La préfecture de Haute-Saône, n'ayant visiblement rien de mieux à faire, a envoyé quinze gendarmes ce mercredi à Gray, 6200 habitants, chef lieu de canton du département, connu pour son superbe théâtre, à 6 heures du matin, au domicile de monsieur et madame Bakshiyan. Monsieur est azerbaïdjanais, madame est russe. Ils ont deux enfants, dont un bébé de quatre mois. Ces deux personnes troublent en effet gravement l'ordre public, car elles sont en situation irrégulière, leur demande d'asile ayant été rejetée (et en vérité, s'il y avait des problèmes dans le Caucase, ça se saurait). Pas leurs enfants, notez bien puisqu'ils sont mineurs et donc dispensés de titre de séjour (sauf s'ils veulent travailler à partir de seize ans).
Néanmoins, avec cette humanité qui caractérise notre République, tous les quatre se retrouveront ensemble au Centre de Rétention de Nîmes, car on ne sépare pas les familles en France. Bon, des esprits chagrins feront remarquer qu'ils étaient déjà ensemble à leur domicile, mais si on écoute les droits-de-l'hommistes, hein…
Pourquoi Nîmes ? Mais parce qu'il est équipé d'une nurserie. Ladite nurserie étant composée de deux éléments : une table à langer et une chaise haute. Ce qui en fait un des Centres de Rétention les mieux équipés de France.
Le préfet, qui n'a le pouvoir de placer en rétention que 48 heures, a saisi le juge des libertés et de la détention (JLD) de Nîmes afin d'obtenir une prolongation de 15 jours de cette rétention (prolongation renouvelable une fois pour un maximum de trente deux jours). Ce sont les audiences dites “35bis” dont je vous parle régulièrement.
Hier, le JLD de Nîmes a refusé ce maintien en rétention, notamment du fait que ce placement en rétention violerait l'article 3.1 de la Convention Internationale des Droits de l'Enfant (CIDE), qui stipule que :
Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale.
Il est vrai qu'il est permis de s'interroger sur le fait de savoir si, en décidant d'embarquer deux jeunes enfants dont un bébé de 4 mois, à l'aube, fût-ce en compagnie de leurs parents, avec juste le temps de mettre des affaires dans une valise (20kg maximum, il y a un avion à prendre) avant de les transporter en fourgon sur 494 km et de les priver de liberté pour une durée indéterminée pouvant aller jusqu'à un mois, le préfet de haute-Saône a vraiment eu comme considération primordiale l'intérêt supérieur de ces enfants.
Le débat reste ouvert, puisque le procureur de la République de Nîmes a fait appel, estimant je cite que « Il n'y a pas d'incompatibilité particulière avec la convention des droits de l'enfant. »
Je disconviens respectueusement.
Appel jugé lundi à 9 heures, cour d'appel de Nîmes, salle d'audience du Premier président (l'audience est publique). Notons que si la prolongation n'est pas ordonnée, ils seront remis en liberté rue Clément Ader à Nîmes. Ils se débrouilleront pour rentrer à Gray avec leur bébé (et non, aucune indemnisation n'est prévue pour des étrangers placés irrégulièrement en rétention).