Par Paxatagore
Je poursuis timidement mon propos (cf. mon billet d'hier) en examinant un autre thème.
Dans notre pratique actuelle, celui qui détient le pouvoir de contrainte est, grosso modo, celui qui enquête. L'OPJ qui place en garde en vue est celui qui réalise l'enquête. La garde à vue est contrôlée par le magistrat qui est en charge de l'enquête (procureur de la République ou juge d'instruction). Il en va de même pour les perquisitions, les réquisitions, les écoutes téléphoniques, les mandats, etc. Toutes décisions pour lesquelles celui qui ordonne doit, ou devrait, mettre en balance l'intérêt qu'il peut attendre de la mesure envisagée, d'une part, et le désagrément qu'il représente pour la personne qui est contrainte, ses droits, ses libertés. Ce contrôle, à vrai dire, n'est jamais réellement fait. De là vient qu'on place facilement en garde à vue, qu'on perquisitionne à tout va, qu'on pratique des écoutes téléphoniques... De là vient surtout qu'il n'y a aucune doctrine jurisprudentielle sur la proportionnalité entre mesure de contrainte et intérêt de l'enquête.
Soyons honnêtes à ce sujet. Évitons de sortir les grands arguments de principes. Si la police place les gens en garde à vue, c'est pas pour leur offrir des droits pendant le temps où on va les interroger. C'est pour les interroger tranquillement en faisant usage d'une dose raisonnable de pression (notez bien que ce n'est pas une critique de ma part). Etc.
Le raisonnement de la proportionnalité entre la fin et les moyens est même parfois difficile à tenir. En matière de détention provisoire, par exemple, où le sacro-saint principe de présomption d'innocence se heurte à toute argumentaire raisonnable sur la question. Je préférerai qu'on évacue cette dimension mystique de la présomption d'innocence et qu'on demande clairement au juge d'arbitrer entre la probabilité qu'une personne soit coupable et la gravité des faits qui lui sont imputés.
Notre système français repose entièrement sur cette confusion, le même individu (OPJ, procureur, juge d'instruction...) devant faire une balance entre des intérêts contradictoires. Plus exactement, entre certains intérêts qui sont le principe même de son action, ceux sur lesquels il est évalué par ses chefs (la résolution des affaires, la sortie des dossiers...) et des intérêts qui sont de grands principes qui ne donnent lieu à aucune évaluation concrète. Autant dire que tout repose sur la conscience individuelle. Heureusement, notre culture judiciaire n'est pas trop répressive. Mais il me semble qu'un système qui repose exclusivement sur la bonne volonté de ceux qui le servent n'est pas idéal.
Je préfère donc imaginer un système où les mesures coercitives seraient confiées à un juge - je l'appelle le juge de l'enquête préliminaire. Sollicitées par le procureur ou les avocats, il pourrait autoriser les perquisitions, les écoutes téléphoniques, prononcer les contrôle judiciaire ou les placement en détention provisoire, ou encore délivrer des mandats. Donnons lui des principes : qu'il mette en balance, dans chaque décision, l'intérêt que représente la résolution de l'affaire, d'une part, la contrainte qu'elle représente pour les personnes concernées, de l'autre. Qu'il donne la priorité aux mesures les moins coercitives. Certaines décisions seraient prises, par nature, hors de tout débat contradictoire (les écoutes téléphoniques), d'autres, par nature, après un tel débat (la détention provisoire).
Ainsi, on sépare clairement deux fonctions distinctes et, je l'espère, les libertés seraient mieux protégées. Les enquêtes n'en seront pas mieux menées, il faut être très clair à ce sujet : il est même probable qu'elles seront moins parfaites.
C'est aussi parce que nous (juges) sommes très laxistes avec la liberté des autres qu'on a pu se laisser se développer une justice si pauvre. Qu'on cesse de maintenir les suspects en détention provisoire plus de 3 mois, un délai parfaitement raisonnable pour réaliser l'essentiel des investigations dans la quasi totalité des dossiers criminels, pour peu que l'Etat mette les moyens. Et peut-être qu'alors on consentira à mettre un peu d'argent pour payer nos experts à leur juste valeur et on consentira à réorganiser le fonctionnement de la police de façon à ce que les affaires soient traitées rapidement même après la garde à vue.
Cela nous emmène à mon troisième argument : supprimer le juge d'instruction pour mettre fin à la dualité des modes d'enquête.