La semaine dernière, la France annonçait qu'elle était prête à accueillir un guerillero des FARC, les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie - Armée du Peuple, qui avait déserté, emmenant avec lui un député démocratiquement élu kidnappé au nom du peuple.
Il existe une certaine ambiguïté sur la nature de cet accueil, et les propos rapportés par Le Point ne sont pas là pour éclairer :
La présidence de la République réaffirme sa volonté d'accueillir en France l'ex-guérillero Isaza , qui a permis la libération d'Oscar Lizcano, otage durant huit ans. Lundi matin, pourtant, une précision apportée par l'Élysée selon laquelle l'accueil se ferait "sous réserve de vérification de sa situation judiciaire" avait semé le doute sur l'octroi de l'asile politique à ce membre des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc).
Jointe par lepoint.fr à ce sujet, la présidence explique : "Cela ne remet pas en cause les engagements pris par Nicolas Sarkozy d'accorder l'asile à des membres des Farc, mais à condition qu'ils soient repentis, et qu'ils ne soient pas sous le coup de procédures judiciaires où que ce soit dans le monde, notamment en Colombie et aux États-Unis." Toujours selon l'Élysée, ces restrictions ne posent pas de problème particulier. Il s'agit juste de s'assurer que le guérillero "bénéficie d'une loi sur les repentis votée par la Colombie qui a saisi l'équivalent du procureur général de Colombie pour en décider. C'est une question de procédure judiciaire".
Une phrase ne peut que me faire tiquer : « Cela ne remet pas en cause les engagements pris par Nicolas Sarkozy d'accorder l'asile à des membres des Farc ». Certes, la précision quant à l'absence de poursuites judiciaires à l'encontre d'Isaza, le geôlier repenti, ne remet pas en cause l'engagement du président de la République. C'est autre chose qui le remet en question.
Car l'asile politique échappe à l'État, et donc à son chef, qui a décidément bien du mal avec la notion d'indépendance à son égard.
Rappelons d'abord brièvement l'histoire du droit d'asile.
Avant la seconde guerre mondiale, il n'y avait pas d'instrument international unique visant à la protection des réfugiés. Chacun faisait ce qu'il voulait chez lui, et globalement, la France n'a pas démérité. C'est au début du XXe siècle que se pose la question de l'accueil des réfugiés, avec l'arrivée massive de deux émigrations dues à la fuite face à l'oppression : les Arméniens, à partir de 1915, et les Russes, à partir de 1917. La France créera deux offices de protection pour chacune de ces nationalité ; pour la petite histoire, l'office de protection des réfugiés russes s'est installé dans les locaux du Consulat de Russie, le Consul récemment nommé par le Tsar étant nommé président de cet office, étant le mieux placé pour traiter les demandes et distinguer les vrais réfugiés des agents envoyés par le nouveau pouvoir pour liquider des opposants politiques.
Dans les années 30, c'est l'arrivée encore plus massive d'Espagnols qui va conduire à la fusion des différents offices en un seul, chargé de traiter toutes les demandes de toutes les nationalités. Là encore, pour la petite histoire, cette fusion a entraîné une cohabitation difficile entre le service en charge des Russes et celui en charge des Républicains espagnols, situés à deux étages du même bâtiment, les premiers étant aussi blancs que les seconds étaient rouges.
Après la seconde guerre mondiale, la question des réfugiés a acquis une toute autre dimension. C'est par millions que l'Europe faisait face à des populations déplacées, certaines chassées par les nazis de pays désormais occupés par les soviétiques. Une convention va être signée à Genève le 28 juillet 1951 pour donner un statut spécifique et unique aux réfugiés, et leur donner les mêmes garanties où qu'ils se trouvent. Le Haut Commissariat des nations Unis aux Réfugiés (UNHCR) est créé à cette occasion.
Le principe est que tout État signataire doit accorder le statut de réfugié à toute personne qui « craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner. »
La France a unilatéralement élargi ses obligations et a créé une deuxième catégorie ouvrant droit au statut de réfugié, la protection subsidiaire (autrefois appelée l'asile territorial), qui concerne
toute personne qui ne remplit pas les conditions pour se voir reconnaître la qualité de réfugié mentionnées à l'article L. 711-1 et qui établit qu'elle est exposée dans son pays à l'une des menaces graves suivantes :
a) La peine de mort ;
b) La torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants ;
c) S'agissant d'un civil, une menace grave, directe et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d'une violence généralisée résultant d'une situation de conflit armé interne ou international.
Article L.721-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA).
Cependant, et c'est ici très important, tant la Convention de Genève que le CESEDA prévoit que des personnes répondant à ces critères se voient retirer ce droit si, s'agissant du droit d'asile, i lexiste des raisons sérieuses de penser :
a) Qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;
b) Qu'elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'y être admises comme réfugiés;
c) Qu'elles se sont rendues coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.
(Convention de Genève de 1951, article 1,F.)
et s'agissant de la protection subsidiaire, s'il existe des raisons sérieuses de penser :
a) Qu'elle a commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité ;
b) Qu'elle a commis un crime grave de droit commun ;
c) Qu'elle s'est rendue coupable d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations unies ;
d) Que son activité sur le territoire constitue une menace grave pour l'ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l'Etat.
D'où les prudentes réserves de la France quant à la virginité de son casier judiciaire. Notre joyeux guerillero entre en effet très probablement dans les clauses d'exclusion du statut de réfugié (ne serait-ce que parce que la séquestration est un crime), et appartient plus à la catégorie des bourreaux qu'à celle des victimes que le statut de réfugié est censé protéger.
Ce statut est, en France, octroyé par un Établissement public spécialisé, l'Office Français de de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA), sis à Fontenay-Sous-Bois dans le Val de Marne (là). Cet établissement, rattaché traditionnellement au ministère des affaires étrangères, et depuis peu au ministère de l'immigration, l'intégration, l'identité nationale, du développement solidaire et des crêpes au jambon, jouit d'une autonomie administrative et financière, et d'une inviolabilité qui s'apparente à celle d'une organisation internationale (ses archives sont par exemple d'une confidentialité absolue, y compris s'agissant des demandeurs déboutés).
L'OFPRA n'a donc d'ordre à recevoir de personne s'agissant de l'octroi ou du refus du statut de réfugié. Ses décisions de refus peuvent être attaqués devant une juridiction spécialisée, la Cour Nationale du Droit d'Asile, siégeant à Montreuil Sous Bois en Seine Saint Denis (là).
Bon, je dois à la vérité de dire que si l'OFPRA n'a pas d'ordre à recevoir, cela ne signifie pas que s'il en reçoit, il ne fait pas montre d'une certaine docilité. C'est avant tout une administration, et son directeur général a une carrière à gérer. Mais que diable, il y a des apparences à respecter.
Est-ce à dire que le Président ne peut rien promettre ?
Du tout. En droit des étrangers, il y a un principe essentiel : l'État est toujours libre de décider qu'Untel peut entrer et séjourner sur son territoire. L'État n'est JAMAIS tenu de refuser un visa ou un titre de séjour. Il est des cas où il est tenu de l'accorder et viole la légalité en le refusant, mais accorder un titre de séjour ne peut JAMAIS violer la légalité.
Simplement, cet étranger aura une carte de séjour, voire de résident (valable dix ans) mais pas le statut de réfugié.
Mais alors, sommes-nous en présence de ce pinaillage que les juristes affectionnent tant, l'Élysée a-t-il employé le terme d'asile pour simplifier, alors qu'il entendait parler d'un simple droit au séjour ?
Que nenni. Le statut de réfugié présente des avantages incomparables à ceux fournis par une simple carte de résident. Outre la liberté de circuler et de travailler; le réfugié jouit du droit à la protection de l'État où il est réfugié. Cette protection s'étend à sa famille proche dès lors qu'elle est exposée à des représailles. Elle lui permet de voyager partout dans le monde sous couvert d'un document de transport équivalent à un passeport, et où qu'elle soit dans le monde, a droit à la protection consulaire de la France comme un de ses ressortissants. Enfin, le réfugié est protégé dans tous les pays signataires de la Convention de Genève contre l'arrestation et l'extradition vers son pays d'origine.
Le statut de simple résident enfermerait de fait l'intéressé dans les frontières françaises, ne le met pas à l'abri d'une demande d'extradition, et peut lui être retiré par l'administration. On comprend qu'il fasse la moue.
Tous ces avantages font que le statut de réfugié est très prisé par les anciens dignitaires de régimes pas très respectueux des droits de l'homme. Pas les chefs d'État, ce ne serait pas discret. Mais vous seriez surpris de voir qui se promène avec une carte de réfugié délivré par la France. Et un peu honteux quand vous saurez que les victimes du régime de ces messieurs se voient, eux refuser la qualité de réfugié. Mais que voulez-vous, la France n'oublie pas ses amis, africains ou mésopotamiens. Et ne voit plus dans le statut de réfugié qu'une pesante et coûteuse obligation, que l'on peut heureusement de temps en temps rentabiliser en en faisant une monnaie d'échange.