Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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vendredi 22 mai 2009

vendredi 22 mai 2009

Délinquant né et suspect d’en être capable : l’enfant.

par Sub lege libertas


“Les enfants naissent libres de ne pas être délinquant et égaux en droit d’être soupçonné.” On pourrait ironiquement formuler ainsi le principe de la responsabilité pénale des mineurs en France à ce jour. Car avant même les interrogations techniques de Maître Eolas sur la possible ou l’impossible retenue etc. par des policiers d’un mineur âgé de 10 ans ou 6 ans, il faut rappeler que notre droit est totalement archaïque : il ne fixe aucune limite d’âge en deçà duquel la loi interdirait simplement de rechercher la responsabilité d’un mineur comme auteur d’une infraction pénale. Mais non, hurlez-vous : la majorité pénale est fixée à 13 ans par l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 modifiée relative à l’enfance délinquante ! Il paraît même qu’il faut réform... Stop !!! reprenons calmement :

L’article 122-8 du Code pénal fixe comme critère de capacité pénale pour le mineur, c’est à dire pour être reconnu coupable d’un crime d’un délit ou d’une contravention, la notion de discernement. Quezaco ? Et bien seul un mineur “capable de discernement” quel que soit son âge peut être regardé par la justice comme auteur d’une infraction pénale.

Cela signifie que légalement rien (le bon sens peut-être, mais ce n’est pas une loi) n’interdit un procureur ou un officier de police judiciaire de suspecter un enfant de six ans d’un vol ; et de faire une enquête pour d’une part rechercher les preuves de sa culpabilité, mais aussi les éléments qui établissent son discernement, c’est à dire grosso modo sa capacité à distinguer le bien et le mal, ou plus simplement encore le fait qu’il avait conscience de l’interdit qu’il a violé. Donc, non seulement le policier pourra interroger l’enfant suspecté, mais pour ne pas se contenter de ce qu’il dit savoir de l’interdit, avoir recours à un avis de psychiatre ou de psychologue pour établir le discernement.

Cet état de notre droit est tout simplement scandaleux ! D’une part depuis 1989, la convention internationale des droits de l’enfant recommande aux Etats signataires de fixer un âge en deçà duquel aucune responsabilité pénale ne peut être recherchée (article 40 - 3°a de la convention). Bref, une immunité pénale sans enquête de police judiciaire possible à l’égard du mineur. D’autre part, il maintient en droit interne, la vieille notion de droit canon “d’âge de raison” (vous savez, vers sept ans, quoi!) Si elle avait un sens quand elle fut développée, il y a huit siècles (merci Saint Thomas d’Aquin et le IVe concile du Latran qui impose la confession (l’aveux des fautes) au laïc parvenu à cet âge), elle commence sans doute à manquer d’actualité... D’ailleurs, les experts requis pour trancher sur le discernement de l’enfant raisonnent somme toute avec le même substrat intellectuel que le droit canon, même si leur formulation est contemporaine.

Mais alors, dites vous, et ces seuils d’âge : 10 ans, 13 ans, 16 ans dont on entend parler chaque fois qu’on annonce qu’il faut réformer la fameuse ordonnance de 1945 ? Et bien, ils fixent juste des limites de contrainte possible à l’égard des mineurs :

  • - en deçà de 10 ans, le policier peut, comme pour un majeur, conduire en flagrance l’enfant au commissariat en avisant immédiatement ses parents ou l’y contraindre en enquête préliminaire, s’il n’est pas venu à une convocation. Le policier peut le retenir uniquement le temps de son audition avant de le remettre à ses parents et de leur donner connaissance de ses propos. La justice des mineurs, qui peut être saisie si le discernement est établi, peut condamner prononcer dit-on pour édulcorer, uniquement des mesures éducatives pouvant aller jusqu’à un placement tout de même.
  • - de 10 à 13 ans, le policier peut dans certains cas (assez larges en fait) avec l’accord préalable du procureur, retenir durant 12 heures le mineur au commissariat et même demander si nécessaire une prolongation de la retenue pour 12 heures de plus maximum. La justice des mineurs saisie - il y a là une présomption de discernement implicite - peut non seulement prononcer des mesures éducatives, mais aussi des sanctions éducatives (comme des interdictions de paraître dans certains endroits, des confiscations d’objet, des stages civiques ...)
  • - enfin à partir de 13 ans la garde-à-vue de 24 heures est possible, avec dans certains cas une prolongation, et la justice des mineurs peut condamner (là on le dit) à des peines dont l’emprisonnement dont le maximum est la moitié de la peine prévue pour les majeurs. Et à compter de 16 ans, pour faire simple, la situation du mineur se rapproche très fortement de celle du majeur pour sa garde-à-vue, le risque de peine encourue et la possibilité de détention provisoire.

Voilà, alors les policiers de Floirac ou Cenon sont zélés, certes. Ils ont peut-être une conception très ancienne de l’âge de raison par rapport au vol. Mais, ils n'ont pas choisi d’avoir un droit aussi peu protecteur de la petite enfance par rapport au questionnement pénal. Un espoir ? Et bien de façon incroyable oui, dans l'avant-projet de Code de la justice pénale des mineurs, qui pour le reste méritera des commentaires plus sévères (quand j'aurais le temps, Dadouche, help me). Si l’on en croit la mouture de travail, l’article 111-1 (le premier) affirmera que la responsabilité pénale n’est prévue que pour les mineurs âgé de treize ans et plus. Comme pour le confirmer, l’article 111-7 précisera que pour les mineurs de 10 à 13 ans, auteurs d’une infraction pénale, l’enquête de police ne vise qu’à établir les élements pour asseoir la responsabilité civile des parents. Jamais, je n’aurais pensé que la réforme tant annoncée pourrait avoir cette audace sur ce point... Demain peut-être en France un enfant pourra naître, non plus suspect possible, mais jusqu'à 13 ans, innocent.

Aux âmes bien nées, la retenue n'attend pas le nombre des années

Il y a des fois où je redoute d'arriver au bout de mes réserves d'indignation tant elles sont sollicitées. On avait déjà vu des policiers débarquer dans une classe de maternelle pour emporter deux enfants de 3 et 6 ans à expulser avec leur mère (vous ne me croyez pas ? C'est un horrible canard gauchiste qui le raconte), on avait déjà vu quinze gendarmes embarquer une famille avec un bébé de quatre mois pour placer tout le monde en rétention à 500 km de là. Six policiers entourent et escortent une fillette d'environ quatre ans, tache de rose au milieu du bleu nuit.

La série continue, cette fois ci sans aucun lien avec le droit des étrangers.

Une mère habitant Floirac, en Gironde, aperçoit un jour à l'école Louis-Aragon où va son fils une bicyclette ressemblant fort à celle que son fils s'était fait voler peu de temps auparavant. Elle va s'en plaindre auprès du directeur d'établissement, lui demandant de saisir cette bicyclette. Le directeur lui répond à juste titre qu'il n'en a absolument pas le pouvoir, cette affaire étant étrangère à l'établissement et concernant la vie privée des enfants. La mère n'en démord pas et va porter plainte à la police pour vol.

En Gironde, on ne plaisante pas avec le vol de bicyclette.

Deux voitures de police et six fonctionnaires vont donc attendre à la sortie le cycliste suspect. Âgé de dix ans. Et là, problème. Le vélo volé était vert, et celui du voleur présumé était bleu. Le gamin faisant défaut, c'est la littérature qui a volé, mais au secours de la force publique : si ce n'est toi, c'est donc ton cousin, âgé de six ans, qui lui a un vélo bleu. Que la mère du bambin spolié reconnaît comme étant un vélo volé à son fils il y a deux ans. Peste ! Ça sent la bande organisée. En tout cas, on cherchait un vélo d'un certain modèle vert, on a un vélo de ce modèle mais bleu, et on a un vélo d'un autre modèle mais vert. L'enquête progresse à grands pas. Tout le monde au commissariat.

Les enfants vont passer deux heures au commissariat, avant que la mère du voleur présumé n'arrive avec une attestation d'un sous-officier de l'armée de l'air jurant qu'il avait acheté lui-même le vélo suspect au gamin, ce que ce dernier expliquait depuis deux heures.

Au temps pour nous, dirent les policiers, remettant les enfants en liberté, une larme à l'œil à l'idée de ne pouvoir mettre une croix dans la case “affaire élucidée” des chiffres du commissariat, mais néanmoins consolés de pouvoir en mettre une voire deux dans la case “gardes à vue”, puisque ce critère fait partie des chiffres exigés par le ministère de l'intérieur dans cette culture du résultat qui fait tant de dégâts.

Les faits sont relatés par un article de la Dépêche.

En droit, que s'est-il passé ?

Rien que de très banal, dans un premier temps du moins. Un enfant mineur a été victime d'un vol de bicyclette (crime pour lequel je n'ai aucune sympathie, mes lecteurs savent pourquoi). Sa mère, titulaire de l'autorité parentale et en qualité de représentante légale, est allée porter plainte auprès de la police, précisant qu'elle avait cru reconnaître le vélo de son fils entre les jambes d'un des élèves de l'école primaire fréquentée par son fils.

L'officier de police judiciaire ayant reçu cette plainte a ouvert une enquête, en flagrance semble-t-il vu l'arrestation à la sortie de l'école, en se fondant sur l'article 53 alinéa 1er du code de procédure pénale : dans un temps très voisin de l'action, la personne placée en garde à vue était poursuivie par la clameur publique (en fait, la clameur de la mère de la victime, mais cela suffit). Une autre hypothèse est une enquête préliminaire, mais dans ce cas, il y aurait dû y avoir une convocation au commissariat non suivie d'effet pour permettre l'interpellation (article 78 du CPP) et la hiérarchie policière interrogée par la presse n'en fait pas état.

Il ne vous aura pas échappé, à vous du moins, que les mis en causes étaient mineurs. Très mineurs, même. La loi en tient compte, et c'est là que le bât me blesse.

Le plus âgé des deux avait dix ans révolus. Il ne pouvait donc être placé en garde à vue (c'est à partir de treize ans), mais, “ à titre exceptionnel ” dit la loi, retenu à la disposition d'un officier de police judiciaire. C'est l'article 4 de l'ordonnance du 2 février 1945, celle que la belle du septième (arrondissement) veut réformer pour durcir allègrement.

Cependant, cet article précise que cette retenue ne peut avoir lieu qu'avec l'accord préalable et sous le contrôle d'un magistrat du ministère public ou d'un juge d'instruction spécialisés dans la protection de l'enfance ou d'un juge des enfants, pour une durée qu'il détermine et qui ne peut excéder douze heures (renouvelable une fois après présentation du mineur au magistrat). La durée a été respectée (la retenue n'a duré “ que ” deux heures) mais cela signifie qu'un magistrat a nécessairement donné son feu vert à la mesure (il n'avait pas à être consulté sur les modalités de l'interpellation à la sortie de l'école, je doute qu'il ait approuvé).

Autre problème : le bambin de 6 ans. Âgé de moins de dix ans, celui-ci ne peut en aucun cas faire l'objet d'une mesure de garde à vue ou de retenue ou de quoi que ce soit qui s'apparente à une arrestation (Ordonnance du 2 février 1945, article 4 toujours). À quel titre a-t-il été embarqué et gardé au commissariat ? L'article précise que l'enfant de dix ans attendait son petit frère à la sortie de la maternelle. Il eût été compréhensible que les policiers le prissent avec eux pour éviter qu'il ne se retrouvât livré à lui-même, mais il ne semble pas, à la lecture de l'article, que le cousin de six ans dût être escorté par notre faux voleur de bicyclette ; au contraire il ressort bien de cet article qu'il a été conduit au commissariat à cause des soupçons pesant sur son vélo vert (je sais, c'est compliqué, c'est de la délinquance organisée, n'oublions pas). En tout état de cause, le magistrat ayant autorisé l'interpellation de mini-Mesrine a-t-il été informé qu'il venait accompagné d'un enfant de six ans ?

Questions que je me pose mais auxquelles je ne peux apporter de réponses.

Le directeur départemental de la sécurité publique m'en propose une : c'est un non événement. “ Les services de police ont agi par rapport aux réquisitions d’une victime, sans excès d’aucune sorte. ” Si vous comptez sur l'État pour vous protéger, vous et vos enfants, demandez-vous donc avec Juvénal[1] qui vous protégera de l'État. Le bal des hypocrites est ouvert en tout cas au gouvernement qui feint d'être surpris des résultats de la politique qu'il a lui-même ordonnée (j'ai la flemme de faire des liens pour ça).

En tout état de cause, cette lamentable affaire, à la veille d'une grande réforme annoncée du droit pénal des mineurs qui n'ira certainement pas dans un sens de plus grande protection permet de rappeler opportunément un point essentiel qui, à lire les propos va-t-en guerre du gouvernement sur ce point, semble avoir été totalement oublié.

À côté des deux grandes catégories de mineurs qui retiennent l'attention du gouvernement, les enfants victimes et les enfants délinquants, il en existe une troisième, de loin la plus nombreuse : les enfants innocents. Ce ne serait pas plus mal que la loi les protège un peu aussi, ceux-là, quand bien même la seule menace qui pèse sur eux émane de l'État lui-même. Surtout à cause de cela, en fait.


Post-scriptum : un mot sur la photo d'illustration. Six policiers entourent une petite fille toute de rose vêtue. À gauche, un homme porte dans ses bras un petit garçon de deux ans, il est suivi de deux enfants de huit et treize ans environs. La police ne semble pas se soucier d'une possible tentative de fuite…C'est un recadrage de cette photo (AFP/Jack Guez). C'est une photo prise en 2006 à la sortie du tribunal administratif de Cergy Pontoise, d'une famille faisant l'objet d'une reconduite à la frontière avec placement en rétention. Les policiers entourent la fillette, et se désintéressent du reste de la famille, visible à gauche de la photo, dont aucun membre n'est menotté. C'est une technique couramment utilisée. L'escorte s'assure de la personne de la fillette. Ainsi, les policiers sont sûrs que la famille ne tentera aucune évasion, qui impliquerait d'abandonner cette petite fille. Les policiers justifient cette ruse habile en expliquant que “ c'est plus humain ainsi ”.

Notes

[1] Quis custodiet ipsos custodes ? Qui nous gardera de nos gardiens ?

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