Je suis assez surpris du contenu d'une note du 22 janvier 2009 que le vice président du tribunal de grande instance de Paris (respect) vient d'adresser à ses collègues siégeant en correctionnelle. Je vous la livre tout de gob avant d'expliquer en quoi elle suscite une certaine réserve de ma part.
Qu'est-ce qui me gêne dans ce courrier ?
Tout, sauf le dernier paragraphe, qui est juste un peu vexant pour ses collègues qui, depuis un an et demi qu'ils appliquent la loi sur les peines plancher, avaient sûrement remarqué qu'il fallait motiver la décision de ne pas les appliquer. Mais bon, rappeler la loi n'est jamais totalement inutile.
Car pour le reste, j'avoue que je tique.
Nous avons un magistrat du siège, un juge, donc, censé être impartial et indépendant, répondre favorablement à une requête du parquet, qui est partie, et partie demanderesse, à tous les dossiers que les chambres correctionnelles ont à juger. Premier problème, mais le plus léger. Je me demande simplement si le vice-président en charge du service pénal serait aussi réceptif aux demandes émanant de l'ordre des avocats.
Là où ça devient particulièrement problématique, c'est que par cette lettre complaisamment transmise, le parquet fait savoir qu'il fera systématiquement appel des jugements faisant application de l'article 132-19-1 du code pénal[1] (et non du CPP comme mentionné par erreur), disposition légale permettant au tribunal d'écarter l'application des peines planchers.
On peut prendre ça dans tous les sens, c'est une pression faite par une partie au procès sur le juge : si vous n'appliquez pas la peine plancher, je ferai appel. Automatiquement. C'est l'appel plancher.
C'est aussi une façon fort claire de dire au juge que bien que la loi lui permette d'écarter ces peines planchers, il a systématiquement tort de les écarter. Faut-il en déduire que le législateur a eu tort de prévoir cette possibilité ?
Donc le parquet fait pression sur les juges correctionnels, et le premier d'entre eux s'assure que tout les juges soient au courant.
Qu'il me soit permis de faire remarquer qu'à la place du vice-président chargé du service pénal, c'est au procureur que j'aurais écrit en lui faisant remarquer que l'exercice du droit d'appel et ses modalités ne regardaient que lui et ses substituts, et que le cela n'intéresse absolument pas le siège. Mais bon, c'est l'autre voie qui a été choisie.
Mais ce n'est pas tout.
La lettre demande en outre aux juges de faciliter le travail du parquet. Car le pauvre n'a que dix jours pour faire appel. Vous me direz que le prévenu aussi, mais lui a en général un avocat, alors que le parquet, jamais, ou alors un général.
Pour lui mâcher le travail, il faut bien marquer sur le feuilleton "application de l'article 132-19-1 CP" afin qu'il sache qu'il doit faire appel. Aux dernières nouvelles, il y a pourtant un procureur à l'audience qui note soigneusement toutes les décisions rendues, au besoin en demandant au tribunal de répéter. Ça ne demande pas un MBA pour voir qu'une peine plancher a été écartée : il suffit de savoir compter jusqu'à 5. Si un vol en réunion (peine encourue 5 ans) en récidive (peine encourue portée à 10 ans, plancher de deux ans) est punie d'un an de prison, un étant inférieur à deux, la peine plancher a été écartée, et le parquet sait qu'il doit faire appel. Le droit pénal n'est pas toujours bien compliqué. Faudra-t-il demander au président de sonner du cor en agitant un drapeau rouge, en plus ?
D'où la sensation que le but n'est pas exclusivement de faciliter le travail du parquet mais de s'assurer que le message de l'appel systématique est passé.
Et enfin, permettez-moi un peu d'ironie et de mauvaise foi.
Cette lettre révèle assurément une révolte des parquets contre le Garde des Sceaux, ce qui devrait alarmer la Chancellerie.
En effet, le Garde des Sceaux a déclaré devant la Conférence des Bâtonnier, je cite :
Toutes les réformes conduites depuis mai 2007 ont offert une place majeure aux droits de la défense.
Permettez-moi de prendre un premier exemple concret : la loi du 10 août 2007 sur la récidive.
Depuis son entrée en vigueur, cette loi a montré son utilité : plus de 10 000 condamnations à une peine plancher ont déjà été prononcées.
Ce dispositif laisse toute sa place à la défense : une fois sur deux, le juge écarte l'application de la peine minimale. C'est la preuve de l'efficacité de l'intervention de la défense.
Vous y lisez comme moi une approbation expresse de la part du Garde Sceaux du fait que l'application des peine planchers soit écartée une fois sur deux, ajoutant qu'elle y voit une illustration de sa politique visant à offrir une place majeure aux droits de la défense.
Dès lors, le fait que le parquet décide de faire systématiquement appel des décisions écartant les peines planchers ne peut que révéler une insubordination, que dis-je, une Jacquerie du parquet de Paris refusant la politique favorable aux droits de la défense du Garde des Sceaux. Je redoute donc que Jean-Claude Marin ne soit convoqué cette nuit par l'Inspection Général des Services Judiciaires pour rendre des comptes sur cette Haute Trahison.
Car je ne peux pas croire que des instructions émanant de la Chancellerie soient à l'origine de cette politique pénale. Je me refuse farouchement à croire que le Garde des Sceaux puisse vanter devant la Conférence des Bâtonniers l'application, disons modérée de sa loi sur les peines planchers et dans le même temps tout faire pour qu'elle soit plus durement appliquée.
On m'accuse de m'acharner contre elle, mais là, non : je ne puis un seul instant imaginer une telle duplicité de la part du Garde des Sceaux.
C'est donc forcément une mutinerie du parquet de Paris.
Soyez sans crainte, madame le Garde des Sceaux, je veillerai personnellement à ce que votre loi du 10 août 2007 soit le plus souvent possible écartée, dans le plus grand respect des droits de la défense et de l'indépendance des juges. Votre combat est le mien.
Notes
[1] Toutefois, la juridiction peut prononcer, par une décision spécialement motivée, une peine inférieure à ces seuils ou une peine autre que l'emprisonnement en considération des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties d'insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci.