ce que ses auteurs ont ou auraient voulu dire) et qui s’est révélé être en fait beaucoup plus libéral (c’est-à-dire, dans le vocabulaire politique américain et avec plein d’approximation : de gauche).
C’est tout le sel de ces auditions devant le Sénat : sonder le candidat, sa profondeur, sa solidité, pour être à peu près certain des décisions qu’il va rendre.
On pourrait toutefois s’interroger sur la légitimité de ce procédé. Après tout, nous autres Français, nous n’avons aucune procédure de cet ordre. Les candidats à la magistrature sont interrogés sur leurs compétences juridiques par le biais de concours, qui sont corrigés par d’autres magistrats : à aucun moment le pouvoir législatif n’intervient dans la sélection des juges (il faut noter du reste qu’il y a trop de juges en France pour qu’il puisse réellement procéder à un contrôle). Il en va de même pour les conseillers d’Etat, issus de l’ENA ou nommés directement par le gouvernement, ou encore des membres du conseil constitutionnel ou des magistrats de la cour des comptes.
Pourtant, ce procédé me paraît tout à fait légitime. Les décisions qu’un juge va rendre ont des répercussions importantes, sur les parties au procès évidemment mais plus généralement sur l’ensemble de la société (du moins, de temps en temps). Il est légitime de la part de la représentation nationale d’avoir une petite idée de l’état d’esprit de celui ou de ceux qui vont rendre cette décision. Les parties elles-mêmes peuvent souhaiter savoir “à quelle sauce” elles vont être jugées, ne serait-ce que pour adapter leur argumentation en conséquence. La prévisibilité d’une décision de justice est un élément essentiel dans un Etat de droit : chacun doit pouvoir raisonnablement pouvoir connaître l’étendue de ses droits et de ses obligations.
Il me semble que le système américain accepte parfaitement le fait que le juge a des présupposés, de tous ordres et en tire les conséquences : il faut mieux connaître les présupposés du juge, pour pouvoir les combattre utilement le cas échéant. (Il faut prendre le terme “présupposés” au sens large : ce peut être des préjugés ,au sens où l’on entend habituellement ce mot, mais aussi une opinion sur une loi, une pratique juridique, des habitudes…).
Comment fait le système français ? Il tend largement à ignorer les présupposés du juge, du moins en public. La formation des juges n’ignore pas ce point : à l’ENM, on est sensibilisé à ce danger et on est invité à le combattre. On appelle le juge à être son propre garant, ce qui n’est pas vraiment satisfaisant. On cherche ainsi à obtenir des juges qui sont plutôt “neutres”. De la même façon, une bonne partie des présupposés de chaque juge lui viennent de son appartenance à la magistrature : la formation et la cohabitation avec les autres collègues amènent les juges à partager un certain nombre de réflexes communs (dans une certaine mesure évidemment). C’est une façon comme une autre d’assurer une certaine prévisibilité des décisions.
Il est frappant de voir à cet égard que le monde politique ignore totalement cette question, qui pourtant explique largement le clivage important existant entre le monde politique et le monde judiciaire. Peut-être devrait-on instaurer un système similaire à celui des Américains ? Nos juges y gagneraient peut être en légitimité, les hommes politiques seraient conduits aussi à s’interroger sur ce qu’ils attendent d’un bon juge… Toutes sortes de réflexions qui font actuellement défaut chez nous.