Par Guile, élève avocat, qui vous propose de découvrir de l'intérieur comment on devient avocat, une fois réussi l'examen d'accès au Centre Régional de Formation des Avocats (CRFPA).
11, 56… Et oui, devenir avocat, cela commence comme ça : Par une note, vécue comme le Saint Graal après plusieurs mois de dur labeur. Je passerais bien entendu sur les épreuves d’entrée à l’école des avocats, qui, dans le fond, ne présentent pas grand intérêt pour vous lecteurs, puisqu’elles restent assez théoriques, quoiqu’on en dise.
Ce jour là, devant le panneau des résultats, l’étudiant en droit, encore naïf et épuisé par ses longues heures de révisions, croit bêtement avoir fait le plus dur. Que nenni, il lui reste encore à subir une longue période initiatique, appelée formation initiale (que l’on oppose à la formation continue qui est de 20H par an pour les « Maîtres ») à laquelle les apprentis Jedi n’ont rien à envier. Ce périple dure 18 mois en théorie, mais 20 à 22 en pratique. En effet, l’élève avocat (tel est son nom une fois qu’il a intégré l’école des avocats de sa région) doit passer par trois étapes de 6 mois chacune, plus une petite surprise finale.
Ainsi, on parle de la période d’enseignement, de la période de PPI (Projet Pédagogique Individuel), et de la période dite de « stage cabinet ». A l’issue de ses trois phases, se joint l’ultime étape faite d’angoisses et de réminiscence de l’entrée à l’école, le CAPA (Certificat d’Aptitude à la Profession d’Avocat). Comme si l’examen d’entrée, qui a perdu son appellation de concours lors de la réforme (les étudiants restant persuadés qu’il s’agit d’un concours caché…), n’était pas suffisant pour juger de votre capacité à devenir avocat, le législateur a tout prévu : Un examen d’entrée dans la profession après un examen d’entrée à l’école. Vous suivez toujours ?
Chronologiquement, l’élève avocat a la chance d’entamer son parcours de jeune padawan par les 6 mois d’enseignement. Cette étape se décompose en deux parties (et oui le juriste reste binaire jusqu’au bout), puisque l’enseignement à l’école des avocats commence par une première partie dite « générale », qui est suivie d’une seconde dite « optionnelle » (Je précise que ce n’est pas le cas dans toutes les écoles, mais je ne m’aventurerais pas à les comparer).
Je sens déjà que vous vous demandez à quoi sert cet enseignement ? Vous pouvez, puisque de longues années d’études nous ont façonnées, pour ne pas dire formaté. En réalité, le droit n’est pas la seule chose à savoir pour devenir avocat, loin s’en faut. Ainsi, l’élève découvre les règles propres à la profession, comme la déontologie, ou les règles fiscales régissant les professions libérales et apprend à bafouiller (euh plaider pardon). Bien sûr, l’élève avocat continue de parfaire sa formation juridique, pour ne pas oublier tout ce qu’il a mis si longtemps à retenir, au risque de l’overdose législative d’ailleurs.
De cette période, je ne retiendrais qu’une chose : le « Petit Serment ». Il s’agit d’une prestation de Serment qui engage les élèves avocats à respecter certaines règles déontologiques durant leurs stages, notamment le secret professionnel.
Comment décrire ce moment sans avoir l’air d’un adolescent boutonneux devant son nouveau jeu vidéo… Grandiose, solennel, et impressionnant : Cour d’appel, réquisitions de l’avocat général, et Serment debout, un par un, dans une magnifique salle d’audience en noyer massif. J’avoue en garder un souvenir impérissable. J’ai hâte de vivre la « vraie » prestation de Serment, pour vibrer un peu plus….
Ensuite vient la période de PPI. Très simplement il s’agit d’un stage dans « tout sauf un cabinet d’avocat ». Paraît-il, cela ouvre l’esprit de l’apprenti avocat, vers d’autres professions et d’autres méthodes de travail. Ce stage permet une assez grande marge de manœuvre, puisque tout est possible ou presque (l’ostréiculture n’ayant qu’un lointain rapport avec le droit, cela est exclu). De nombreux élèves choisissent de passer cette période de 6 mois en juridiction. L’avantage, c’est qu’on voit l’envers du décor, qu’on découvre très vite ce que les magistrats aiment ou n’aiment pas chez les avocats et que raconter les anecdotes des arcanes de la Justice en famille, c’est toujours plus croustillant que de parler de ses professeurs. Inconvénient : pas de gratification de stage. Quand on vous dit que la Justice n’a pas de budget…
D’autres préfèrent les entreprises, ou les autres professionnels du droit (qui vont d’ailleurs bientôt disparaître pour certains d’entre eux, rappelons-le). C’est également intéressant, car l’élève avocat va enfin avoir une approche concrète des problèmes juridiques posés dans la « vraie vie » (En effet, à l’Université nous avons été bercés aux cas pratiques avec dans le rôle du méchant M. Lescroc et de la victime, Mme Lablonde).
Cette période est notée, évidemment, et fait l’objet d’un rapport de stage.
Enfin, pour finir (pas tout à fait, vous comprendrez pourquoi), l’élève avocat, devenu « avocat-stagiaire » dès son passage par l’étape PPI, doit terminer par un stage en cabinet d’avocats pour une durée de 6 mois également.
Ce stage fait un peu office de « période d’essai » pour les recruteurs. Du coup, contrepartie oblige, ils sont très regardants sur le bétail qu’ils emploient. C’est un peu celui qui sera la meilleure bête à concours, qui trouvera une place dans les meilleurs cabinets. Ce stage fait l’objet de recherches approfondies de la part des élèves avocats, à tel point que le harcèlement téléphonique des cabinets devient règle. On en oublierait presque les principes élémentaires de politesse… A force d’expérience, je dois dire, qu’on arrive à maîtriser parfaitement l’Art de la lettre de motivation et du CV trafiqué (euh mis en valeur, pardon).
Durant ces 6 mois, le stagiaire est en véritable immersion dans son futur univers professionnel. C’est formidable, me direz vous, mais pas pour tout le monde. Certains étant victimes de la terreur infligée par leur patron, d’autres n’ayant pas eu de tâches intéressantes à accomplir mais maîtrisant parfaitement la machine à café. (6 mois à ses côtés, ça aide)
Pour les futurs élèves, je vous rassure, ces cas ne sont pas légion, et dans l’ensemble, cela se passe plutôt bien et reste très formateur pour l’apprenti. Cette période est également notée et doit être retranscrite sur un rapport de stage.
Contrairement à certains stages PPI (période précédente), celui ci est rémunéré. La gratification du stagiaire est liée à la taille du cabinet d’avocats et du nombre de salariés non-avocat qui le compose. En gros, la fourchette va de 60% du SMIC à 85%. Bref, c’est pas énorme, mais c’est déjà ça, surtout qu’on est encore loin d’être aussi efficace qu’un collaborateur en exercice.
Après tout ça, me direz vous, le parcours du combattant étant terminé, il n’y a plus qu’à prêter serment, et c’est parti… Et bien non.
Comme je l’ai dit plus haut, il reste un dernier examen de passage, pour embrasser enfin la profession d’avocat. Le CAPA. Pour beaucoup, c’est juste une formalité, enfin en apparence, puisque le taux de réussite est très élevé. (Je crois que dans mon Centre de formation, il est de 98%). Le problème, c’est que les impétrants sortent d’une période de stage, et l’enseignement, notamment de déontologie, est derrière eux depuis plus d’un an. Bref, pas facile de se souvenir de ce que le Bâtonnier a raconté sur le secret des correspondances ou sur le conflit d’intérêt.
Enfin, il arrive parfois que les rapports de stage posent problème, et ne soient pas très bien notés (souvent en raison du travail de rédaction insuffisant paraît-il). Je vous rassure, il existe un rattrapage qui oblige l’élève ayant échoué à se refaire ses rapports de stages si ces derniers ont été mal notés !!!
La conclusion de ce parcours interminable, est la fameuse Prestation de Serment. Chaque élève ayant réussi prêtera Serment dans son Barreau de rattachement et prononcera la formule consacrée : « Je jure comme Avocat, d'exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité, humanité ». Etant superstitieux et n’étant pas encore parvenu à cette ultime étape, je préfère laisser les avocats en exercice vous raconter cet instant, magique d’après ce que j’en sais.
Voilà, je crois avoir fait le tour de ce qu’est la formation initiale. Il m’a semblé important que ce soit raconté par un apprenti avocat qui vit cela de l’intérieur, pour vous montrer que ce métier, on ne le choisit pas par hasard pour accepter tout ça.