Je ne sais pas si mon titre est bien clair.
Voici le commentaire de la décision rendue par la cour d'appel de Douai dans la fameuse affaire du mariage annulé, la mariée n'étant pas ce que son mari pensait qu'elle était.
C'est une gageure de rester clair dans cette affaire, qui est un ménage à trois puisque le parquet est appelant principal (c'est lui qui demande que cette décision soit réformée), l'épouse est appelante incident (c'est à dire qu'elle a fait appel parce que le parquet a fait appel : elle souhaite essentiellement que le jugement soit confirmé mais s'il ne l'était pas, elle a des arguments à faire valoir ; et si l'appel du parquet tombe, son appel tombera automatiquement) et l'époux n'est pas appelant : on dit qu'il est intimé. Et c'est pourtant lui qui sera le plus prolixe en arguments. Notez bien la position de chacun dans la procédure, ça aidera à la compréhension : le parquet veut que le jugement soit annulé, l'épouse qu'il soit confirmé mais subsidiairement qu'il soit modifié, et l'époux veut que tout reste comme avant.
L'arrêt aborde successivement quatre questions de droit : le parquet est-il recevable à faire appel ? L'épouse est-elle recevable à faire appel incident ? La réponse à ces deux questions préalables étant “oui”, la cour aborde les questions de fond : faut-il réformer le jugement ? Et l'époux doit-il des dommages-intérêts à son épouse pour toute cette affaire ?
Les extraits de l'arrêt que je cite ne respectent pas l'ordre de la rédaction. Vous trouverez un lien vers la décision in extenso à la fin de ce billet.
Première question : le parquet était-il recevable ?
Tant l'époux que l'épouse opposent une série d'arguments tirés de ce que cette affaire regarderait strictement leur vie privée, juridiquement protégée, et non l'ordre public, et que le parquet n'aurait donc pas à y mettre son nez.
Réponse de la cour :
L’intervention du ministère public au procès opposant au principal Monsieur X. à Madame Y. puis son appel relèvent du contrôle de l’ordre public et ne portent pas une atteinte disproportionnée au respect dû à Madame Y.. de sa vie privée protégée par l’article 9 du code civil ou l’article 8 CEDH non plus qu’à son droit au libre mariage tel que posé à l’article 12 CEDH.
L'argument tient : le mariage est une affaire mixte, mêlant ordre privé et ordre public (il y a célébration publique dans la maison commune par l'officier d'état civil, à peine de nullité, et le mariage entraîne des conséquences personnelles et patrimoniales).
Autre argument, plus intéressant : le parquet serait irrecevable en ce qu'il ne demande pas la modification du dispositif du jugement (qui annulait le mariage…) mais ses motifs (… pour le problème lié au défaut de virginité de l'épouse). Or l'appel, et toute voie de recours de manière générale, vise à contester le dispositif, pas les motifs, qui ne sont que le moyen de contester le dispositif. Par exemple, vous demandez que votre voisin soit condamné à vous payer 10.000 euros de dommages-intérêt pour abus de son droit de chanter du Tokio Hotel sous la douche à 6 heures du matin. Le tribunal le condamne à vous payer 10.000 euros (c'est le dispositif), en estimant qu'il s'agit d'un trouble anormal du voisinage (c'est le motif). Vous ne pouvez pas faire appel pour demander la confirmation de la condamnation mais que ce soit pour abus de droit de chanter du Tokio Hotel à 6 heures du matin et non trouble anormal de voisinage. C'est faire perdre son temps à la justice.
La cour ne répond pas directement à cet argument, qui sera sans doute repris dans un éventuel pourvoi (on me dit dans l'oreillette qu'il est très probable). Elle y répond indirectement plus loin en infirmant le jugement et en déboutant le mari de sa demande en nullité.
Sur le délai pour faire appel, la question n'est pas abordée dans l'arrêt. On me dit dans l'oreillette (mes taupes sont toutes équipées de Bluetooth) que le jugement n'avait pas été signifié au parquet, ce qui n'est en effet pas l'usage.
À ce propos, la qualité à agir du parquet est remis en cause en invoquant un acquiescement tacite (c'est à dire que le comportement du parquet démontre de manière univoque qu'il a accepté le jugement, perdant ainsi le droit de faire appel : article 546[1] et 410 du code de procédure civile (CPC)[2]), par les déclarations à la presse du procureur de la République et du Garde des Sceaux et des Bagues Chaumet approuvant ce jugement avant d'en faire appel. L'argument n'est pas tant juridique que politique : c'est une façon cinglante de mettre le parquet, et en premier lieu sa Majestueuse Parquitude face à ses contradictions.
La cour se cantonne au plan du droit :
Les déclarations publiques qu’ont pu faire la garde des sceaux ou le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Lille après le prononcé dujugement ne valent pas acquiescement à cette décision au sens de l’article 410 du code de procédure civile. En effet, un acquiescement au jugement doit, pour être certain, être soit exprès (c’est à dire ressortir d’un acte écrit précis exprimant l’acquiescement) soit implicite (c’est à dire résulter d’actes démontrant avec évidence et sans équivoque l’intention de la partie à laquelle est opposé le jugement d’accepter le bien-fondé de l’action, ou d’actes incompatibles avec la volonté d’interjeter appel). Tel n’est pas le cas en l’espèce, les déclarations en cause ne révélant pas une intention non équivoque de ne pas relever appel.
La cour démontre une très fine compréhension de la politique : ce n'est pas parce que le Garde des Sceaux dit qu'elle approuve le jugement que cela signifie qu'elle ne va pas en demander l'annulation. J'avoue que ce niveau de subtilité est inaccessible à mes facultés intellectuelles limitées.
Autre argument contre la recevabilité de l'appel, très pertinent : le parquet se se serait pas opposé à la demande en première instance, ayant simplement apposé une mention « Vu et s'en rapporte », sous-entendu “ à justice ”, c'est à dire qu'il n'a rien à dire ni à y redire. Il n'aurait donc pas qualité pour contester ce qu'il ne trouvait pas contestable en première instance. Sauf que la cour ne le comprend pas ainsi.
Dès lors que le ministère public, à qui la cause avait été communiquée en première instance, y est intervenu, fût-ce comme partie jointe, et s’en est rapporté à justice ce qui constituait une contestation, il est recevable à former appel du jugement qui est susceptible de mettre en jeu des principes d’ ordre public.
**Tousse ! Tousse !** Pardon ? Autant la réponse sur la question de l'ordre public me semble incontestable, lire que s'en rapporter à justice constitue une contestation me laisse dubitatif. S'en rapporter à justice, ce n'est ni contester ni approuver, c'est dire en termes élégants : je n'ai pas d'opinion et je me fiche un peu de cette histoire pour tout vous dire.
La cour évacue à mon sens un peu vite un des plus solides arguments en faveur de l'irrecevabilité de l'appel. Le parquet ne s'était pas opposé à cette demande, n'avait émis aucune réserve, en fait il n'avait rien dit. Pourquoi faire appel d'une demande à laquelle il n'a rien trouvé à redire ? La réponse de la cour revient à dire que ce silence vaut contestation. Dans la même logique, le parquet n'avait alors pas besoin d'exercer de recours : son silence devait valoir déclaration d'appel.
Le parquet a une qualité à agir largement compris, mais elle ne s'étire pas à l'infini.
Je suis donc réservé sur cette réponse de la cour.
Mise à jour : On me signale dans l'oreillette que la jurisprudence interprète effectivement le fait de s'en rapporter à justice comme une contestation. Dont acte.
Conclusion de la cour : l'appel principal du parquet est recevable et sera examiné.
Deuxième question: Mme Y. est-elle recevable à faire appel après avoir acquiescé ?
Premier argument, de pure procédure : l'épouse aurait dû contester son acquiescement devant le conseiller de la mise en état lors de la phase préparatoire du procès ; maintenant, il serait trop tard (article 771 du CPC)
Réponse de la cour :
Le jugement déféré a fait droit à l’action engagée par Monsieur X. en accueillant ses moyens de droit et de fait mais sans donner acte à Madame Y. de son acquiescement à la demande : ce n’était donc pas un “incident mettant fin à l’instance” qui aurait relevé de la compétence exclusive du juge de la mise en état (en vertu de l’article 771 du code de procédure civile).
Joli cas pratique de procédure civile, étudiants qui me lisez. Ici, relève la cour, l'acquiescement n'a pas été constaté par le jugement, et pour cause, comme je l'avais expliqué à l'époque, l'épouse ne pouvait acquiescer sur une question d'état des personnes. Nous y reviendrons. Donc faute de constatation exprèsse d'un acquiescement, cette question est une question de fait et de droit, qui relève de l'appréciation de la cour et non une fin de non recevoir relevant du Conseiller de la mise en état.
En outre,
L’acquiescement de Madame Y. à la demande, qu’il fût ou non possible et recevable, est sans portée quant à la recevabilité de l’appel par le ministère public : cet acquiescement formulé par une partie au procès (Madame Y.) n’a pu en toute hypothèse priver une autre partie au procès (le ministère public) de son droit de relever appel.
Là encore, pure procédure civile. Peu importe le débat sur la possibilité pour l'épouse d'acquiescer ou non : le fait qu'un appel principal a été formé par une partie ferait de toutes façons tomber l'acquiescement afin de permettre à l'épouse d'argumenter librement devant la cour : c'est ce qu'on appelle l'effet dévolutif de l'appel ; les parties se retrouvent dans le même état que devant le premier juge.
Conclusion : l'appel de l'épouse est aussi recevable, ses arguments seront aussi examinés.
Troisième question : bon, ce mariage, il est nul ou pas ?
Vous êtes encore là ? La procédure civile ne vous a pas frappé de la torpeur qui gagne les étudiants en droit de troisième année quand on leur parle de litispendance et de contredit ? Bravo. Nous voici au cœur de la controverse : la validité du mariage.
Mais malheureusement, vous allez voir que la controverse va tourner court, l'époux tentant de se dérober au débat.
Il va en effet changer de tactique devant la cour, ce qui est parfaitement possible.
Dans un premier temps, Monsieur X., sollicite de voir “prononcer la nullité sur double déclaration des
parties sans conséquence pécuniaire”, comprendre : on est tous les deux d'accord pour que le mariage soit annulé etque chacun paye sa part de la procédure. La cour écarte sèchement l'argument :
Une telle demande, dans cette matière d’ordre public où les parties n’ont pas la libre disposition de leurs droits, est sans portée.
C'est le prolongement de ce qui a été dit sur l'ordre public permettant au parquet d'agir. Pour parler comme Loisel : quand mariage il y a eu, pour que mariage il n'y ait plus, il faut que le juge y passe.
L'époux va alors soulever deux arguments : une nullité fondée sur l'article 146 du Code civil, défaut d'intention matrimoniale, et une fondée sur l'article 180, la fameuse erreur sur les qualités essentielles.
Sur ce premier point, l'époux invoque les visions différentes des parties sur la vie matrimoniale ainsi que l’absence
de cohabitation révélatrice de ce que les époux n’auraient pas eu de véritable intention matrimoniale. En somme, le problème n'est pas que la mariée était en blanc et qu'elle n'aurait pas dû l'être, c'était que le mariage était blanc et n'aurait pas dû l'être.
Réponse de la cour :
Il ne ressort cependant pas des éléments de la cause que, quelles qu’aient pu être leurs divergences sur la conception du mariage, les époux se seraient prêtés à la cérémonie dans un but étranger à l’union matrimoniale dès lors que chacun d’eux manifestait alors la volonté de fonder une famille.
Ils avaient bien l'intention de se marier, c'était juste qu'il y avait un malentendu sur qui ils épousaient.
D’autre part, les propres attestations produites à son dossier par Monsieur X. révèlent que c’est lui-même qui, faisant une question de principe de la “trahison” dont il s’estimait victime, a décidé de ne pas poursuivre l’union et a demandé à ses proches de raccompagner l’épouse chez ses parents.
Dans cette situation, la demande n’est pas fondée.
Le défaut d'intention matrimoniale cause de nullité doit exister des deux côtés, ou être invoqué par celui des époux qui avait l'intention de se marier contre celui qui ne l'avait pas. En l'occurrence, l'épouse l'avait, ce qui fait échouer cette demande.
Deuxième argument, l'erreur sur les qualités essentielles. Et là, il y a une volte-face de l'époux, qui sentait que le débat sur la virginité, qualité pour lui essentielle était un terrain défavorable. Il va donc modifier sa position, escamotant le débat. Il va ainsi expliquer que « la qualité érigée au rang d’essentielle par Monsieur X. n'est pas la présence de la virginité mais l’aptitude de l’épouse à dire la vérité sur son passé sentimental et sur sa virginité ”, ajoutant que “ Il n'a jamais posé comme condition la virginité de son épouse. Il ne s'agissait chez lui que d’une espérance et non d’une exigence ”.
L'époux ne voulait pas une épouse vierge mais une épouse qui dise la vérité. Il avait donc des exigences encore plus folles que celles qu'on lui prêtait.
En outre, rappelle-t-il, son épouse a acquiescé ; même si cet acquiescement ne produit pas d'effet de droit, il constitue une preuve du bien-fondé des demandes de l'époux puisqu'elle ne trouvait rien à y redire (ce qui implique donc qu'elle avait été sincère devant le tribunal, mieux vaut tard que jamais…).
Réponse de la cour :
Ainsi la virginité de l’épouse n’est-elle pas, devant la cour, invoquée comme une qualité essentielle recherchée par Monsieur X. lors du mariage et elle n’a pas été une condition qu’il aurait posée à l’union.
Le moyen d’annulation invoqué par Monsieur X. tient à ce que Madame Y. lui aurait, dans la période précédant le mariage, menti sur sa vie sentimentale antérieure et sur sa virginité et que ce mensonge aurait provoqué chez lui une erreur sur la confiance qu’il pouvait avoir en sa future épouse et sur la sincérité de celle-ci, tous éléments — confiance et fidélité réciproques, sincérité— relevant des “qualités essentielles” attendues par chacun des conjoints de l’autre.
Devant la cour, Madame Y... conteste avoir menti à son futur époux dans la période précédant le mariage, affirmant que sa vie sentimentale passée n’avait pas été abordée.
La position adoptée en première instance par Madame Y.. —elle était alors défenderesse et s’était contentée d’acquiescer à la demande en nullité sans s’exprimer sur le motif juridique fondant l’action ni passer aveu des faits allégués par le demandeur— n’est pas en contradiction fondamentale avec celle adoptée devant la cour —elle est à ce stade du procès défenderesse et intimée, sur l’appel formé par le ministère public, et elle conteste la demande tout en sollicitant la nullité du mariage sur un autre fondement.
Madame Y. est en conséquence recevable, devant la cour, à présenter sa propre version des faits.
Les éléments apportés aux débats par Monsieur X. sont insuffisants à prouver le mensonge prétendu, alors que : l’attestation rédigée par le pèle de Monsieur X... ne relate aucun fait propre à éclairer le débat, les deux attestations rédigées par des proches de Monsieur X. (son frère, son témoin de mariage), qui ne relatent aucun fait que les témoins auraient constaté personnellement et directement pendant la période ayant précédé le mariage, ne font état que de propos que les époux auraient tenus ou de confidences qu’ils auraient faites après le mariage : ces attestations sont trop indirectes pour avoir valeur probante.
Ainsi Monsieur X. ne fait-il pas la preuve -qui lui incombe- du mensonge prétendu.
Bref : c'est bien gentil, mais vous ne prouvez pas ce que vous prétendez. Mais attendez, on a une deuxième couche à passer.
Il sera ajouté qu’en toute hypothèse le mensonge qui ne porte pas sur une qualité essentielle n’est pas un fondement valide pour l’annulation d’un mariage.
Tel est particulièrement le cas quand le mensonge prétendu aurait porté sur la vie sentimentale passée de la future épouse et sur sa virginité, qui n’est pas une qualité essentielle en ce que son absence n’a pas d’incidence sur la vie matrimoniale.
Ainsi la prétendue atteinte a la “confiance réciproque” est-elle sans portée quant a la validité de l’union.
En conséquence de ces considérations, il y a lieu de débouter Monsieur X. des fins de son action.
Nous y sommes. Le mensonge de l'épouse aurait pu fonder la nullité, s'il avait porté sur une qualité essentielle, mais ni la vie sentimentale passée ni la virginité, l'absence de celle-ci découlant de la présence de celle-là, ne sont une qualité essentielle, parce qu'elles n'ont pas d'incidence sur la vie matrimoniale.
I respectfully dissent.
La jurisprudence a jugé que l'existence d'un premier mariage qui avait été caché à l'époux par le conjoint était une cause de nullité. Certes, c'était le tribunal civil de Bordeaux le 9 juin 1924, mais la question n'est presque jamais allée jusqu'à la cour de cassation. Ont été également considérées comme qualités essentielles fondant une nullité le fait d'être une ancienne prostituée (TGI de Paris, 13 février 2001), d'avoir un casier judiciaire (TGI Paris, 8 février 1971), la nationalité (Tribunal civil de la Seine, 2 janvier 1920), ou le fameux arrêt de la cour d'appel de Paris qui fait le délice des étudiants en droit faisant une qualité essentielle l'aptitude à avoir des relations sexuelles normales, les étudiants en droit se demandant ce qu'est une relation sexuelle normale pour des conseillers de cour d'appel (Paris, 26 mars 1982).
L'exigence d'une incidence de la qualité essentielle sur la vie matrimoniale est rajoutée au texte et aboutit à restreindre considérablement le champ de l'article 180. En outre, il soumet la validité de la formation du mariage à une condition affectant son futur, alors que les conditions de formation s'apprécient au jour de la formation. À mon sens, le critère pertinent est celui de la qualité ayant déterminé le consentement de l'époux errans[3], la difficulté étant de prouver le caractère essentiel de cette qualité. L'article 180 protège le consentement de l'époux, et c'est lui qui est vicié par cette erreur sur une qualité essentielle. La cour semble opter pour le caractère objectif de la qualité essentielle, celle qui est commune à toute union matrimoniale. Je critique cette théorie car elle aboutit à vider l'article 180 de sa substance : quelles sont les qualités essentielles de tout conjoint ? C'est se lancer des des controverses sans fin aboutissant toutes à dire que reconnaître telle qualité comme essentielle est contraire à la dignité de l'époux concerné.
Voici ce qui sera le cœur du débat en commentaire, je vous y attends.
Mais la cour n'en a pas fini.
Car si le mari est débouté, reste l'épouse qui elle aussi demande la nullité. Et ne l'obtiendra pas non plus.
Quatrième question : l'épouse peut-elle obtenir la nullité de ce mariage ?
Ce qui suppose d'abord de se demander si elle peut la demander : est-elle recevable ?
Comme il a été relevé ci-avant, le fait que Madame Y. a en première instance formulé son “acquiescement à la demande en nullité du rnariage présentéepar son époux” ne valait pas adoption du moyen juridique soutenu en vue de l’annulation ni aveu des faits ainsi que relatés par le demandeur,
En dépit de son acquiescement au jugement, elle a retrouvé devant la cour l’entière possibilité de se défendre dès lors qu’une autre partie (le ministère public) a formé régulièrement un recours.
Sa demande reconventionnelle est ainsi recevable.
L'acquiescement n'était pas valable, plus l'effet dévolutif : madame, nous sommes toute ouïe.
L'épouse invoque la nullité pour défaut de volonté de s'engager à l'obligation de respect que les époux se doivent du fait du mariage : art. 212 du Code civil[4]. Le respect a été ajouté par la loi du 4 avril 2006 : j'en déduis donc que j'avais avant cette date le droit de mépriser, moquer et rabaisser mon épouse, damned, que d'opportunités perdues.
Madame Y. fait valoir que Monsieur X. n’avait pas la volonté d’accepter voire la capacité de concevoir l’obligation de respect entre les époux édictée à l’article 212 du code civil et qu’il a manifesté dès le premier soir de l’union à son égard une violence morale et physique en divulguant auprès de tiers son état intime et en la faisant reconduire chez ses parents.
Cependant, ces éléments, qui sont susceptibles de constituer des manquements aux obligations du mariage, ne permettent pas de caractériser l’erreur de l’épouse sur les qualités essentielles du mari, d’autant que Madame Y... ne produit aucune pièce de nature à établir que Monsieur X... n’aurait pas eu la volonté de s’unir effectivement et durablement.
La demande doit donc être rejetée.
Et oui, l'argument ne tient pas. La nullité du mariage s'apprécie au moment de sa formation ; or l'obligation de respect naît du mariage, elle en est la conséquence. La violation de cette obligation est une cause de divorce, pas de nullité.
L'époux est débouté, l'épouse est déboutée, et le parquet ne peut demander la nullité du mariage sous peine de se voir déclaré irrecevable.
Bref, les voilà remariés.
Reste une dernière question, la demande de dommages-intérêt de l'épouse.
Elle demande un euro symbolique de dommages intérêts pour préjudice moral. Come d'habitude, la cour répond en deux temps : êtes-vous recevable ? Et si oui, êtes-vous bien fondée ?
En ce qu’elle fonde sa réclamation sur l’atteinte continue à sa vie privée que constitue le présent procès, y compris devant la cour, et sur le retentissement public qui a été donné, postérieurement au jugement, à cette affaire au détriment de son intimité, il s’agit d’une demande qui, même nouvelle en appel, est recevable.
En principe, on ne peut faire de demandes nouvelles en appel : art. 564 du CPC[5]. Il y a toutefois des exceptions, et la cour estime que cette demande, qui est la conséquence directe de la procédure d'appel, fait partie de celle-ci.
Cependant, il ne peut être considéré que Monsieur X. aurait porté atteinte à sa vie privée par le seul procès qu’il a engagé et auquel elle a entendu acquiescer en première instance ; par ailleurs, Monsieur X... n’est pas responsable de la publicité qui a été donnée à ce dossier et il n’est pas appelant.
La demande doit donc être rejetée.
Chassez l'acquiescement par la porte, il revient par la fenêtre. Il aura quand même eu un effet, c'est d'interdire à l'épouse de se plaindre d'un préjudice née d'une action qu'elle a approuvée. Quant à l'appel, la cour lui fait remarquer que c'est le parquet et elle qui ont fait appel, pas l'époux, donc il ne peut être regardé comme responsable du traumatisme que lui a causé cet appel fait pour protéger sa dignité, et de la célébrité nationale qu'a acquis son hymen, car ce n'est pas l'époux qui a voulu ni causé cette célébrité.
L'époux est néanmoins condamné aux entiers dépens, de première instance et d'appel : c'est lui qui devra acquitter les factures des huissiers et des avoués et avocats de première instance, y compris de ceux de son épouse.
Le bilan est donc simple : deux années de procédure et de frais d'avocat et d'avoué pour rien, retour à la case départ avec deux époux qui sont remariés contre leur gré à tous deux, alors qu'ils n'ont plus la moindre parcelle d'intention matrimoniale. Bref, la République a remis le mariage forcé au goût du jour, au nom du respect des femmes, félicitations.
Ils vont donc pouvoir faire la procédure de divorce qui va satisfaire tous les tartuffes, puisque les raisons du divorce, que tout le monde connaît, ne seront pas évoquées.
Tout est perdu, sauf la pudeur.
Champagne.
L'arrêt en intégralité, format pdf, 1,5 Mo.