Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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samedi 25 avril 2009

samedi 25 avril 2009

Remettons-en une couche à celui qui en tient une

Pour un homme politique, être pris en flagrant délit de mensonge est un risque du métier. Il faut apprendre à vivre avec ou arrêter de faire de la politique (dire la vérité n'étant naturellement pas une option viable pour qui veut être élu).

La règle d'or des communiquants dans ce cas là est de ne pas reconnaître le mensonge (les dégâts à l'image sont irréparables, la France est le pays de Tartuffe : on sait qu'ils mentent mais il ne faut pas le dire), ne pas plaider l'ignorance (idem, même si l'excuse est parfois fondée), mais jouer l'erreur de communication. Aliocha vous le dirait mieux que moi : la comm', c'est du rien enrobé d'une bonne couche de vide. Dès lors, se tromper sur la comm', c'est se tromper sur rien, tout le monde est content.

Mais pas Éric Besson.

Éric Besson, lui, s'accroche à son mensonge comme une moule à son rocher, alors même que la lune de la Vérité a emporté au loin le mascaret de l'imposture[1].

Ainsi, il a d'abord affirmé que le délit de solidarité était un mythe.

Votre serviteur lui a mis le nez dans son mensonge, certains médias ayant relayé mon objection.

Il a alors légèrement modifié son interprétation : en fait, le mythe est que des militants humanitaires puissent être poursuivis pour ce délit, hormis le cas de deux personnes qui selon lui avaient clairement violé la loi. Bon, les parquets ne poursuivent pas ceux qui n'ont pas violé la loi, c'est heureux, on les en remercie, sauf les avocats de la défense bien sûr, qui perdent un marché colossal. Mais, ajoute-t-il, « Ce que j'ai dit c'est que personne n'a jamais été condamné en France (…) pour avoir hébergé à son domicile un étranger en situation irrégulière … ».

Votre serviteur s'est permis d'insister, publiant une décision récente qui prouvait le contraire : une cour d'appel a déclaré coupable du délit d'aide au séjour irrégulier un homme ayant hébergé trois nuits un étranger qui était son amant, peu de temps avant que celui-ci, d'une part ne s'installe avec lui et devienne son concubin notoire, ce qui mettait fin au délit, et d'autre part ne soit régularisé en obtenant le statut de réfugié, dès sa demande déposée.

On aurait pu croire que cela allait suffire. Devinant que j'avais affaire à une tête de bois, j'ai relayé une initiative du GISTI ayant commencé à compiler les décisions rendues sur ce délit ne concernant pas des réseaux de passeurs.

Je profitais d'ailleurs de cette occasion pour rendre au passage au GISTI l'hommage qu'il mérite :

L'indispensable GISTI (Groupe d'Information et de Soutien aux Travailleurs Immigrés, que tous les étudiants en droit public connaissent bien grâce au Grand Arrêt portant son nom (Qu'est-ce qu'un Grand Arrêt, prononcer Grand Taré ? Réponse ici), a entrepris un travail de fonds pour répliquer à l'affirmation d'Éric Besson sur le délit de solidarité qui n'existerait pas.

Visiblement vexé comme un pou, le ministre a alors basculé sur l'ultime refuge des Trolls, le Shangri-La des Flamewars, l'Augustissimeland : l'attaque ad hominem.

Et là, il a fait très fort. C'était sur RMC, le 22 avril.

Je ne relève même pas le mensonge ouvrant la déclaration : « quelqu'un qui (…) prendrait dans sa voiture quelqu'un en situation irrégulière et le fait en toute bonne foi, sans lien avec des passeurs, ne risquerait absolument rien ». J'ai déjà cité l'arrêt qui contredit cette affirmation.

Poster de type “motivation” : sous une photo d'Éric Besson ce zéro au sourire si doux, le titre : “le mensonge” et en sous-titre : “Une vraie alternative à la compétence.”

Pas plus que l'affirmation selon laquelle, dans la liste des décisions du GISTI, il n'y a aucun bénévole humanitaire. Il y en a deux : jugement du tribunal correctionnel de Douai du 9 août 2004.

Non, ce qui m'a fait bondir, c'est la suivante.

Je le dis avec pondération : la crédibilité du GISTI en la matière, elle est quasiment nulle. Chaque fois que je me suis pensé avec détail et avec mes services sur les affirmations du GISTI, elles se sont quasiment systématiquement révélées fausses ; alors en matière de source, je suggère que le GISTI ne soit pas les tables de la loi.

Évidemment, vis à vis de l'opinion publique, ça peut passer. C'est un peu comme dire (avec pondération) que le Dalai Lama n'est pas crédible sur le Tibet. Si on est Mélenchon, ça peut passer.

Mais auprès des juristes, l'énormité du propos laisse pantois. Le GISTI, pas crédible en la matière. C'est proprement sidérant d'oser sortir cela.

Le GISTI (Groupement d'Information et de SouTien aux Immigrés) a été créé il y a un peu plus de trente ans. Il a dès le début porté le combat non pas sur plan politique ou de la communication (il est même plutôt mauvais en la matière sans vouloir le vexer) mais sur le plan du droit : c'est une association de juristes (avocats, universitaires…). Et son bilan en la matière est impressionnant.

Il a porté devant le Conseil d'État plus de cent recours, qui ont fait annuler à peu près toutes les circulaires des ministres de l'intérieur en la matière dès lors qu'elles posaient des règles de droit restreignant la portée de la loi, le décret créant le fichier ÉLOI qui devait ficher toute personne, même française, rendant visite à un étranger en centre de rétention alors même que la loi permet ces visites. Parmi ces nombreux arrêts (une recherche sur Légifrance avec le mot GISTI vous donne directement 48 arrêts), deux ont abouti à des arrêts qui font date dans le droit français.

Ne me croyez pas sur parole : voyez le site du Conseil d'État, rubrique les grands arrêts du Conseil. Regardez celui du 8 décembre 1978.

Le recueil Les Grands Arrêts de la Jurisprudence Administrative, le fameux “GAJA” contient deux arrêts GISTI. C'est je crois le seul à avoir deux grands arrêts à son nom.

Et ces arrêts ont une portée qui dépasse largement le droit des étrangers. Celui de 1978 a consacré le droit fondamental, s'imposant à l'administration, du droit à une vie privée et familiale normale, garanti par la convention européenne des droits de l'homme, en en faisant un droit directement invoquable par quiconque devant l'administration. En défendant les étrangerns le GISTI vous défend vous aussi. Grâce au GISTI, vous pouvez obtenir l'annulation de tout acte de l'Administration, y compris un décret du gouvernement, portant une atteinte disproportionnée à la vie privée de ses citoyens. Si EDVIGE a été annulé, c'est un peu grâce au GISTI. Rebelotte en 1990 : le Conseil d'État reconnaît à l'occasion d'un recours du GISTI le droit pour le juge d'interpréter des conventions internationales (auparavant, il devait poser la question au ministre des affaires étrangères ce qui paralysait durablement tout recours où intervenait une convention internationale). Tout étudiant en droit connaît le nom du GISTI, même s'il n'a jamais fait de droit des étrangers.

Récemment, un colloque a été organisé pour les trente ans du premier des grands arrêts GISTI. Un ancien directeur des services de la préfecture de police y est venu, ce qui est le plus bel hommage qu'on puisse recevoir, car le GISTI était son adversaire et lui a sans doute pourri la vie pendant ses fonctions. À cette occasion, il a déclaré (j'ai des témoins directs) que quand il était en fonctions, la seule documentation fiable qu'il avait sur le droit des étrangers était les publications du GISTI.

Tout intervenant en droit des étrangers connaît le GISTI, et le considère comme une référence particulièrement crédible.

Mais je ne veux pas jouer l'argument d'autorité. Voyez vous-même. Éric Besson dit que le GISTI n'a aucune crédibilité, que ses listes, c'est du pipeau ?

Allez sur cette page. Le GISTI met en ligne au fur et à mesure les décisions qu'il cite, scannées et anonymisées, au format pdf. Lisez vous-même les jugements : vous aurez même la signature du président. Eh oui, le GISTI, c'est ça.

Alors, tiens, puisqu'aujourd'hui, beaucoup estiment que la justice, en ne sanctionnant que légèrement Fabrice Burgaud pour des faits de négligences, maladresses ou défauts de maîtrise d'un dossier, fait preuve d'une spectaculaire et scandaleuse complaisance, que mérite selon elles un ministre qui ment, itère et réitère son mensonge malgré les preuves produites, et finalement préfère salir l'honneur et la réputation de celui qui prouve son mensonge ?

Éric Besson est en Pinochio, son nez ayant poussé à cause des mensonges qu'il a osé proférer (M. Besson est de ceux qui osent tout). Sur son nez, tel Jiminy Cricket, Maître Eolas le tance vertement.

Notes

[1] Ce n'est pas une métaphore, c'est une périphrase.

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