Par Gascogne
Pendant la crise, la Chancellerie poursuit son travail de fond. Un decret portant réforme de la carte judiciaire vient d'être publié au journal officiel du 31 octobre 2008. Jusque là, rien de bien étonnant me direz-vous. Un peu tout de même, puisque ce décret abroge en son article 4 les décrets du 15 février 2008 et du 6 mars 2008 (vous savez, ceux qui réformaient la carte judiciaire) ainsi que celui du 15 mars 1991 fixant le siège et le ressort des greffes détachés des tribunaux d'instance.
Là où les choses deviennent étonnantes, c'est que les tableaux joints à ce texte et qui fixent les ressorts des tribunaux d'instance et des greffes détachés, ne changent quasiment rien aux tableaux déjà annexés aux deux précédents décrets, abrogés.
On abroge donc pour réinstaurer la même chose...
Quelques collègues mal intentionnés se demandent s'il ne s'agit pas d'un moyen de court-circuiter les recours contre les précédents décrets, pendants devant le Conseil d'Etat. On a pu en effet entendre dire que l'absence de concertation, et notamment de réunion des comités techniques paritaires, pourtant obligatoires en la matière, faisaient partir les précédentes décisions gouvernementales à l'abattoir. Or, ces réunions ont finalement eu lieu début septembre.
Un nouveau texte pour éviter une bérézina judiciaire ? Mais qui va devoir payer cette faute ?
Autre élément intrigant, on ne parle plus de suppression de juridiction, mais de disparition du ressort de compétence. Simple problème sémantique ?
Trêve de mauvais esprit, un fol espoir s'est emparé d'un certain nombre de magistrats, et notamment des juges directeurs de tribunaux d'instance : le nouveau décret allait au moins permettre de supprimer par anticipation les tribunaux qui posent actuellement bien plus de problèmes qu'il n'apportent de solutions au cours de la justice d'instance (et oui, aussi étonnant que cela puisse paraître, les magistrats pourtant confits de conservatisme, sont majoritairement favorables à la réforme de la carte judiciaire, mais sûrement pas celle qui nous a été vendue avec les manières de matamore que l'on sait).
Raté : très peu de fermetures anticipées (au 31 décembre 2008) dans ce texte. Je n'ai relevé que deux tribunaux d'instance (Barbezieux et Cognac) et un greffe détaché (Voiron), mais au milieu de ces 55 pages de décret caractères 8, je peux me tromper...
Prenons un exemple. Soit le tribunal d'instance de Framboisy. Il comporte un juge. Sur le ressort du TGI de Framboisy, cette fois, se trouve également le tribunal d'instance de Poméranie. Malheureusement pour lui, il fait partie des tribunaux devant être supprimés, puisqu'il ne se trouve qu'à quelques kilomètres de Framboisy, et n'apporte dés lors aucune valeur ajoutée à la carte judiciaire. Rajoutez au cocktail un greffe détaché (c'est à dire sans juge à demeure mais avec des fonctionnaires : les justiciables peuvent donc y faire leurs démarches, et des audiences foraines s'y tiennent) situé à Trifouillis-sous-Bois. Le bâtiment est dans un tel état de délabrement que cela fait bien longtemps que les fonctionnaires ont été rapatriés sanitaires à Framboisy. Bref, les locaux sont vides, et le greffe doit également être cartejudiciarisé.
Tout le monde est d'accord pour une fermeture anticipée qui n'intervient pourtant pas (le cas est véridique, et malheureusement pas isolé).
Quelles sont les conséquences de cette situation ?
Elles sont simples : à Framboisy, le justiciable qui vient, mettons, déposer une demande en injonction de payer, a le choix entre six saisines : juge de proximité de Framboisy, juge d'instance de Framboisy, juge de proximité de Poméranie, juge d'instance de Poméranie, juge de proximité de Trifouillis-sous-Bois ou juge d'instance de Trifouillis-sous-Bois. Se trompe-t-il sur sa saisine qu'il y aura incompétence de la juridiction.
La situation oblige d'ailleurs nos collègues de l'instance à saisir, par le biais de commissions rogatoires lorsque des actes sont à effectuer sur le ressort de compétence voisin, le collègue qui s'avère être dans la plupart des cas un voisin de bureau.
Je vous épargne les détails sur le travail des greffiers, le fonctionnaire en charge des injonctions de payer pour reprendre cet exemple devant établir six enregistrements, six rôles d'audience, sur des serveurs informatiques différents, et bien sûr établir les sacro-saintes statistiques pour toutes ces juridictions (Fieffégreffier en parlera bien mieux que moi).
Ou quand un simple décret réussit finalement à marier Kafka et Ubu.
P.S. : le statut de petits pois des magistrats est visiblement officialisé. Outre les ministres de la justice, de l'intérieur et de l'outre-mer, le ministre de l'agriculture est en charge de l'application de ce texte.