Mon ami Authueil reproche souvent aux juristes leur côté pinailleur. Je m'en voudrais de lui donner tort et vais relever cinq erreurs dans son dernier billet, dans lequel il exprime son approbation de la décision d'un proviseur ayant soumis la réinscription d'un lycéen en terminale dans son établissement à l'engagement de sa part de ne pas se livrer à nouveau à un blocage comme il l'avait fait plus tôt dans l'année scolaire pour des motifs politiques.
À titre de prolégomènes, je tiens à signaler que, au-delà de la cause politique qui les a motivé, je n'ai aucune sympathie pour les bloqueurs, que ce soit de fac, de lycée ou de maternelle. C'est une méthode illégale, violente, et une voie de fait d'une minorité qui impose par la force ses décisions à une majorité. C'est à mes yeux inadmissible. Et ne venez pas me parler de démocratie. J'ai assisté à des “ AG ” en amphi : outre le fait qu'un amphi ne contient qu'une patite portion des étudiants, la démocratie y est aussi spontanée qu'en Corée du Nord.
Donc je désapprouve ce qu'a fait ce lycéen.
Néanmoins je suis en désaccord avec Authueil sur 5 points.
Ce lycéen a 17 ans, il n'a plus d'obligation scolaire, s'il veut intégrer un établissement scolaire, il doit en accepter les règles.
Je note sur un coin de papier son âge. Nous avons affaire à un mineur. Un grand mineur, mais un mineur quand même. Je m'en servirai plus tard. Mais le fait qu'il ait dépassé l'âge de l'obligation scolaire est sans la moindre pertinence. Il n'a plus l'obligation de se scolariser, mais il en conserve la liberté, que le Code de l'éducation élève au rang de droit :
Le droit à l'éducation est garanti à chacun afin de lui permettre de développer sa personnalité, d'élever son niveau de formation initiale et continue, de s'insérer dans la vie sociale et professionnelle, d'exercer sa citoyenneté.
Article L.111-1, qui, mes lecteurs l'auront deviné, est le premier article du code (quand je parlerai "du code" dans ce billet, ce sera le Code de l'éducation).
15 ou 17 ans, l'élève a autant de légitimité à vouloir suivre des études, et l'État doit lui en fournir les moyens.
De même, l'obligation scolaire (art. L.131-1 du Code de l'Éducation), de six à seize ans, ne dispense pas d'accepter les règles d'un établissement scolaire sous prétexte que l'élève n'a pas le choix d'être là. Tout établissement a un règlement intérieur qui s'impose aux élèves et aux enseignants. Et ce quel que soit leur âge (là, je pense surtout aux élèves) et leur capacité de compréhension des règles (là, je pense plus aux ados qu'aux maternelles).
Bref, l'argument de l'âge est inopérant dans le sens de la démonstration d'Authueil. Vous allez voir, il va même plutôt dans le sens contraire.
Vu qu'il a allègrement violé le règlement intérieur, et l'a clairement montré en devenant un représentant du mouvement, on peut comprendre les craintes du proviseur sur les risques de récidive. Qui trouverait à y redire s'il s'agissait d'un élève violent et isolé qui perturbe la vie du lycée par son indiscipline ? Pourquoi, parce que ces faits se seraient déroulés dans le cadre d'une action politique, il devrait être absout ? Une perturbation reste une perturbation et on peut très bien manifester et avoir une activité politique sans bloquer un établissement.
Sur ce dernier point, je suis d'accord (bon pour pinailler jusqu'au bout, je dirai qu'on ne le peut pas, mais qu'on le doit). Mais ça s'arrête là. Le proviseur a des craintes ? Je lui recommande la verveine. Il y a des voies de droit pour sanctionner un élève. Et le chantage à la réinscription ne fait pas partie de cet arsenal (article R.511-13 du Code). Car le proviseur n'a pas le pouvoir de sanction : il appartient au conseil de discipline (art. R.511-20 et s. du Code) qu'il saisit et préside (ce qui au passage n'est pas conforme à la convention européenne des droits de l'homme qui exige la séparation des autorités de poursuite et de jugement). En exerçant ce chantage à la réinscription, le proviseur usurpe les prérogatives du Conseil de discipline, dont la composition vise précisément… à limiter le pouvoir coercitif du proviseur.
Bref, pour sanctionner une violation de la loi par l'élève, le proviseur viole la loi. Les enseignants sont censés donner l'exemple, pas le suivre, non ?
On est au lycée pour suivre des cours et si on est pas content de son lycée, on peut en changer, voire le quitter si on a l'âge requis. Rien à voir donc avec le monde du travail.
Premier point : on est au lycée pour suivre des cours. Non. Pour draguer des filles (ou se faire draguer si on est une fille) et rigoler avec les potes/copines.
Ensuite, je pourrais dire qu'on est dans une entreprise pour travailler, et si on n'est pas content de sa boîte, on peut en changer voire prendre sa retraite si on a l'âge requis. Bref, sur ces éléments de comparaison, ça ressemble un peu au monde du travail, le lycée.
En fait, la différence essentielle, car elle existe, ce que les “ syndicats ” d'élèves ne comprennent pas, est ailleurs. Étudier n'est pas un métier, sauf pour Bruno Julliard, et l'élève n'a pas de contrepartie directe à son travail. Il en tire une instruction qui lui permettra plus tard d'accéder à des métiers pointus et donc mieux rémunérés. Le contrat de travail est un contrat d'échange direct : travail contre salaire. Cette relation existe d'ailleurs entre l'enseignant et l'Éducation Nationale, même si le statut est différent (l'enseignant est souvent un fonctionnaire). L'élève est l'usager d'un service public. Il jouit d'une prestation de service : l'enseignement et la mise à disposition des locaux. La seule chose qu'il doit est son assiduité et un comportement conforme au règlement intérieur. C'est là qu'on voit qu'en effet, le lycée et le monde du travail, ça n'a rien à voir.
Quand les salariés manifestent pour des raisons de politique générale, ils ne bloquent pas pour autant leurs entreprises. Ils prennent une journée (de RTT, de congé, de grève...) et vont se joindre à la manif, sans empêcher leurs collègues non grévistes d'aller au travail si ça leur chante.
En théorie. Les piquets de grève ne sont pas une légende. Oh, c'est illégal, bien sûr, comme séquestrer les patrons. Ou bloquer les lycées. Invoquer la différence des comportements est ici erroné puisque les deux comportements sont similaires. ce qui n'est pas un hasard : les lycéens et étudiants singent les moyens de lutte des ouvriers d'usines menacées de fermeture (quand bien même les études qu'ils suivent visent à s'assurer qu'ils n'entreront pas dans la même carrière que leurs glorieux aînés prolétaires).
Il doit y avoir des limites. Ce proviseur a eu le courage d'en poser, qui m'apparaissent très raisonnables, puisque rien n'empêchera le lycéen d'avoir des activités politiques dans l'enceinte de l'établissement. On lui demande juste de ne pas perturber la scolarité de ses petits camarades, ce qui est la moindre des choses.
Non, ce proviseur a au contraire manqué de courage. Il y a des limites, prévues par la loi. À lui de l'appliquer. Il aurait dû lancer une procédure disciplinaire contre tous les élèves bloqueurs, et ce dès le début du blocage. Pour leur permettre de présenter leur défense, de se faire assister de la personne de leur choix, y compris un avocat (art. D.511-32 du Code), et de comprendre que persévérer dans leur attitude les exposerait à un renvoi temporaire ou définitif et à une plainte au pénal, bienvenue dans la vraie vie. Car là aussi, rien n'est plus propice au passage à l'acte que la certitude de l'impunité que donne le nombre d'une part et la couardise des autorités d'autre part.
Au lieu de cela, après avoir plié l'échine sur le moment, signant un aveu de faiblesse[1], il emploie un moyen déloyal et illégal. Il attend que l'élève en question soit isolé, et le prend à la gorge administrativement en détournant ses pouvoirs (le proviseur ne tire d'aucun texte le droit de juger l'opportunité des réinscriptions). Sachant que l'élève en question est mineur, donc censé être plus protégé par la loi, on peut s'interroger sur la véritable vertu pédagogique. En outre, son engagement de bien se tenir (qui est de nature civile) est nul car obtenu par la violence (art. 1111 du Code civil —c.civ— : c'est signe ou tu n'auras pas d'établissement l'année prochaine), est lésionnaire pour le mineur (art. 1315 c.civ : il ne peut que lui nuire) et n'a aucune base légale dans le code de l'éducation.
Enfin, il y a une certaine absurdité de demander à un élève ayant violé le règlement intérieur de s'engager à le respecter sous peine de sanction… sanction qui n'a pas été prise quand le règlement intérieur a été violé.
Bref, une mesure illégale, inefficace et qui déshonore celui qui la prend. Vous l'aurez compris, je ne partage pas l'enthousiasme d'Authueil face à cette mesure. Le pinaillage des juristes, pour qui la fin ne justifie jamais les moyens, que ce soit un blocage de lycée ou de réinscription, en fait de bien sinistres personnages.
PS : Je ne l'avais pas vu, mais Jules le dit mieux que moi.
Notes
[1] Si cette politique du roseau lui a été imposée par la voie hiérarchique, l'administration refusant toute confrontation, ma critique reste la même, mais se transmet par la voie hiérarchique au ministre.