Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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vendredi 16 janvier 2009

vendredi 16 janvier 2009

Quelques propos un peu en vrac

► Actualité

La presse l'annonce, mais pas toujours de manière claire. Peu importe, mes lecteurs auront rectifié d'eux même. Pour vous confirmer que vous aviez tout bon, voici le processus judiciaire ayant amené à la remise en liberté (provisoire) d'Yldune Lévy dans l'affaire des terroristes des caténaires invisibles ou je sais plus quoi.

— 8 janvier : le juge d'instruction Thierry Fragnoli procède à l'interrogatoire de Mlle Lévy. Son avocat, peut-on supposer, dépose peu après (le lendemain ?) une demande de mise en liberté. Il a cinq jours pour y faire droit ou l'envoyer au juge des libertés et de la détention en lui demandant de la refuser.

— Le juge transmet la demande au parquet qui donne son avis ( « Gnan ! »).

— Le mercredi 14 janvier, le juge d'instruction décide de la remise en liberté sous contrôle judiciaire, estimant que la détention n'est plus la seule façon de garantir la sauvegarde des intérêts figurant à l'article 144 du CPP . La décision est notifiée au parquet.

— Dans les quatre heures qui suivent, le parquet interjette appel et forme un « référé détention ». L'ordonnance de remise en liberté est suspendue, et le premier président de la cour d'appel ou tel conseiller qu'il désignera à cette fin a trois jours ouvrables pour examiner s'il y a lieu de suspendre la mesure jusqu'à l'audience de la chambre de l'instruction qui statuera sur le fond de la question de la liberté. Le délai expirait donc lundi.

— Aujourd'hui 16 janvier, le conseiller délégué par le premier président a examiné le référé liberté et a estimé, après avoir ouï les parties (le parquet général et l'avocat de la défense) qu'il n'y avait pas lieu de suspendre cette ordonnance, avant de renvoyer l'affaire à l'audience de vendredi prochain 23 janvier, où notre héroïne se présentera libre.

— Dernier épisode le 23 janvier, où la cour pourra soit confirmer la remise en liberté, le cas échéant en modifiant le contrôle judiciaire, ou infirmer l'ordonnance et ordonner le retour en détention en délivrant mandat de dépôt.


► Presse : qu'est-ce qu'un journaliste ?

Une de ces merveilleuses controverses hors sujet est née sous mon billet précédent sur la question de savoir si l'article que je cite est du journalisme, son auteur n'étant pas journaliste professionnel mais chercheur au CNRS.

Aliocha, gardienne du temple, fronce le nez (qu'elle a ravissant) :

un chercheur au CNRS ne se transforme pas en journaliste par le seul fait qu'il écrit dans un journal, pas plus qu'un directeur juridique ne deviendrait avocat en assistant son client devant le tribunal de commerce. Si l'on admettait votre théorie, alors n'importe quel ministre publiant une tribune dans ce même journal pour expliquer sa politique deviendrait de facto journaliste, je ne sais pas vous, mais moi ça me gêne un peu intellectuellement.

Elle a raison, mais moi aussi.

Qu'est-ce qu'un journaliste ?

Le droit n'apporte qu'une réponse… juridique. L'article L.7111-3 du Code du travail donne la définition du journaliste professionnel :

Est journaliste professionnel toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l'exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources.

L'article L.7111-5 enfonce le clou dans mon cercueil :

Sont assimilés aux journalistes professionnels les collaborateurs directs de la rédaction, rédacteurs-traducteurs, sténographes-rédacteurs, rédacteurs-réviseurs, reporters-dessinateurs, reporters-photographes, à l'exclusion des agents de publicité et de tous ceux qui n'apportent, à un titre quelconque, qu'une collaboration occasionnelle.

Patrick Weil n'est donc pas journaliste. Professionnel.

Car c'est en réalité cet épithète que réglemente le code du travail avant de préciser les adaptations du code du travail au journaliste professionnel (dérogation au droit de la propriété intellectuelle lui permettant de céder forfaitairement ses œuvres futures ; clause de conscience lui permettant d'être licencié pour cause économique en cas de changement de direction du journal…). C'est ces critères qui ouvrent droit à la délivrance de la carte de presse, de son vrai nom carte d'identité professionnelle des journalistes (art. R. 7111-1 du Code du travail).

En dehors de cette activité professionnelle principale, on peut néanmoins faire du journalisme, et dès lors, être qualifié de journaliste. C'est ce que j'entendais.

Car on est journaliste quand on écrit un article destiné à publication dans la presse. Un article est :

— Une œuvre de commande. La commande précède l'œuvre. Ce peut être une initiative du rédac'chef (« Aliocha, fais moi trois feuillets sur l'affaire Madoff, pour avant-hier ! ») ou une proposition acceptée (« Chef, ça vous dirait, un article sur la tremblante du poisson rouge ? — Fonce, Coco, fais moi quatre feuillets ! »), ou une commande renouvelée tacitement (« Aliocha, je veux chaque jeudi une rubrique d'un feuillet sur “droit et charcuterie”. ») mais l'article n'est pas écrit avant cet aval de principe. Sinon, c'est une tribune, ou un éditorial. Voilà un des critères qui différencie le blog du journalisme : le blogueur est libre de son sujet.

— Dans un format imposé. Je cite une professionnelle :

Un article de presse (…) s’inscrit dans un journal et à l’intérieur d’une rubrique, ce qui impose de respecter un certain nombre de contraintes. Chaque chef de rubrique (International, politique, société etc.) dispose d’un nombre de pages déterminé, lesquelles sont divisées en plusieurs emplacements de différents formats. Ce sont les contraintes de maquette. Pour qu’un journal soit lisible en effet, il faut qu’il soit organisé, le format des articles est donc prédéterminé. Inutile d’envisager de modifier la maquette, allonger ici, raccourcir là, elle est fixe, il faut donc s’adapter. Cela suppose de sélectionner les informations car on ne pourra pas toutes les traiter puis de les hiérarchiser, autrement dit de décider quelle importance on va accorder à chacune.

La principale caractéristique de ce format étant d'être toujours trop court ce qui oblige à une douloureuse synthèse et un difficile élagage. Autre différence avec le blogueur, qui n'a aucune contrainte d'espace pour ses billets hormis la patience de ses lecteurs.

— Sur un sujet lié à l'actualité.

Entendons-nous bien. Si pour les quotidiens, c'est nécessairement l'actualité immédiate, mais cela peut aussi être l'actualité de disciplines précises. La science, ou même l'histoire peut être de l'actualité. Je ne dénierai pas à Historia le caractère d'organe de presse, mais même un dossier sur Byzance fera état des plus récents travaux en la matière.

Un chercheur au CNRS qui écrit, dans la matière qu'il connaît, un texte qu'on lui a demandé, devant tenir sur deux pages pleines, moins les illustrations et encadrés, réagissant aux chiffres publiés par le gouvernement sur cette matière ne fait pas un travail de recherche, mais de journalisme. Ça n'en fait pas un journaliste professionnel, il n'aura pas droit à la carte de presse, mais ce qu'il a fait, c'est du journalisme. Et, je maintiens, du bon.


► Excuses et regrets.

Enfin, sur le front de ce blog.

Mon activité professionnelle et l'afflux des commentaires font qu'il m'est impossible de répondre à tout le monde, ou de m'investir dans des discussions. J'en suis désolé et prie mes lecteurs de m'excuser. J'ai toujours dit et je maintiens que je ferai toujours passer ma vie privée et mon activité professionnelle avant ce blog. Et elles ne me laissent guère de temps en ce moment. J'implore votre compréhension et votre patience. Merci de continuer à vous écharper sans moi. Et si un Troll venait à pointer le bout de son vilain nez pointu, merci de me le signaler. Ma vigilance peut parfois s'en ressentir.

Une page d'histoire - la création du juge d'instruction

Par Paxatagore


Regarder de temps à autre en arrière est fort amusant, à défaut de donner des leçons pour l'avenir. Car, de la même façon qu'on se dit maintenant qu'on va supprimer le juge d'instruction pour faire comme les Anglais (je caricature), on a aussi institué le juge d'instruction pour faire, un peu comme les Anglais.

Avant, c'est-à-dire du temps où Louis XVI régnait encore à peu près paisiblement sur le royaume de France, nous connaissions une vraie procédure inquisitoire. Les juges ouvraient des enquêtes de leur propre chef. Ils procédaient seuls à l'audition des témoins. Ils arrêtaient les suspects et les interrogeaient, sans leur notifier aucune charge, aucun droit (vous rigolez ! des droits ?). Évidemment, le suspect n'avait pas accès à un avocat, ni même à la procédure. Lorsque le juge estimait que l'enquête était terminée, il tenait un procès, où l'on répétait les charges recueillies et on statuait sur la culpabilité et, le cas échéant sur la peine. Au passage, il faut signaler qu'il y avait des règles formelles exigeantes sur la preuve et qu'on recourrait donc très couramment à la torture pour obtenir des aveux, condition essentielle à la déclaration de culpabilité.

Ca c'était la vraie procédure inquisitoire[1], une procédure caractérisée par le fait que le juge décidait de l'ouverture de l'enquête, y procédait seul, et siégeait dans la composition de jugement. Une procédure marquée par le sceau du secret à l'égard même du suspect, qui ne savait que ce que ses juges lui avaient dit. Une procédure également marquée par l'écrit, puisque chaque moment de la procédure donnait lieu à un procès verbal, dressé par le juge et son greffier.

Cette procédure était déjà dénoncée largement au XVIIIe siècle par les intellectuels et la Révolution s'est empressée de souhaiter qu'on y mette fin. Après quelques réflexions, on s'est tourné vers la procédure qui se mettait en place au même moment outre-manche.

La procédure anglaise de l'époque était marquée par une forte distinction entre deux phases : la phase d'accusation et la phase de jugement. L'accusation était généralement prononcée par un jury, qui examinait les preuves (à l'époque, les preuves réunies par un juge) et décidait s'il y avait ou non lieu à renvoyer le suspect devant une cour d'assises (Old Bailey), où il était jugé par ses pairs. La Révolution s'est empressée de copier ce système formidablement libéral par rapport à ce qu'on connaissait jusqu'à présent en France et nous avons donc, nous aussi conçu un jury d'accusation et un jury de jugement (d'où notre cour d'assises).

L'enquête était faire sommairement soit par les juges de paix, soit par des officiers publics[2]. Le jury d'accusation était présidé par un juge, le "directeur du jury d'accusation". Rapidement, toutefois, ce système est apparu lourd et on a supprimé le jury, pour ne garder que le seul président du jury, devenu juge d'instruction. Ce juge devait logiquement non pas faire une enquête, mais refaire l'enquête et la mettre sous forme judiciaire, c'est-à-dire en procès verbaux de juge et de greffier. A l'issue, il devait se réunir avec deux autres juges et statuer sur un éventuel renvoi devant une juridiction de jugement (on appelle cette formation de trois juge, la chambre du conseil. Elle a été supprimée en France en 1856 mais elle existe toujours en Belgique).

A vrai dire, on n'a pas compris le système anglais parce qu'on était resté avec les vieux réflexes de la procédure inquisitoire. En France, on faisait des procès verbaux au lieu de s'appuyer sur l'oralité des débats. Le greffier du jury d'accusation notait le détail des dépositions, en Angleterre, pour garder une trace de ce qui avait été dit pour la juridiction d'appel. Nous avons transformé cela en procès verbaux utilisés par la juridiction de jugement. Et notre bonne vieille culture du secret a refait surface.

La réforme importante qui a supprimé le jury d'accusation et a entraîné la création du juge d'instruction a également conduit à une modification substantielle du rôle du ministère public (le procureur). Jusqu'alors le "parquet" était surtout là pour donner son avis aux juges, éventuellement pour les inviter à mettre en oeuvre une enquête. Mais le pouvoir d'enquête et de jugement appartenait aux juges seuls. Le code d'instruction criminelle va donner au ministère public le pouvoir de procéder ou de faire procéder aux investigations sommaires, préalables à l'ouverture de l'enquête judiciaire (l'instruction). Il va également donner au procureur un rôle essentiel : décider des poursuites (il y a là une séparation entre l'autorité de poursuite et l'autorité de jugement). Mais nous sommes dans une logique où l'instruction est dans l'ordre des choses, le parquet s'abstenant de saisir le juge d'instruction que dans des cas rares.

Le juge d'instruction est donc une conjonction entre notre histoire ancienne et un emprunt à nos voisins. De l'ancien régime, il a gardé le secret, le rôle essentiel du procès verbal, les pouvoirs d'enquête étendus. De l'emprunt aux Anglais, on a hérité la distinction entre une première enquête sommaire, une enquête judiciaire et un procès. C'est amusant, et instructif pour notre législateur, de voir à quel point le poids de l'histoire l'a emporté sur les volontés de réformes.

Notes

[1] ce qui fait que lorsqu'on dit qu'en France, on a une procédure inquisitoire, il me semble qu'on date un peu... on est heureusement très loin de ce schéma !!

[2] il faut se souvenir qu'à l'époque il n'y avait pas de vraie police judiciaire et que dans la mentalité judiciaire de l'époque, le juge est le seul qui détient les pouvoirs nécessaires pour enquêter

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