On les entend arriver longtemps avant de les voir. Il faut dire que le palais est indiscret, et fait résonner le moindre bruit d'un bout à l'autre de ses couloirs, et des talons sur du marbre, ça porte très bien.
Elles sont jeunes, souvent jolies, maquillées à l'excès alors que leur âge les dispense encore de cet artifice, et habillées, disons… à la dernière mode, celle que seule leur jeunesse leur permet de porter sans être vulgaire.
Elles arrivent toujours à bout de souffle, un plan du palais chiffonné à la main, un téléphone mobile dans l'autre, qui fait passer celui des avocats présents pour des antiquités obsolètes. Elles cherchent généralement une des deux 23e chambre, celle des comparutions immédiates, scindée en deux sections pour faire face à l'afflux des dossiers. Enfin, plus précisément, elles cherchent leur homme, qui fait partie de la longue liste des prévenus.
Un regard perdu, deux battements de cils, et un gendarme, qui pour la circonstance justifie pleinement son qualificatif de “mobile”, surgit de nulle part pour apparaître à ses cotés, lui demandant dans un accent chantant si elle a besoin d'aide. Ah, cette courtoisie qui trahit toujours le provincial à Paris…
Un grand sourire qui fait rougir le gendarme, et elle donne le nom du bienheureux qui a su conquérir son cœur. Là, de deux choses l'une. Soit Roméo n'a pas encore affronté Escalus, et elle s'assiéra patiemment sur un banc jusqu'à l'apparition de son héros, qu'elle couvrira de baisers envoyés de la main. Soit il a été jugé et selon le résultat, elle voudra savoir où aller demander un permis de visite (moment de triomphe du barreau sur la maréchaussée : seul un avocat peut apporter la réponse, et nous prenons la main), ou savoir par où son Mandrin va sortir pour pouvoir lui sauter au cou (c'est par cette porte, au numéro 3 du quai de l'Horloge).
La société ne sait pas ce qu'elle doit à ces jeunes filles, souvent le seul élément de stabilité affective dans la vie des jeunes délinquants qui encombrent les comparutions immédiates. Faut-il qu'elles les aiment, leurs apaches, pour courir ainsi sans cesse, dans l'espoir de les apercevoir, pour les attendre dans le froid ou sous la pluie quai de l'Horloge, ou aller les visiter dans leur maison d'arrêt pour leur dire de tenir bon. Elles seront toujours là, à apaiser leur perpétuelle colère de quelques mots tendres, et un jour, elles leur feront un enfant. Généralement, à compter de ce jour-là, on ne verra plus jamais leur tendre ami dans les prétoires. Elles font plus contre la récidive que toutes les lois les plus répressives, car elles sont les gardiennes d'une prison d'où nul n'aurait envie de s'évader.
En attendant, n'ayant plus rien à faire ici, les voici qui s'envolent, leur plan un peu plus chiffonné dans une main, le téléphone toujours dans l'autre, et avec une insolence nonchalante se rient de la loi de la gravité, en descendant trop vite des marches trop glissantes sur leurs talons trop haut. Elles ne laissent de leur passage qu'un effluve de parfum de marque, un bruit de galop qui s'évanouit peu à peu dans les couloirs froids, et un sourire sur le visage des gendarmes et avocats de permanence.