Bon, à la demande générale, quelques commentaires de l'épisode 2, visible ici (début à 27:24).
(27:24) : l'interrogatoire de l'accusé. Ça peut paraître une formalité, mais s'assurer de l'identité de la personne dans le box est d'une importance sur laquelle je ne pense pas avoir à m'étendre. Toute audience pénale, depuis le juge de proximité jusqu'aux assises commence par cet interrogatoire (pas seulement nom prénom : nom, prénoms, date et lieu de naissance, nom du père et nom de la mère). Il permet en outre de s'assurer que le casier judiciaire est bien le sien : des Jean-Marie Garcia, en France, il y en aura des centaines, mais un seul né le 12 août 1968 à tel endroit de tel père et telle mère. Le domicile sera l'adresse utilisée pour lui envoyer des correspondances après sa sortie s'il n'en déclare pas une autre.
(27:50) : Houla, saut dans le temps ! Le reportage a coupé la constitution du jury (avec d'éventuelles récusations), et la lecture de l'ordonnance de mise en accusation (ou arrêt en cas d'appel), moment soporifique ou le greffier lit un interminable texte d'un ton généralement monocorde, résumant l'affaire et les preuves réunies lors de l'instruction. C'est pourtant l'acte qui saisit la cour. Heureusement, de nombreux jurés, stressés par la tâche, résistent à la narcose et prennent avidement des notes. Nous voilà donc à l'interrogatoire sur le curriculum vitae (on n'utilise pas l'abbreviation CV, réservée au monde du travail). On n'aborde pas encore les faits, mais la personnalité, l'histoire personnelle. C'est une mise à nu terrible, aucun détail n'est écarté, pour permettre à la cour de bien connaître celui qu'elle juge. Surtout pour les affaires de mœurs.
(28:18) : Oui, la jolie jeune fille qui n'arrive pas à fermer la bouche, à gauche de l'écran est une jurée. On peut l'être à partir de 18 23 ans. Cela dit, vu le récit qu'elle entend, on peut la comprendre.
(29:13) : Notez l'apparente nonchalance de l'avocat de la défense. Quand le client tient des propos qui l'enfoncent, comme c'est le cas pour son analogie collection de timbre = collection d'armes de guerre, il faut feindre l'indifférence, comme si ce qu'il disait n'avait aucune importance. Toute autre réaction attirerait l'attention sur ces propos désastreux.
(30:12) : Ça c'est une réaction que l'on voit très souvent. Au moment de décrire les faits, le récit devient plus embrouillé, même s'il était méticuleux jusqu'à présent. Verbaliser sa faute, sa culpabilité est quelque chose de terriblement difficile. Alors on se réfugie derrière des expressions toutes faites, des facilités : “ j'ai pété un plomb ”, “ j'ai paniqué ”. Ça agace les juges qui y voient un déni de responsabilité, et une marque d'absence de remord ou de prise de conscience. Je ne suis pas d'accord. Pour des personnalités faibles, ce que sont les criminels et les délinquants (éducation et instruction déficientes voire absentes, parfois faible intelligence), le travail sur soi que nécessite cette admission est impossible à mener tout seul. Et ce n'est pas en détention qu'ils auront pu être assisté. Cette esquive est un mécanisme de défense de l'inconscient contre les ravages de la culpabilité sur l'image de soi. La reprocher à un accusé comme celui-là, c'est reprocher à un illettré de ne pas savoir lire. Vision d'avocat de la défense, me dira-t-on. J'assume.
(30:42) : Non, monsieur l'avocat général. Je doute que ce SDF toxicomane sache ce qu'est un tir à bout touchant appuyé. Ce sont des termes de ballistique. Bout touchant : le canon de l'arme est appuyé contre la cible ou à une distance inférieure à 2 cm. On parle de bout portant quand la distance est plus longue mais assez réduite pour que des résidus de tir soient présents sur la cible (restes de poudre…), hormis ceux de la collerette d'essuyage (c'est le joli nom donné à la zone de la cible entrant en contact avec le projectile lors de son passage) : la collerette “essuie” le projectile et retient les résidus accompagnant le projectile. Bout touchant appuyé : la bouche du canon est en contact avec la cible au point qu'il n'y a pas de résidus de tir hors la collerette d'essuyage : les gaz n'ont pu s'échapper sur les côtés. Ça nécessite une force importante exercée dans l'axe du canon, et exclut l'hypothèse d'un tir accidentel ou précipité, dans la panique.
Appelez-moi Horatio.
(30:56) : le greffier extrait le pistolet du sachet scellé et le remet à l'huissier. Le greffier est le seul habilité à manipuler les pièces à conviction sous scellés, et à briser les scellés. Mais il est attaché à son bureau, car il doit prendre note de tout ce qui est dit et se passe. L'huissier est le papillon de la cour. Il est toujours debout, virevolte d'un coin à l'autre, fait passer les documents, va chercher les témoins : c'est le bras (ici armé) de la cour.
(31:09) : Entrent les experts. Les meilleurs amis ou les pires ennemis des avocats, selon les cas. Ce sont des scientifiques rigoureux. Ils peuvent vous parler des heures d'un tir avec des étincelles dans les yeux, mais leur plaisir est toujours gâché par le travers des magistrats et des avocats de vouloir leur en faire dire plus que les seules constatations scientifiques. Ce sont des experts, pas des devins, et rien ne leur fait plus de peine que quand on leur pose une question relevant de la divination.
(31:14) : Ce sont aussi de grands enfants.
(31:33) : VOILÀ ! Voilà la tête de l'expert à qui on demande de faire de la divination. Eux, leur domaine, c'est à partir du moment où une pression suffisante est exercée sur la queue de détente (ne dites jamais devant un expert en ballistique qu'on a pressé une gâchette, il vous rira au nez qu'on n'a jamais vu de doigt assez fin et souple pour réaliser cette prouesse au demeurant inutile car presser une gâchette n'a aucun effet) pour que le tir se déclenche. La volonté qui a animé le doigt qui a effectué la pression sort de leur domaine de compétence. Notez la réponse embarrassée et diplomatique.
(31:52) : Le médecin légiste. La lecture du rapport d'autopsie est un moment difficile. Certains président proposent à la famille de la victime de sortir provisoirement. Le récit des lésions internes et des trajectoires des projectiles dans le corps de celui qui fut un être aimé est particulièrement éprouvant.
(32:08) : La famille est restée. Elle en paye le prix.
(32:14) : Tiens, là, c'est un juré qui défaille. Les jurés ayant l'obligation d'assister à l'intégralité des débats, le juré défaillant (c'est le cas de le dire) est excusé et remplacé par un juré supplémentaire, assis à l'écart et qui assiste lui aussi aux débats au cas où un juré titulaire est empêché. Ça n'est pas une sanction, mais une obligation, et ça évite de devoir tout recommencer à zéro. Le président choisit le nombre de jurés supplémentaires en fonction de la durée de l'audience. D'ordinaire, il y en a deux. Le rôle de juré supplémentaire est le plus ingrat qui soit. L'avantage est que l'expert est lui-même médecin (bon, légiste, enfin anatomo-pathologiste : les patients vivants, il n'a plus trop l'habitude…).
(32:45) : Le désarroi de l'accusé. Ça aussi, c'est ô combien typique. Sale tour des mécanismes de défense naturelle de l'esprit qui, pendant l'audience, emprisonnen les sentiments et le font apparaître froid, détaché, le visage impassible, alors qu'à l'intérieur, ça bouillonne. Et ce n'est qu'à l'abri des regards que la pudeur, le dernier barrage, cède, et que les sanglots arrivent. Le seul qui le consolera et l'apaisera, c'est son avocat. Qui ne peut s'empêcher de penser, avec un cynisme qui lui fait un peu honte : “ Ah ! S'il pouvait me faire ça à l'audience ! ”
À suivre…