par Sub lege libertas
Chère Maître Laure Heinich-Luijer,
Première secrétaire de la Conférence du stage, avocate au barreau de Paris, vous nous écrivez, à nous magistrats -à moi donc- sans aménité quoiqu’au décours d’une matinée partagée à la formation de magistrats pénalistes rue Chanoinesse, je vous connusse capable de cette « douceur accompagnée de grâce et de politesse » (Littré) pour soutenir sans faiblesse votre cause.
Votre client est mort, mort dans sa folie, mort dans sa prison, mort dans les soupçons sur son innocence que sa folie lui faisait peut-être même perdre de vue et que la justice devait pourtant présumer. Je vous cite :
M.O. s'est pendu dans sa cellule de la Maison d'arrêt de Fresnes.
Il était schizophrène.
Un collège d'experts l'avait déclaré irresponsable de ses actes et capable de s'accuser de faits qu'il n'avait pas commis.
Il existait un doute sur sa culpabilité.
Il n'existait plus de doute sur son irresponsabilité.
Votre thrène -que chacun le lise, çà ailleurs, en entier, c’est impératif- s’il se fait pamphlétaire, n’est pas un libelle ad hominem, n’en déplaise à ceux qui voudraient l’y réduire. C’est une exhortation à l’humanité, une exhortation violente, car à oublier l’urgence de l’homme sans raison dans le temps de la procédure, la mort est survenue non sans raison.
Je ne sais rien du dossier, n’en veux rien savoir et n’en dirai rien, par décence. Je ne viens pas non plus répondre à votre lettre ouverte, adressée à nous les magistrats, si répondre signifiait devoir défendre les magistrats visés dans votre dénonciation de leurs actions ou inactions, de leurs manières de faire ou non en cabinet, en chambre du conseil ou dans le couloir. Je crains de penser qu’à tous, on trouverait de louables intentions, à défaut, d’atténuantes circonstances faites de la litanie convenue des lourdeurs de la procédure, de la charge de travail, de la foi du palais, de l’imprévisibilité du geste d’un fou, d’impondérables divers, etc.
Je pourrais même biaiser en vous renvoyant à la lecture de l’article L3214-3 du Code de la santé publique, pour vous inviter à apostropher plutôt le préfet du Val de Marne qui après tout, aurait pu l’hospitaliser, ce fou trop détenu pour détenir encore le droit d’être fou ; et le directeur de la maison d’arrêt qui pouvait le saisir de cette situation, mais les fous ont tant leur place en geôle et au prétoire, qu’il n’est plus très sain d’esprit de les imaginer à l’hôpital et sans jugement. Mais vous ne pouvez raisonnablement pas vous contenter d’un avis de Ponce Pilate. Quant à déplorer ce fol attrait de notre société pour la culpabilité et l’enfermement des fous, des mineurs et autres qui rassurent les chantres d’une opinion publique enrôlée dans leurs visées idéologiques, pour réelle que soit cette inclination, vous ne pouvez supporter que cela justifie que les magistrats y succombent, l'air du temps soufflant l'esprit de la loi ; du moins aviez-vous espéré que les devoirs de leur état ne les gardassent de ce commun dérèglement.
Je reçois donc votre faire-part et dans le deuil d’un humanisme judiciaire, je vous assure comme magistrat qu’en cet instant, je suis votre confrère.