Par Gascogne
C'est la question que l'on peut se poser à la lecture de l'arrêt du 13 janvier 2009 dans l'affaire TAXQUET c. BELGIQUE. La Cour a en effet conclu à la "violation du droit à un procès équitable, garanti par l'article 6 § 1 de la Convention".
Un des motifs allégués par le requérant portait sur l'absence de motivation de l'arrêt de Cour d'Assises l'ayant condamné à une peine de 20 ans de réclusion pour assassinat.
En la matière, la procédure belge est extrêmement proche de la procédure pénale française (Merci Nap'), à tel point que l'on retrouve au mot près dans l'article du code d'instruction criminelle traitant de la délibération des jurés d'assises des notions bien connues en droit français :
La loi ne demande pas compte aux jurés des moyens par lesquels ils se sont convaincus ; elle ne leur prescrit point de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d'une preuve ; elle leur prescrit de s'interroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement, et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite sur leur raison les preuves rapportées contre l'accusé, et les moyens de sa défense. La loi ne leur dit point : "Vous tiendrez pour vrai tout fait attesté par tel ou tel nombre de témoins" ; elle ne leur dit pas non plus : "Vous ne regarderez pas comme suffisamment établie toute preuve, qui ne sera pas formée de tel procès-verbal, de telles pièces, de tant de témoins ou de tant d'indices" ; elle ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : "Avez-vous une intime conviction".
L'article du code de procédure pénal français, un des mieux écrits de ce code, le 353 dispose ceci :
Avant que la cour d'assises se retire, le président donne lecture de l'instruction suivante, qui est, en outre, affichée en gros caractères, dans le lieu le plus apparent de la chambre des délibérations. La loi ne demande pas compte aux juges des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle ne leur prescrit pas de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d'une preuve ; elle leur prescrit de s'interrogereux-mêmes dans le silence et le recueillement et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite, sur leur raison, les preuves rapportées contre l'accusé, et les moyens de sa défense. La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : Avez-vous une intime conviction ?.
Il semblerait que la Cour Européenne souhaite faire évoluer sa jurisprudence. Elle rappelle en effet que dans une affaire ZAROUALI c. Belgique, et plus près de nous dans l'affaire Papon c. France, si elle a pu accepter que la motivation des décisions de Cour d'Assises se résume aux réponses apportées aux questions prédéfinies, cela n'était que sous la condition que ces questions soient suffisamment précises pour équivaloir à une motivation.
La Cour va plus loin dans cet arrêt, accentuant encore les droits de la personne condamnée[1]. Elle précise que la motivation d'une décision est d'autant plus importante, pour que le condamné puisse accepter la décision, que l'on se trouve en première instance. Or, la Belgique ne connaît pas d'appel possible en matière criminelle.
Depuis l'affaire Zarouali, une évolution se fait sentir tant sur le plan de la jurisprudence de la Cour que dans les législations des Etats Contractants. Dans sa jurisprudence, la Cour ne cesse d'affirmer que la motivation des décisions de justice est étroitement liée aux préoccupations du procès équitable car elle permet de préserver les droits de la défense. La motivation est indispensable à la qualité même de la justice et constitue un rempart contre l'arbitraire. Ainsi, certains Etats, à l'instar de la France, ont institué un double degré de juridiction pour les procès en assises ainsi que la mise en forme des raisons dans les décisions des juridictions d'assises.
Les autorités belges, même si elles ont saisi la Grande Chambre semble-t-il (bien que je n'ai rien trouvé dans l'agenda de la Grande Chambre), préparent une réforme de la procédure d'Assises qui pourrait être compatible avec cet arrêt, s'il venait à être confirmé. L'appel ne semble cependant toujours pas à l'ordre du jour (pour les rédacteurs du projet, l'apport des assesseurs professionnels est jugé marginal et disproportionné par rapport au coût que leur présence entraîne : les collègues français et belges apprécieront...). A noter également que la réforme en question se prépare depuis plusieurs années, ce qui nous change de la méthode française (ici, on propose comme un ballon d'essai, on réfléchi un peu sur la proposition, et on la vote sans se préoccuper des moyens de la mettre en oeuvre).
Mutatis mutandis, comme on adore dire dans les facultés de droit, il semblerait que la procédure d'Assises à la française ait quelques soucis à se faire. C'est peut être une des raisons pour lesquelles la commission Léger a proposé la motivation des décisions d'Assises.
La motivation des arrêts, si elle ne semble que peu sujette à la critique, n'irait cependant pas sans poser quelques problèmes : rédiger un arrêt demande une technicité que seul un magistrat, ou un greffier formé, sera capable d'avoir. Les jurés seront dés lors en partie dépossédés de leurs prérogatives, encore que le principe de rédaction par le magistrat professionnel fonctionne bien dans les juridictions connaissant l'échevinage. Je ne suis par contre pas persuadé qu'elle fera disparaître, comme semblent le vouloir certains avocats, le principe de l'intime conviction, qui n'est au final qu'un mode de preuve. Il s'agira simplement d'expliquer quelles preuves ou présomptions ont emporté la conviction des juges.
En tout état de cause, je suis assez favorable à tout ce qui peut permettre à une décision de justice d'être mieux comprise. Et je n'ai jamais adhéré au raisonnement consistant à penser que les jurés d'Assises ne doivent pas motiver leurs décisions, ni ne peuvent faire l'objet d'une procédure d'appel, car la représentation populaire ne peut se tromper. Certains procès récents ou anciens nous ont démontré le contraire.
Notes
[1] mode message subliminal on : comme quoi, vous voyez bien que les institutions européennes nous font progresser. Alors le 7 juin, votez...