Il est des décisions humiliantes pour l'État, et celle rendue par le Conseil d'État le 31 octobre dernier fait partie de celles-ci.
Le Conseil a examiné un recours présenté contre le décret n°2006-338 du 21 mars 2006 modifiant le code de procédure pénale (troisième partie : Décrets) et relatif à l'isolement des détenus.
Ce décret instituait un nouveau régime de placement à l'isolement des mineurs détenus. Ce régime avait le mérite de la simplicité : à peu de choses près, c'était le même que celui des adultes.
L'isolement, kesako ?
Il faut distinguer l'isolement du placement en cellule disciplinaire, le “mitard”. Cette dernière est une punition, prononcée après un débat par la commission disciplinaire (le “prétoire”) où le détenu peut être assisté d'un avocat. Elle est d'une durée maximale de 45 jours et sanctionne les fautes les plus graves (violences, agression contre un gardien, fût-elle verbale). Le mitard, c'est une cellule spéciale, où le prisonnier est seul. Il y reste enfermé 23 heures par jour, ne sort que pour une promenade d'une heure dans une cour spéciale où il est là aussi seul. Il est privé de toutes les activités (sport, bibliothèque, travail), et n'a plus droit au parloir famille (exceptionnellement, un unique parloir peut être prévu juste après la sanction, généralement avec dispositif de séparation du type hygiaphone). Les parloirs avocat ne sont pas affectés (on essaie d'aller voir souvent nos clients au mitard, pour les aider à tenir). Il ne peut plus “cantiner” c'est à dire acheter des produits à la boutique de la prison sauf le nécessaire pour l'hygiène, la correspondance et le tabac. Il peut toujours correspondre avec son avocat et sa famille. Vous ne serez pas surpris d'apprendre que c'est au mitard qu'est le taux de suicide le plus élevé. Voici quelques photos prises en 2006 du mitard de Fleury Mérogis. Oui, ça, c'est la douche.
L'isolement est une mesure « de protection ou de sécurité », décidée soit sur la demande du détenu qui s'estime menacé, soit d'office par le directeur d'établissement, ou pour un détenu provisoire, indirectement par le juge d'instruction qui prend une « interdiction de communiquer », qui ne peut être appliquée par le directeur d'établissement que par une mise à l'isolement, avec en outre retrait du droit à la correspondance et aux visites, l'avocat excepté bien entendu. L'interdiction de communiquer ne peut durer que dix jours, renouvelables une fois. Au bout de 20 jours, l'isolement doit prendre fin, sauf à basculer sur une mise à l'isolement administrative.
La mise à l'isolement est décidée pour une durée de trois mois, renouvelable pour deux ans maximum, étant précisé que le deuxième et troisième renouvellement est décidé par le directeur interrégional des services pénitentiaires, et le quatrième, cinquième et sixième le sont par le ministre de la justice, pour une durée de quatre mois. Au delà de deux ans, l'isolement peut être exceptionnellement prolongé par le ministre de la justice, par une décision spécialement motivée. On a des détenus qui ont passé 20 ans à l'isolement.
L'Isolé est placé dans le Quartier d'Isolement (QI) en théorie distinct du quartier disciplinaire. L'Isolé est placé seul en cellule, ne peut avoir de contact avec les autres détenus, sauf certaines activités avec les autres Isolés. Il peut avoir la télévision dans sa cellule (s'il peut se la payer), n'a pas accès au travail, au sport (en théorie, une salle de sport doit être aménagé au QI, en pratique, c'est rare), aux offices religieux, a droit aux parloirs famille. Des horaires doivent être aménagés pour l'accès à la bibliothèque aux isolés.
Que prévoyait le décret du 21 avril 2006 ?
L'alignement du régime des détenus mineurs sur celui des majeurs. Rappelons qu'à ce jour, seuls les mineurs âgés de treize ans et plus peuvent être incarcérés dans un établissement pénitentiaire (les plus jeunes peuvent être privés de liberté, mais dans des établissements spécialisés relevant de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, les Centre Éducatifs Fermés et les Centres Éducatifs Renforcés).
Que dit l'arrêt du Conseil d'État du 31 octobre ?
Oh, trois fois rien. Après avoir rappelé que
« ni les stipulations [de la convention internationale sur les droits de l'enfant] ni, au demeurant, les exigences qui procèdent de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante n'interdisent, de manière générale, qu'une mesure d'isolement puisse être appliquée à un mineur, même si ce n'est pas sur sa demande » ;
en revanche, précise le Conseil d'État,
« les stipulations des articles 3-1 et 37 de la convention relative aux droits de l'enfant font obligation d'adapter le régime carcéral des mineurs dans tous ses aspects pour tenir compte de leur âge et imposent à l'autorité administrative d'accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants pour toutes les décisions qui les concernent »,
ce que le gouvernement, dans son obsession de traiter les mineurs délinquants comme des adultes, avait juste oublié.
En outre, il résulte de ces stipulations,
« compte tenu des fortes contraintes qu'il comporte, qu'un régime d'isolement ne peut être rendu applicable aux mineurs sans que des modalités spécifiques soient édictées pour adapter en fonction de l'âge, le régime de détention, sa durée, les conditions de sa prolongation et, notamment le moment où interviennent les avis médicaux ».
Or,
« faute de comporter de telles modalités d'adaptation du régime de mise à l'isolement applicable aux mineurs, le décret attaqué n'offre pas de garanties suffisantes au regard des stipulations précitées ; que, dès lors, les dispositions de l'article 1er de ce décret doivent être annulées en tant qu'elles sont applicables aux mineurs ».
Vous, je ne sais pas, mais moi, la seule chose qui me met autant en joie que d'apprendre que la France a violé la Convention européenne des droits de l'homme, c'est bien d'apprendre que la France a violé la Convention internationale des droits de l'enfant.
Pardon ? Ah, ce décret violait aussi la Convention européenne des droits de l'homme ?
« Considérant que si le pouvoir réglementaire était compétent pour organiser une mesure d'isolement, y compris dans le cas où celle-ci procède des ordres donnés par l'autorité judiciaire en vertu de l'article 715 du code de procédure pénale, il ne pouvait lui-même en prévoir l'application tant que le législateur n'était pas intervenu préalablement pour organiser, dans son champ de compétence relatif à la procédure pénale, une voie de recours effectif, conformément aux stipulations de l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, par suite, en l'absence de la possibilité d'exercer un tel recours, le pouvoir réglementaire ne pouvait légalement édicter l'alinéa 4 de l'article D. 56-1, qui soumet le détenu au régime de l'isolement sur ordre du magistrat saisi du dossier de l'information ».
Ah, oui, tiens, on avait oublié le droit à un recours effectif contre cette décision. Ce qu'on peut être distrait, pendant les manifestations contre le CPE.
Bon, au moins, ce décret a réussi à ne pas violer la Constitution…
Ben… Pourquoi vous me regardez comme ça ?
« Considérant que les alinéas 1, 2 et 3 de l'article D. 56-1, relatifs à la prescription de la mesure d'isolement ordonnée par le magistrat saisi du dossier de l'information, définissent des règles concernant la procédure pénale ; que, par suite, le moyen tiré de ce qu'en édictant ces dispositions, le pouvoir réglementaire aurait empiété sur le domaine réservé à la loi par l'article 34 de la constitution doit être accueilli ».
En clair, le gouvernement a pris par décret des dispositions que seul le parlement pouvait adopter. La séparation des pouvoirs. Une paille.
Le plus surprenant, c'est que le gouvernement (je parle du gouvernement Villepin) a eu vent de l'illégalité de son décret puisque le 8 mai 2007, 48 heures après l'élection présidentielle, il a pris un décret revenant largement en arrière, excluant tout placement à l'isolement pour les mineurs de 16 ans et réservant la décision de placement au seul juge judiciaire (cette disposition non abrogée par le décret du 8 mai 2007 est annulée par l'arrêt du 31 octobre 2008 pour absence de recours effectif).
Comme il est écrit dans les toilettes de l'école de ma fille, « c'est bien de nettoyer, c'est mieux de ne pas salir ». Le gouvernement devrait parfois réviser ses fondamentaux.