Par e**, substitut
Quelques réflexions sur ce que pourrait voir tous les jours un Garde des
sceaux transformé en petite souris curieuse de parcourir les couloirs et
salles d’audience d’un tribunal...
Commençons par l’audiencement d’un dossier devant le tribunal
correctionnel :
- lorsqu'un prévenu est placé sous le régime de la détention provisoire,
il doit comparaître devant le tribunal correctionnel dans les deux mois de
son renvoi, une année pour la cour d'assises ;
- si aucun détenu ne figue au dossier, alors, comptez.... comptez comme
vous voulez, dans de nombreux cas le futur condamné gagnerait devant la cour
européenne des droits de l'Homme en poursuivant la France sur le fondement du
droit à être jugé dans un délai raisonnable...
Une ordonnance d’organisation des services fixe dont les jour et heure des
audiences. Et les journées ne faisant que 24 heures et les années que 365
jours, il devient difficile de créer une nouvelle audience correctionnelle.
Sauf à supprimer l’audience du JAF de lundi après-midi. Et expliquer aux
justiciable qu’ils divorceront dans huit mois parce que d’ici-là toute
les audiences sont remplies.
La justice est en effet confrontée à un petit problème : pour tenir une
audience, il faut un ou trois magistrats qui, précisément, n’ont pas
d’autre audience ce jour-là, qu’elle soit pénale, civile, commerciale ou
autre.
Il faut aussi un greffier, soumis au même aléa de disponibilité.
Un huissier d’audience, c’est mieux.
Une présence policière pour intervenir lorsque le public est véhément,
c’est un plus également.
Quand l’audience aura eu lieu, il faudra matérialiser le jugement.
Sa motivation relève du magistrat, qui la plupart du temps la dactylographie
lui-même.
Ne mentons pas : si la motivation est obligatoire, elle se résumera très
très très (trop...) souvent : “attendu qu’il ressort des éléments de
la procédure et des débats que l’infraction est constituée ; que les
faits sont d’une gravité telle qu’ils justifient le prononcé d’une
peine d’emprisonnement non assortie du sursis”.
La décision ne sera réellement motivée au fond qu’en cas d’appel, afin
que la cour puisse confirmer ou infirmer le raisonnement des juges
correctionnels.
N’allez pas croire qu’il en est ainsi parce que les magistrats sont des
fainéants... Non, ils n’ont juste pas le temps de motiver une décision qui
n’est pas contestée et qui a été acceptée par le condamné. S’ils le
faut, ils prennent ce temps. Mais ils rendront leur délibérés civils
vendredi prochain au lieu de lundi.
Qu’il y ait ou non motivation au fond, le greffe devra mettre en forme la
décision.
Le greffier l’aurait bien fait cet après-midi mais, hasard de
l’activité pénale du ressort, il est appelé à assister à l’audience
de comparutions immédiates. Elle débutera à 14 heures. Le temps
d’examiner les trois dossiers, il sera peut-être 17 heures 45.
Mince, voilà des heures supplémentaires que le greffier va pouvoir
récupérer. Il en avait déjà quelques unes sous le coude et, ainsi, ne
viendra pas travailler vendredi prochain. C’est dommage, il aurait justement
pu avancer à ce moment-là dans la dactylographie de l’audience d’il y a
trois semaines. Allez, ce n’est que partie remise.
Dommage, comme vous dites mon bon monsieur. Mais si le greffier ne prend pas
ses heures de récupération, personne ne les lui paiera. Donc il a bien
raison de les prendre. Où est son sens du service public, me demanderez-vous
? La première année, il devait être là, sans aucun doute. La deuxième
aussi. La troisième, il commence à se demander si on ne le prendrait pas un
peu pour une poire. Il se rend compte que s’il reste au delà de son temps
de travail prévu, non seulement il ne sera pas payé, mais encore personne ne
lui dira merci
Ayant entendu parler du juge d’instruction, cet homme le plus puissant de
France, la souris est bien curieuse d’entrer dans sa zone. Si ce magistrat a
de la chance, il se trouve derrière une porte sécurisée, à l’abri des
intrus vindicatifs. S’il exerce dans un tribunal plus ancien ou moins bien
équipé, il est en libre accès, susceptible d’être pris à parti par la
famille de la personne qu’il vient justement de recevoir avant de solliciter
son incarcération.
Mais voici justement cette personne, gardée sous bonne escorte. Ils sont
arrivés ce matin à 08 heures 30. Le temps que le parquetier prépare
l’ouverture de l’information judiciaire, que le juge d’instruction
prenne connaissance du dossier et réalise l’interrogatoire, il est 11
heures 30, au mieux. On attend que le juge des libertés et de la détention
(le fameux JLD) vienne statuer son sort : maison d’arrêt ou contrôle
judiciaire ? Ah, j’apprends que le JLD était ce matin à l’annexe du
tribunal, à trente kilomètre d’ici, où il statuait sur la procédure
relative aux étrangers en situation irrégulières placés au centre de
rétention. Aujourd’hui, vingt-trois personnes lui sont présentées;
L’audience se finira vers 13 heures 45. Le temps d’avaler un sandwich, de
faire pipi et de prendre la route, le JLD sera au tribunal vers 15 heures. Il
prendra connaissance du dossier et recevra la personne vers 15 heures 30, au
mieux.
L’ex-gardé-à-vue désormais mis en examen et bientôt détenu sera donc
resté, ainsi que son escorte, environ huit heures dans les couloirs de
l’instruction. Son avocat, s’il na pas la chance d’avoir ses locaux
professionnels à deux pas, aura perdu une grande partie de son temps lire les
vieux magasines déposés par les uns ou les autre, comme chez le dentiste.
Essayons de pénétrer dans l’antre du magistrat, son cabinet. Un bureau,
grand, petit, fonctionnel, mal fichu, définitif, temporaire, vue sur la mer,
sur les montagnes, aveugle, allez savoir sur quoi vous allez tomber...
Tiens, le greffier.
Bon, moins bon, expérimenté ou non, comme le magistrat peut l'être. De
leur alchimie dépendra la réussite du cabinet. Inutile de penser qu’il
tournera correctement si le juge prend son greffier pour un moins que rien.
Malheureusement, certains magistrats sont ainsi. Il faut être objectif,
c’est parfois justifié (il y a des greffiers mauvais et caractériels),
parfois non (il y a des juges caractériels et mauvais).
Tiens, ici, c’est un fonctionnaire de greffe fraîchement sorti d'école.
Le juge dit de celui-ci (en réalité celle-ci) qu’il n'est rien d'autre
qu'un pur bijou. Oui, on a parfois de la chance...
Tiens, un ordinateur. Patience, madame le juge, il sera renouvelé dès qu'il
aura atteint le barre stratégique, comptable et administrative des cinq
années. Comment ça celui-ci n’est pas équipé du port USB qui vous
permettrait d’utiliser la clé que VOUS vous êtes achetée ? Patience, ma
chère : cinq années, qu’ils disaient !
Tiens, le placard à fournitures. Oh, une congénère ! Pas vivante, non,
vous savez ces objets en forme de souris qui déroulent une bande de
correcteur. Ça a l’air d’être d’une bonne contenance. Comment ça, au
bout de quelques décimètres la bobine n’enroule plus rien, le correcteur
n’adhère plus au papier et il faut jeter ce qu’il reste de ce malheureux
objet... Mince, quel gâchis. Peut-être croyait-on que l’administration
ferait des économies en achetant cette marque ? Certes, s’il faut les jeter
à mi-course, on n’est peut-être pas si gagnant que ça...
Ha, la boîte à stylos. Ils ont l’air chouette ceux-là, de type roller ou
ink-gel. Tiens, justement, voici que le greffier en parle avec son collègue
d’un autre cabinet. Que disent-ils ? Non, ce n’est pas possible ? Ces
stylos sont justement réservés au magistrat, il est hors de question qu'un
simple greffier les utilise. Parole du responsable des fournitures. C’est
vrai qu’après tout, un greffier peut très bien se contenter d'un "Bic".
Voici la bible du magistrat : ses codes. À jour, bien entendu.
Mais j’apprends qu’il a reçu les derniers courant novembre, quand ils
sont en librairie fin août ou début septembre.
La curiosité nous pousse à jeter un œil, par exemple ce code pénal 2008.
Mince!, lorsqu'il est sorti, il n'était déjà plus à jour puisque n'y
figuraient pas les dispositions nouvelles sur la récidive.
Tiens, les greffiers poursuivent leur conversation. J’apprends qu’alors
qu’ils sont garants de l'authenticité de la procédure et, à titre
totalement accessoire, tenus au respect de délais aussi peu importants que
ceux de durée de détention, notification d'expertises ou ordonnances, de
convocation etc.., qu’il n’auront pas eu le loisir de consulter leur code
nouveau. En effet, seul le magistrat y a droit, à charge pour lui de donner
ses exemplaires, très souvent périmés, à son greffier. C'est bien connu,
un greffier d'instruction ne fait pas de procédure pénale...
D’ailleurs, le voici se dirigeant vers la salle des photocopieuse, ou il va
réaliser la copie du dossier pour le double gardé au cabinet et une autre
pour un avocat qui vient de la solliciter. Ah bon, pas de service de
reprographie ? C’est le greffier qui fait cela tout seul ? C’est dommage,
il a peut- être mieux à faire dans son cabinet, comme trier le courrier du
jour, mettre en forme les derniers dossiers etc.
Tiens, voici le juge, en conversation avec des enquêteurs. Ils ont l’air
motivés, ne comptant pas leurs heures. Ah, je crois comprendre que leur
direction ne souhaite pas qu'ils aillent à Cuges les Pins entendre ce témoin
pourtant capital, qu'il va donc falloir donner commission rogatoire au service
d'enquête local pour procéder à cette audition capitale, qui sera donc
réalisée par quelqu'un qui ne connaît pas complètement le dossier, son
ambiance, ses à-cotés.
Qu’en penser ? Une seule chose : un bâton statistique est un bâton,
résoudre une affaire de chat écrasé compte autant qu'un gros dossier de
stupéfiants, et coûte beaucoup moins cher...
Ah j’entends l’enquêteur quémander, et être ravi d’obtenir de sa
part, le vieux code de procédure pénale 2006 du juge (hé oui, nous somme en
2008 mais le 2007, c’est le greffier qui l’a). C’est vrai que ces
pauvres enquêteurs doivent se contenter, à sept ou huit dans l'unité, d'un
millésime 2004.
Nouveau coup de fil, cette fois à un expert. Contrit, le juge doit lui dire
que, non, ce n'est pas normal qu'il ait dépassé le délai qu’il lui avait
fixé pour rendre son rapport. Que, oui, c'est comme ça, rapport rendu dans
les délais ou non, il ne sera payé que dans quatre ou cinq mois, voire plus
parce que vous comprenez mon bon monsieur (cela vaut aussi pour les dames),
nous sommes fin septembre, il n'y a plus d'argent dans les caisses et on
n'aura de nouveaux crédits que début janvier.
Tiens, une question ? Si la justice était une entreprise privée, ne
serait-elle pas réduite à déposer son bilan tous les ans à la fin du
troisième trimestre, les actifs mobilisables étant insuffisants pour couvrir
le passif exigible ?
Tiens, voilà qu’on parle des enquêteurs de personnalité, appartenant au
service pénitentiaire d'insertion ou de probation ou relevant d'associations
spécialisées. Il se dit qu’ils font ce qu'il peuvent avec ce qu'ils ont :
toujours beaucoup de motivation et souvent aucun autre moyen matériel que
leur huile de coude pour vérifier la véracité de ce que la personne mise en
examen leur affirme.
Tiens, voici que l’interprète sort du bureau du JLD et vient saluer le
juge d’instruction. Il a assisté les enquêteurs en garde-à-vue. Pendant
48 heures. Il est intervenu auprès du juge lors de l’interrogatoire de
première comparution. Il sera convoqué ultérieurement pour une nouvelle
audition de la personne mise en examen. Ah, il habite à trois heures de route
de Paris, seul endroit où vous avez pu trouver un interprète parlant la
langue qui vous intéresse ? Peu importe, il a l’air motivé, a le sens du
devoir et de sa fonction. Il viendra. Et si l’interrogatoire va dure en tout
et pour tout 15 minutes parce que la personne refuse de s’exprimer , le juge
remerciera l’interprète qui sera renvoyer chez lui. Il expliquera que bien
entendu il va être rémunéré pour l’interprétariat qu’il vient de
faire (rassurez-vous, il y a un forfait pour la première heure). Que, bien
entendu, il sera indemnisé de ses frais de déplacement (forfait
kilométrique). Que, non, son temps de trajet (6 heures aller et retour pour
une heure d’interprétariat rémunérée), ne peut être pris en compte...
Que non, il est impossible de tricher (on appelle cela un faux) et d’ajouter
une ou deux tranches horaires pour compenser cela. Je crois comprendre que la
prochaine fois, l’interprète convoqué répondra que ça aurait été avec
plaisir, mais que ce jour-là, justement, il a piscine...
Et voici l’armoire des dossiers. En moyenne, 80 à 90 par juge
d'instruction en France. Dans ce tribunal en particulier, jusqu'à 180...
Certes, sa conscience commande au juge de faire au mieux, d'essayer de
participer d'une justice bonne, correcte, lisible, fière d'elle. Mais,
parfois, il devra seulement survoler des dossiers plus qu’il ne les ai
instruira. Faisant toujours le maximum pour "sortir" les dossiers en cours
dans des délais corrects, donnant systématiquement la priorité aux dossiers
dans lesquels des personnes avaient été placées en détention provisoire.
Mais parfois, souvent, en étant noyé sous le flot des nouveaux dossiers
ouverts à l'occasion d'une permanence qui reviendra une semaine sur trois...
Tiens, suivons le substitut du procureur de la République, qui sort du
débat devant le JLD.
La souris apprend que, pour simplifier, ce magistrat représente la société
et en défend les intérêts, tant en matière pénale que civile ou
commerciale, et exerce, au nom du procureur, l'action publique.
C'est à lui que les enquêteurs, tous les jours, rendent compte des affaires
en cours, des garde-à-vues qu'ils ont décidées. C'est lui qui va devoir
prendre la bonne décision, choisir la bonne voie de poursuite, souvent dans
l'urgence des nombreux coups de fil qu'il va recevoir de nuit comme de jour.
C'est lui qui va aller requérir à l'audience correctionnelle. Pour cela, il
aura préalablement examiné les dossiers, quand il aura eu le temps de le
faire, et découvert le contenu de la plupart d'entre-eux, les poursuites
ayant été ordonnées par son collègue de permanence au moment des la
garde-à-vue. Comme ses collègues juges correctionnels, comme le greffier,
comme l'huissier d'audience, comme les avocats et surtout comme les prévenus,
il sera présent à 08h30 pour l'ouverture de l'audience et sera encore là à
19h00, quand elle se terminera.
Celui-ci vient d’arriver dans la juridiction. Son constat est globalement
positif : nouvelle juridiction, nouveaux locaux (neufs) pour exercer ce nouvel
aspect de sa profession.
Mais légère amertume quand la photocopieuse est en panne depuis trois
semaines, qu’elle n’est plus sous garantie, qu’elle n’a pas encore
cinq années d’ancienneté...
Quand les écrans plats, neufs, qui équipent la salle d’audience, ne
fonctionnent pas et que vous ne pouvez pas montrer les photographies de cette
pauvre dame qui s’est faite tabasser par le prévenu.
Quand la permanence revient une semaine sur trois, parce qu’un poste est
vacant. Certes, on ne dit plus vacant, mais on compte en activité par
magistrat. À ce jeu-là, certes, ce tribunal est mal loti mais les magistrats
ont appris que, non, il ne fait pas partie des priorités et n’aura pas de
renfort dans l’immédiat. Qu’importe, il manque un magistrat dans ce
parquet depuis quatre ans, alors le procureur fait alors avec les moyens du
bord, et notamment en comptant sur le renfort d’un collègue mis à sa
disposition par le procureur général.
Ces quelques réflexions ne sont pas de la fiction. Elles synthétisent des
événements vécus dans plusieurs tribunaux. Et qui pourraient sans doute
être relevé par de nombreux collègues. Globalement, nos juges et procureurs
vont bien. Mais notre justice va mal.
Je me suis concentré sur des aspects purement matériel qui grèvent le
fonctionnement du tribunal et ralentissent le cours de la justice. Je laisse
à d’autres le soin d’aborder les problèmes rencontrés dans des
fonctions que je n’ai pas exercées en dehors de mon stage en qualité
d’auditeur de justice. Je laisse à d’autre le soin d’aborder le parfois
incompréhensible amoncellement de textes qui fait que le juriste n’y
retrouve pas ses petits.
Il me semble que la mobilisation du 23 octobre sera un O.V.N.I. dans le monde
du travail français. Personne ne va demander d’augmentation, personne ne va
demander de partir plus tôt à la retraite, personne ne va demander de
nouveaux avantages sociaux, personne ne va demander plus de jours de
congés...
Non, il va seulement être fait ce constat : nous devons rendre la justice au
nom du peuple français. Ce serait peut être faire justice à ce peuple que
de nous donner les moyens de le faire correctement.
Nous ne demandons pas du luxe, non. Nous nous contenterions bien volontiers
de pouvoir avoir la satisfaction d’avoir des moyens matériels corrects pour
rendre la justice et donner autre chose qu’une obole, qui plus est bien
tardive, aux services et personnes qui y contribuent.
J’exerce un très beau métier.
S’il ne fait pas rouler sur l’or (il reste sous l’égide de la grille
des rémunérations de la fonction publique), il me donne largement les moyens
de vivre.
J’ai la chance de l’avoir choisi.
J’ai la chance de l’aimer.
Madame le Garde des sceaux, Mesdames et Messieurs les prochains Garde des
Sceaux, laissez-moi l’aimer encore.