Les mots ont un pouvoir, mais limité. Parfois, souvent, des images font mieux.
Venez, je vous emmène dans les sous-sols et les arrières-cours de la République.
Voici deux endroits où, au dessus de l'entrée, vous pourrez lire « République Française — Liberté, égalité, fraternité. »
Le premier est la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis, où j'ai quelques clients en ce moment même. Des détenus ont réussi à faire passer à l'intérieur une arme terrible. Une caméra vidéo. Ils en ont sorti 2h30 d'images, dont Le Monde nous offre un petit montage. Les douches extérieures et intérieures. Les cellules. La saleté. Ce que même les avocats ne voient pas.
Et maintenant, de l'exotisme, avec le Centre de rétention de Pamandzi, sur l'île de Mayotte. Un centre de rétention n'est pas une prison. C'est un endroit où sont placés des étrangers en attente de leur reconduite à la frontière. En l'espèce, un seul pays : l'Union des Comores. Mayotte fait partie de cet archipel de quatre grandes îles. Trois îles ont accédé à l'indépendance en juillet 1975 : Grande Comore, Mohéli, et Anjouan. La quatrième île, Mayotte, est restée française car le non à l'indépendance l'a emporté, sur décision unilatérale du premier ministre français d'alors (un certain Jacques Chirac). Avec pour conséquence la séparation de familles : les mahorais ont tous des cousins aux Comores et vice-versa.
Les Comores ont eu une histoire agitée, émaillée de coups d'États et de quasi-guerres civiles, notamment à l'égard d'Anjouan, l'île la plus pauvre, qui a des velléités séparatistes.
Ajouan est à 70 km de Mayotte par la mer. Un saut de puce, que beaucoup d'Anjouanais effectuent dans des barques de fortune. La plupart sont expulsés vers Anjouan, fournissant la plus gros contingent (16.000 environ) de la cohorte des 26 000 expulsions qui fait la fierté de notre ministre de l'immigration, de l'identité nationale et de quelques mots sympas pour faire passer la pilule.
En attendant leur expulsion, ils sont placés au centre de rétention de Pamandzi. Capacité : 60 places. Occupation effective : environ 200. La Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité a, dans un avis du 14 avril 2008 sur lequel je vais revenir, déclaré, dans le plus pur style dit de l'euphémisme administratif :
Les conditions de vie au centre de rétention administrative de Mayotte portent gravement atteinte à la dignité des mineurs retenus ,
demandant que
« les mineurs ne soient plus placés en rétention dans l’actuel centre de rétention administrative de Mayotte ».
Voici des images du centre de rétention de Pamandzi, en octobre dernier. Voyez l'image à 1'19" pour voir comme il a été tenu compte de cet avis.
Le rapport de la CNDS, donc.
La commission a été saisie à la suite du naufrage, il y a un, au cours de la nuit du 3 au 4 décembre 2007, d'une barque de clandestins, percutée par un navire de la… PAF (police aux frontières, ça ne s'invente pas…) qui dérivait, toutes lumières éteinte. Les témoignages des survivants font estimer à une quarantaine le nombre de passagers. La violence du choc éventré le bateau qui a rapidement sombré, et projeté les passagers à la mer, dont certains dormaient. La plupart ne savaient pas nager. L'équipage de la PAFa tout fait pour repêcher les passagers. Mais…
Une jeune gardienne de la paix à bord de la vedette raconte :
« Nous avons jeté tout ce qui pouvait aider les passagers à sortir de l’eau, des cordes avec des bouées flottantes. Mon chef de bord, a sauté à l’eau pour sauver les naufragés. Constatant qu’il commençait à fatiguer, j’ai sauté à l’eau, car j’entendais encore des gens crier à l’avant ; mais n’ayant pas de gilet de sauvetage, je suis finalement remontée à bord. »
La suite figure au journal de bord.
28 personnes récupérées saines et sauves: 15 hommes, 11 femmes et 2 bébés. 1 femme et 1 bébé décédés. 4h50: accostage à Mamoudzou.
La CNDS précise qu'une petite fille de douze ans figure parmi les “disparus”.
Elle a entendu une des survivantes, Mlle R.B., “mineure de moins de 15 ans”:
« J’habitais Anjouan chez ma grand-mère maternelle. Je venais pour la première fois à Mayotte. J’ai pris le bateau toute seule pour rejoindre mon père. Depuis, je vis avec mon père. Je ne vais pas à l’école. J’aimerais y aller. »
Malheureuse. Si tu t'y crois à l'abri.
L'intégralité du rapport(pdf), publié par le GISTI.