par Sub lege libertas
J’ai toujours été animé de mauvaises intentions, l’enfer étant pavé des bonnes. J’espérais ainsi gagner mon paradis, mais je ne pensais pas que cela pouvait m’aider à regagner mon domicile, aidé par la police. Maître Eolas nous avait narré comment avec un SMS vous pouviez remporter en baie de Somme un séjour à l’hôtel de police, sans appel à un numéro surtaxé. Mais, à Montpellier, pour peu que vous ayez un curateur, dont la mission est normalement de vous aider dans la gestion de vos biens et ressources, vous toucherez le gros lot sans même recevoir un SMS suspect. Il vous suffit d’avoir de mauvaises intentions et d’en faire part...
Selon une dépêche de l’AFP du 4 mai 2009, la police montpelliéraine avait reçu dimanche soir un appel du curateur d’un homme connu des autorités pour des troubles psychologiques, les informant des intentions de l’homme de faire exploser son appartement. Jusque-là me direz-vous, rien ne doit nous faire tiquer, car si cet homme est un peu toqué, on préfère la police au taquet pour prévenir cette explosion. Alors, braves gens de Montpellier vous pensez que vous avez dormi du sommeil du juste dimanche soir car sans désemparer, vos policiers sont allés quérir le désespéré à son domicile ou s’enquérir au moins de ses intentions réelles. Et bien, la dépêche nous narre que cet appel du dimanche est à l’origine de l’intervention policière ...lundi à l’appartement situé dans une maison de ville dans le quartier Gambetta de Montpellier. La rue a été bouclée par la police, trois camions de pompiers ont pris position à l’extrémité de cette rue et ont déroulé leur lance à incendie, a constaté un correspondant de l’AFP.
Alors là, vous vous réveillez stupéfaits qu’un homme que les autorités croyaient retranché dans son appartement de Montpellier avec des bonbonnes de gaz et des armes ait pu passer une nuit à ruminer ces mauvaises intentions. Mais surtout vous vous interrogez sur un tel déploiement de moyen le lendemain matin, sans même finasser en juriste tatillon sur le cadre de l’intervention. Il est vrai que les bonbonnes de gaz n’explosent pas la nuit, car elles dorment pour relacher la pression de la journée. Heureusement la police a l’oeil matutinal bien ouvert car, nous indique l’AFP, des policiers de la brigade anti-criminalité ont alors reconnu parmi les badauds qui s’étaient massés à proximité des lieux de l’intervention l’individu, ce forcené retranché dans son appartement qui s’octroyait une pause. Ils l’ont arrêté.
Ouf ! dites-vous soufflés par l’absence d’explosion. Mais ce qui est encore plus ouf dans cette intervention planifiée sans précipitation, c’est qu’une brigade de déminage a inspecté l’appartement et n’a trouvé ni arme, ni bonbonnes de gaz, a précisé une source policière contrairement à ce qui avait été dit dans un premier temps, de même source. La dépêche ne précise pas si l’individu arrêté était revenu à meilleure intention ou juste à son domicile.
Bon et alors ? Alors, j’avais appris qu’en droit l’intention seule n’est pas punissable, que la tentative d’une infraction lorsqu’elle punissable supposait un commencement d’exécution interrompue par des circonstances indépendantes de la volonté de son auteur. Et là je suis coi.
Ah mékeskidi le proc en latin ? A-t-il oublié que les menaces sont punies et que notre détraqué tout à trac de faire sauter sa maison, il menace bien de le faire, puisque son curateur s’en va prévenir la police.
Et bien non, je reste sceptique. Car, il y a bien les articles 322-12 et 322-13 du Code pénal qui disent que la menace de commettre une destruction dangereuse pour les personnes est punie, mais seulement si (au choix) :
- elle est réitérée ;
- elle est matérialisée par un écrit une image ou tout autre objet ;
- elle faite avec l’ordre de remplir une condition (et là, c’est plus grave en terme de peine).
Mais que nous rapporte l’AFP ? Le curateur informait la police des intentions de l’homme de faire exploser son appartement. Comme la dépêche ne précise pas que le curateur a reçu un courrier ou un dessin, il nous faut donc supposer - et espérer pour la rectitude juridique de l’affaire - que ce majeur protégé aux intentions explosives a bien au moins à deux reprises dit à son curateur qu’il allait le faire. Vous noterez à ce stade de notre babillage que si ce majeur protégé s’était présenté à la réception de l’Hôtel de police en se contentant de dire : Bonjour, je me présente Gérard Menvupludingue domicilié rue Honoré Diunfou et je tenais à vous informer que je vais faire sauter mon appartement, merci de votre attention et bonne soirée. la menace n’est pas constituée, sauf si le planton vous dit : Pardon ? Vous pouvez répéter? et que maladroitement vous lui répondez autre chose que :Désolé, mais je n’y consens pas. Bonsoir.
D'accord et les mékeskidis supposent le curateur informé de façon réitérée de la menace formulée. Et donc il a bien fait d'appeler la police : il est tenu d’appeler la police, n'est-ce pas ?
Certes, le délit de menace est constitué, mais c’est la non-dénonciation de crime que la loi réprime à l’article 434-1 du Code pénal. Et détruire un bien par l’effet d’une substance explosive est un délit (article 322-6 du Code pénal). Mais s’il y a des morts ou des blessés, n’est-ce pas un crime ? Oui, mais la loi vous fait obligation dénoncer un crime commis ou entrain de se commettre (et là, seule la menace plane) pour en prévenir ou limiter les effets ou éviter un autre crime futur (et comme notre fol menaçant n’a pas déjà fait sauter quoique ce fût...).
Allez, cessez vos byzantineries, crient les mékeskidis agacés ! Ne pas appeler la police à ce stade, c’est de l'omission d'empêcher un crime ou un délit (article 223-6 alinéa 1 du Code pénal).
Que nenni, car il faut empêcher le crime ou le délit par son action immédiate, et la jurisprudence est claire sur ce point : l’abstention coupable découle de l’instantanéité de l’obligation d’intervenir. Bref, il faut que le crime se commette non pas qu’il soit simplement projeté. En outre, pour achever d’énerver les mékeskidis, l'omission d'empêcher un délit, suppose une atteinte à l’intégrité corporelle (or là, il est question de l’incendie projeté d’un appartement...). Bah, a minima c'est alors de la non assistance à personne en péril (article 223-6 alinéa 2 du Code pénal), soupirez-vous lassés. Hélas non, je crains car là encore, le péril doit être réel et imminent.
Mais, objectez-vous harassés par mon acharnement à vous dire, à vous comme à Madame la marquise, que tout va bien malgré les mauvaises intentions de notre montpelliérain secoué, il y a bien un article 40 du Code de procédure pénale qui oblige un fonctionnaire à dénoncer le délit dont il a connaissance.
Et alors ? Ce curateur est-il “une autorité constituée, un officier public ou un fonctionnaire qui dans l’exercice de cet fonction, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit” ? Rien est moins sûr : une curatelle est un mandat judiciaire destiné à l’assistance d’une personne privée. Elle peut être confié à un particulier ou à une association habilitée notamment. Je ne vois guère de certitude que notre curateur soit tenu par l’article 40 du Code de procédure pénale dont le non respect pose de toute façon des questions de discipline de la fonction publique, puisqu’il n’est pas sanctionné pénalement en tant que tel. Enfin, la dénonciation de l’article 40 est adressée au procureur de la République et non téléphonée à la police.
Donc, le curateur appelle la police non parce que la loi l’oblige formellement, mais parce qu’il subodore que son administré pourrait être dangereux pour lui même ou pour autrui, compromettre la sûreté des personnes ou porter atteinte, de façon grave, à l'ordre public. Il relèverait le cas échéant, après avis d’un psychiatre, de mesure d’hospitalisation sous contrainte conformément aux articles L3213-1 et L3213-2 du Code de la santé publique. C’est d’ailleurs ce que suggère la dépêche AFP quand elle précise que l’homme est connu des autorités pour des troubles psychologiques. Le fait que la police ne se déplace que le lendemain est étonnant en terme de risque d’atteinte à l’ordre public, puisqu’on craint les éventuels agissements d’un possible malade mental. Alors, le déploiement du lendemain, sous les yeux paisibles du forcéné prétendu et sorti prendre l’air, est au mieux risible. Mais l’interpellation par la B.A.C. achève de gommer le sourire. Ah oui c’est vrai : l’innocence est présumée, mais moins que l’absence de trouble psychique.
- Il n'est pas fou, il est coupable !
- Mais de quoi ?
- Coupable ne pas être fou !
- C'est fou d'être coupable à ce point !