Les deux principaux syndicats des magistrats administratifs (SJA et USMA) ont appelé à un mouvement national de mobilisation le 4 juin prochain, pour protester contre le sort fait à la justice administrative, qui n'est guère à envier par rapport à son alter ego judiciaire.
Piqûre de rappel : la justice administrative ? Judiciaire ? C'est quoi la différence ? Réponse ici.
Le principal motif de mécontentement porte sur la multiplication du contentieux à juge unique et à la suppression du rapporteur public, autrefois commissaire du gouvernement. Et devinez quoi ? Le manque de moyen. Il est criant. Il ne s'agit pas de revendication sur les rémunérations, mais sur le budget alloué aux juridictions, en tel sous effectif que les délais de jugement sont de l'ordre de deux ans en moyenne, certaines juridictions étant sinistrées (J'ai du stock de 2006 qui n'est même pas cloturé). Il s'agit d'une spécificité de la juridiction administrative : un magistrat indépendant, qui étudie le dossier de son côté et indique la solution qui selon lui s'impose en droit. Contrairement au parquet devant les juridictions judiciaires, le rapporteur public est totalement indépendant, tandis que le parquet est hiérarchisé ; il donne son avis en son âme et conscience, ce qui le rapproche du parquet encore que le parquet doit suivre les instructions écrites qu'il reçoit, sa parole à l'audience restant libre, tandis que le rapporteur public est libre y compris dans ses écritures (il n'a que peu de mérite, puisqu'il donne un simple avis), et il ne peut agir en saisissant lui-même la juridiction administrative. Il n'est pas partie au procès et ne l'est jamais ; le parquet l'est toujours.
La justice administrative est aussi la plus légaliste qui soit. C'est le régal des juristes qui peuvent disséquer à l'infini des combinaisons de textes apparemment inextricables. Là aussi, c'est la nature des choses : le défendeur est toujours l'État ou une personne morale de droit public. Une entité qui agit selon le droit, et dont on conteste un de ses actes. Toute légitimité, toute autorité émanant nécessairement de la loi, juger l'exercice de ce pouvoir, c'est juger l'application de la loi. Alors que devant les juridictions judiciaire, l'établissement des faits peut occuper une grande part des débats, le débat purement juridique est souvent prédominant devant les juridictions administratives. Même pour les reconduites à la frontière.
La justice administrative est ainsi d'une importance essentielle. C'est elle qui a le pouvoir d'arrêter la puissance de l'État, de mettre fin à une illégalité commise par l'entité en charge du respect de la légalité. C'est le contre-pouvoir du plus puissant des pouvoirs : l'exécutif. Sans elle, nous sommes tous nus face au Léviathan. Y compris les juges, puisqu'en dernière analyse, le Conseil d'État, la plus haute juridictions administrative (la cour de cassation administrative, pour simplifier énormément) jugent les décisions relatives à leur carrière et à leur discipline.
Bref, ce n'est pas parce qu'on a ajouté le mot administratif au mot justice que ce dernier est diminué, atténué. Les juges administratifs sont des juges à part entière, gardiens de notre liberté. À tous. C'est face à eux que je vais me battre contre les préfets pour défendre mes clients étrangers sans-papiers, pour leur rappeler que ce ne sont pas des sans-droits pour autant.
Et à part les étrangers, qui ne vous intéressent pas tous, ce sont vers les juridictions administratives que vous vous tournerez pour la plus grande part du contentieux fiscal, pour les permis de construire, pour la réparation des dommages causés par l'État (les fissures dans vos murs à cause des travaux de voirie, mais aussi votre enfant qui meurt à l'école, votre père mal soigné qui décède dans un hôpital public…).
Et même si parfois certains de leurs jugements me font grincer des dents, mes juges administratifs (le terme exact est conseiller des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel, conseillers TA-CAA pour faire court), je les aime bien. Mes étrangers au fond du trou, c'est eux qui les en sortent, pas moi. Moi, je me contente de leur montrer où est le trou (Maître Eolas, ou comment résumer la procédure administrative du contentieux en excès de pouvoir en vingt six mots).
Autant dire que si le 23 octobre dernier, j'étais derrière les magistrats judiciaires en colère, ce 4 juin, je serai derrière leurs cousins administratifs (je suis partout, en fait).
Alors, mesdames et messieurs les conseillers TA-CAA, rapporteurs publics, conseillers rapporteurs, réviseurs, présidents, et les autres petites mains aussi d'ailleurs, oui, les greffiers, c'est à vous que je parle, je vous lance un défi.
Le 4 juin prochain, je vous ouvre mon blog comme je l'ai ouvert aux magistrats en robe[1]. Venez raconter l'envers du décor, ce que c'est que le quotidien d'un tribunal administratif, les stocks de dossier qui s'empilent tandis que les procédures dérogatoires et prioritaires (référés, reconduites à la frontière, OQTF) contraignent à des acrobaties de planning, pourquoi vous voulez juger à trois, et que pendant que le rapporteur public parle, vous ne remplissez pas une grille de Sudoku. La difficulté des relations avec le Conseil d'État intéressera aussi les justiciables qui n'ont pas la moindre idée de cet état de fait. Votre justice est largement méconnue. Mettez fin à l'erreur manifeste d'appréciation de l'opinion public (Si vous avez souri, vous êtes publiciste).
Mode d'emploi :
Vous pouvez m'adresser votre billet (un seul exemplaire, pas deux augmenté d'un exemplaire par lecteur, merci) par mail à eolas[arobase]maitre-eolas.fr, ou en remplissant le formulaire sur cette page. Merci de mettre en objet "Journée du 4 juin" pour repérer facilement vos billets.
Vous n'êtes pas obligé de me révéler votre identité (merci de me préciser sous quel pseudonyme vous voulez signer votre billet). Utilisez une adresse anonyme (genre nik-le-ce-1234@truc.com), ou mettez une adresse e-mail de fantaisie (comme anne@nyme.com) sur le formulaire de contact. Toutefois, je ne pourrai dans ce cas pas vous contacter et je me réserve le droit de ne pas publier un billet si j'ai un doute sur la qualité de magistrat administratif de son auteur. Si vous m'écrivez avec votre adresse en juradm.fr, votre billet sera immanquablement publié. Je garantis le respect de votre anonymat.
Je précise pour vous appâter que mon blog, c'est 15.000 visiteurs par jour, et encore les mauvais jours. Le 23 octobre, c'est monté à 55.000. C'est donc une vraie tribune que je vous offre. Je précise aussi que les commentaires seront ouverts sous chaque billet. Tous les commentateurs ne font pas dans la mesure, mais des discussions intéressantes naissent toujours.
Merci de ne m'envoyer que des billets personnels, pas les communiqués de tel ou tel syndicat, qui n'ont pas leur place ici. C'est un blog, pas de l'affichage administratif.
Les billets sont recevables jusqu'au 3 juin à minuit.
Ce billet vaut injonction de conclure.
À vous.
Notes
[1] Les juges administratifs n'ont jamais porté la robe, et les conseillers d'État ont hélas renoncé à leur si seillant costume à bas de soie dessiné pour eux par David (les mauvaises langues disent que tous n'ont pas renoncé à la perruque).