Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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vendredi 29 mai 2009

vendredi 29 mai 2009

La guerre du dépôt

Une guerre souterraine se joue actuellement au palais, et les avocats, menés par les Secrétaires de la conférence, viennent de remporter une première victoire après plusieurs défaites.

D'abord, voyons le champ de bataille. Il se situe sous le palais et se divise en deux parties : le dépôt et la souricière.

Europe 1 a réussi à envoyer au dépôt (non, pas Vittorio de Filippis…) un journaliste muni d'un appareil photo qui raconte ce qu'il a vu et nous montre ces images.

Le dépôt, géré par la préfecture de police et donc du personnel de la police nationale, reçoit les personnes retenues par la police jusqu'à leur présentation à un magistrat qui décidera de leur sort (soit procureur qui les dirigera vers une comparution immédiate pour un jugement immédiat, un juge des libertés et de la détention pour un jugement plus éloigné dans le temps mais avec placement sous contrôle judiciaire, ou éventuellement une simple convocation sans autre mesure, ou un juge d'instruction déjà en charge du dossier).

La souricière, gérée par les gendarmes du palais, reçoit les personnes déjà incarcérées qui doivent comparaître devant un juge et prend en charge les locataires du dépôt lors de leur escorte vers le magistrat ou la salle d'audience. C'est un réseau de couloirs séparés du public qui aboutissent dans certaines salles d'audience, avec ici et là quelques cages, il n'y a pas d'autre mot, sans sanitaires, ou sont entreposés les personnes escortées.

Cela fait des années que l'état déplorable du dépôt est dénoncé, et pas que par ces chochottes droitdel'hommmistes que sont les avocats. Le commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe s'y est mis aussi et c'est pas glorieux. Extrait de son rapport  :

22. En effet, les locaux de certains tribunaux donnent l’impression d’être vétustes et d’appartenir à un autre temps. Les bureaux des magistrats que j’ai visités m’ont paru étroits, ne procurant pas à leur(s) occupant(s) l’espace dont ils auraient besoin. Or, il est évident que les bureaux de magistrats ne servent pas seulement à étudier les dossiers. Les magistrats y reçoivent des parties et y tiennent même certaines audiences.

23. Une situation particulièrement pénible existe au sein de certains endroits appelés « dépôts ». Les dépôts sont des zones sécurisées composées généralement de cellules individuelles et collectives recevant les personnes détenues dans des lieux de privation de liberté – commissariats ou établissements pénitentiaires – et qui sont transférées dans les tribunaux en vue d’audiences ou d’autres besoins procéduraux. La spécificité des dépôts, qui sont placés de jure sous l’autorité du juge comme tous les locaux se trouvant dans l’enceinte des tribunaux, mais de facto sous celle de la police qui s’occupe de la garde des détenus, a pour conséquence qu’aucune de ces deux autorités ne se sentirait, selon mes interlocuteurs, complètement investie de la responsabilité de ces endroits.

24. Dès lors, la situation matérielle de certains dépôts reste désastreuse et ne correspond en aucun cas aux besoins d’une société moderne. Afin d’étudier personnellement cette question, je me suis rendu dans le dépôt du Palais de justice de Paris et dans celui du TGI de Bobigny.

25. En ce qui concerne le dépôt du Palais de justice de Paris, il s’agit d’un très vieux bâtiment chargé d’histoire et l’endroit reflète les événements qui s’y sont passés au cours des siècles. Ceci étant dit, l’intérieur du dépôt de Paris continue de donner une image très peu flatteuse de la justice française. Au même endroit se trouve d’ailleurs le centre de rétention des étrangers en instance d’expulsion, qui m’a frappé par les images qu’il reflète, images d’un autre temps et d’une époque que toute personne civilisée pourrait croire révolue en France, j’y reviendrai plus loin dans le chapitre consacré aux étrangers. Le dépôt, qui jouxte le centre de rétention s’en différentie bien peu, même s’il paraît qu’il a subi récemment un certain nombre de travaux.

C'était en 2006. Rien n'a changé, hormis le déménagement du Centre de Rétention, pour lesquels les mots étaient les plus durs, pour le nouveau site de l'École de police du bois de Vincennes.

La politique menée jusqu'à présent par la préfecture était “ un coup de gueule médiatisé = un coup de peinture ”.

En novembre 2008, les avocats de Créteil ont réussi un joli coup. Ils ont demandé et obtenu qu'un juge du tribunal soit chargé d'aller visiter le dépôt de Créteil (35 ans et encore plus vétuste que celui de Paris). Ce dernier a rendu un rapport dantesque sur lequel se sont appuyés les avocats pour soulever une nullité du procès verbal de citation en comparution immédiate.

J'aime, chers mékéskidis, le regard que vous avez quand vous lisez ces mots et que votre bouche s'élargit pour laisser échapper un « Hein ? » un rien paniqué.

Je vous explique.

Un tribunal ne peut juger qui bon lui chante selon son humeur. Un juge ne peut statuer que s'il a été officiellement chargé de statuer. On dit que le juge est saisi. Un juge non saisi ne peut statuer et toute décision qu'il prendrait serait nulle. C'est une des premières choses que vérifie tout juge au début de l'examen d'un dossier : il s'assure de l'identité de la personne jugée, de l'existence de l'acte de saisine, et de sa compétence, c'est-à-dire s'il est bien le juge que la loi désigne pour statuer.

Un tribunal statuant sur une comparution immédiate est saisi par un document d'une ou deux pages s'appelant un procès-verbal de comparution immédiate. C'est un document signé par un procureur et constatant que devant lui se présente telle personne (identité complète), et qu'il lui fait savoir qu'il lui est reproché des faits de telle nature (date et lieu des faits, qualification légale, citation des textes légaux définissant et réprimant l'infraction), et mentionnant ses observations éventuelles. Puis l'acte constate si l'intéressé demande un avocat et lequel. Suit la signature de l'intéressé ou la mention qu'il refuse de signer. C'est ce document qui fait que le dossier est enfin accessible à un avocat, puisque le législateur estime que toutes les opportunités d'obtenir des aveux hors l'assistance d'un avocat sont désormais épuisées (et je ne suis qu'à peine ironique en disant cela).

L'argumentation des avocats cristoliens était la suivante et elle est astucieuse.

La convention européenne des droits de l'homme prohibe les traitements inhumains et dégradants, et l'article 6 exige le respect du droit à un procès équitable. Or une personne jugée en comparution immédiate, qui a passé 48 heures en garde à vue où elle n'a pu dormir que sur des bancs de bois ou de pierre, et une nuit au dépôt dans ces conditions vient de subir des traitements dégradants et est dans un état d'épuisement tel qu'elle ne peut assurer sa défense de manière satisfaisante.

Les avocats demandent donc au tribunal d'annuler ce procès verbal de comparution immédiate qui viole ces droits fondamentaux. La conséquence est que la procédure elle-même n'est pas annulée (tous les interrogatoires et perquisitions effectuées antérieurement à son passage au dépôt restent valables), seul l'est l'acte saisissant le tribunal. Dès lors que le tribunal n'est as saisi, il ne peut statuer : le prévenu est remis en liberté, libre au procureur de le citer à nouveau selon les formes de droit commun.

L'avantage de cette méthode sur la demande de délai pour préparer sa défense, qui est de droit et ne peut être refusée, est que le tribunal n'étant plus saisi, il ne peut plus décerner mandat de dépôt : le prévenu n'est plus prévenu et doit être remis en liberté, il ne peut être placé en détention dans l'attente de son procès. Elle suppose toutefois que le prévenu ait passé la nuit au dépôt, les déférés du matin arrivés à 11 heures et jugés à 16 heures ne subissant pas la même chose que ceux arrivés la veille à 20 heures.

Les bonnes idées étant par nature libres de droit (les mauvaises aussi, d'ailleurs, mais elles risquent moins la copie) le barreau de Paris, en la personne des secrétaires de la conférence, ministres de la défense pénale d'urgence, a aussitôt suivi la voie tracée par nos excellents quoique banlieusards confrères.

Le 26 février dernier, deux d'entre eux, choisis pour leur courage et le fait qu'ils n'ont pas d'enfants, sont descendus dans le méphitique cloaque aux fongus fétides, et ont rédigé un rapport remis au Conseil de l'Ordre (pdf).

Le 16 avril dernier, le bâtonnier himself, est allé plaider aux côtés du Cinquième secrétaire David Marais et devant la 23e chambre, celle consacrée aux comparutions immédiates, des conclusions visant au prononcé d'une telle nullité du procès verbal de comparution immédiate. Conclusions rejetées, pour des motifs que j'ignore encore. Premier revers. Mais un juge du tribunal de Paris a à son tour été mandaté pour aller visiter les lieux et faire un rapport pour ses collègues. Tout n'était donc pas dit. En attendant, le Bâtonnier invitait les avocats de permanence à continuer à déposer des conclusions de nullité dont vous trouverez le modèle ici.

Le deuxième a eu lieu le 13 mai, quand la 11e chambre de la cour d'appel de Paris a annulé les jugements du tribunal de Créteil qui avaient eux même annulé les procès-verbaux de comparution immédiate. Sans conséquence pour les prévenus qui avaient été depuis longtemps remis en liberté, mais un message clair pour les juges de Créteil : arrêtez de jouer à ça. Les motifs de la cour sont tout de même assez sidérants et un rien cyniques. La cour a, d'après ce que j'ai lu, constaté qu'effectivement, les conditions de détention dans le dépôt de Créteil étaient inacceptables et contraires aux droits de l'homme, mais qu'aucun texte du code de procédure pénale ne permettait au juge d'annuler un procès verbal de comparution pour ce motif. En somme, violer les droits de l'homme n'étant pas illégal en France, circulez, il n'y a rien à annuler. Deuxième revers, et de taille, car la cour d'appel de Paris est aussi compétente pour le tribunal de Paris.

Ce mercredi 27 mai, le député André Vallini a utilisé le droit que lui accorde la loi de visiter tous les lieux de détention pour se rendre au dépôt. Il a lui aussi pris des photos, visibles sur le site de France Info. Bravo monsieur le député.

Et pourtant, coup de théâtre. Hier, la 23e chambre, ayant reçu le rapport du magistrat envoyé au Dixième Cercle, a fait droit aux conclusions déposées par les avocats de la défense et annulé cinq procès-verbaux de comparutions immédiates.

Je vous rappelle que les cinq prévenus n'échappent pas aux poursuites mais reviendront libres pour être jugés selon le droit commun. Et même s'ils ne reviennent pas, ils seront valablement jugés en leur absence.

Et devinez quoi ?

Une demi-heure après que cette nouvelle a été connue, qu'annonce la Chancellerie ?

Mme Rachida Dati, Garde des Sceaux, ministre de la Justice a décidé d'affecter en urgence une somme de 1 million d'euros pour rénover les locaux du dépôt du tribunal de grande instance de Paris.

Cette somme, s'appuyant sur les crédits du plan de relance décidé par le Gouvernement, permettra de financer deux tranches de travaux, qui débuteront dés le mois de juillet 2009, et qui porteront notamment sur la rénovation des cellules et des espaces communs.

Vous vous souvenez de ce que je vous disais ? “ un coup de gueule médiatisé = un coup de peinture ”.

Mais bon, sans se faire d'illusions sur la sincérité du geste, ne boudons pas notre plaisir. À une semaine de son départ de la Chancellerie, Rachida Dati se comporte enfin en Garde des Sceaux. Il était temps que je puisse le dire un jour : bravo et merci.

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