Hervé Éon, poursuivi pour offense au chef de l'État a été reconnu coupable et condamné par le seul tribunal palindrome de France à trente euros d'amende avec sursis (sur 45.000 encourus), outre les 90 euros (72 s'il paye dans les trente jours) de droit de procédure que doit acquitter tout condamné pour un délit (c'est 22 euros pour le condamné pour une contravention et 375 euros pour un crime ; celui qui a dit que le crime ne paie pas n'était pas receveur des impôts).
Ce genre de condamnation me fait irrésistiblement penser à ce que j'appelle une condamnation anti-appel. On la rencontre fréquemment sur des dossiers où la procédure est un peu border-line : le tribunal ne souhaite pas l'annuler mais prononce une peine tellement dérisoire que le prévenu n'a pas envie de faire appel (et le cas échéant de porter l'affaire jusqu'en cassation et devant la CEDH).
Je sens que mes colocataires magistrats dévalent l'escalier d'honneur du château pour me dire qu'ah mais non mais pas du tout.
J'ai des preuves de ce que j'avance. Dans un dossier qui, par les hasards de la procédure, était devenu deux dossiers distincts, jugés à une semaine d'intervalle par deux chambres correctionnelles distinctes du même tribunal, même procédure, même nullité (et pas une petite, défaut de notification des droits en garde à vue, du costaud), j'ai eu dans le premier jugement une nullité rappelant la jurisprudence constante en la matière et dans le deuxième un rejet de mon exception invoquant… l'absence de grief (je vous jure), et condamnant à une très légère amende, avec sursis. Pour deux délits, dont un aggravé. Malgré mes suppliques, mes clients n'ont pas voulu faire appel. J'ajoute que dans les deux cas, le parquet demandait le rejet de la nullité.
Ici, rien ne dit que la procédure était bancale. C'est plutôt un problème de fond qui se pose, sur la limite apportée à la liberté d'expression (voir mon précédent billet). Je suppose que ce moyen a été soulevé devant le tribunal et a été rejeté.
Qui a dit que le magistère de magistrat était aisé ? Il faut ici choisir entre offenser le président en refusant de châtier celui qui l'a offensé (et on sait depuis peu qu'il ne goûte point la défaite judiciaire, point sur lequel nous nous ressemblons, même si j'y mets plus les formes), ou risquer d'offenser la cour européenne des droits de l'homme, en supposant qu'elle soit saisie un jour, ce qui pré-suppose d'épuiser en vain les voies de recours internes (appel, et cassation). Hypothèse peu probable quand la peine prononcée est de 0,067% du maximum légal.
Mais nous parlons d'Éon ; et avec un nom si chevaleresque, il ne pouvait se rendre : il compte faire appel, comptant sur la douceur angevine après la rigueur lavalloise.
J'ai tendance à approuver, mais parce que je suis extérieur au dossier. Cela dit, le condamné est, si j'ai bien compris, à l'aide juridictionnelle.
Affaire à suivre, donc.