Par Dadouche
« A la majorité de 8 voix au moins, la Cour et le jury réunis condamnent X à la peine de.... ».
Cette formule quasi rituelle annonce la réponse à la question que se posent (peut-être pas en ces termes, mais dans l'esprit) tous ceux qui participent à une décision pénale : combien ça vaut ?
Elle est ici formulée crûment, elle résonne comme un réflexe d'épicier, elle paraît faire litière de toute la complexité d'une affaire criminelle et d'un procès d'assises, et pourtant on ne peut mieux le résumer.
Combien vaut une vie humaine ? Certaines ont-elles plus de valeur que d'autres ? Le passé d'un homme peut-il excuser un crime ou en atténuer les justes conséquences ? Doit-on souffrir à la hauteur des souffrances que l'on a infligées ? Pourquoi 10 ans plutôt que 15 ? 1 plutôt que 12 ? perpétuité plutôt que 5 dont une partie avec sursis ? La personnalité de l'accusé doit-elle prendre le pas sur la gravité intrinsèque des faits ? Ou l'inverse ?
Est-ce qu'un meurtre « vaut » plus qu'un viol ? Est-ce que la mort de la victime « vaut » plus qu'une tentative ? est-ce que quinze braquages, "ça vaut" plus que douze ? Et combien d'années par braquage ? Est-ce qu'il y a un barême, une échelle absolue des valeurs ?
Le remarquable article de Pascal Robert-Diard a suscité parmi les commentateurs des interrogations, des assertions, et quelques divagations sur les peines prononcées par les cours d'assises.
On retrouve en vrac les questions ou affirmations suivantes :
- pourquoi 12 ans, alors qu'un meurtre c'est 30 ans ?
- depuis un bon nombre d'années les cours d'assises, lorsqu'il y a un doute, au lieu d'acquitter, condamnent à demi: 7 ans, 10 ans pour un meurtre...
- en cas de doutes graves et sérieux, on acquitte, en cas de doutes légers, on condamne à demi-peine, en cas d'absence totale de doute, on condamne lourdement.
- pour un même meurtre (tuer quelqu'un d'une balle de coup de fusil dans la cervelle, après une dispute), on peut recevoir huit, douze ou trente ans, en fonction"de la personnalité de l'auteur et des circonstances des faits",il devient difficile de prévoir. On a l'impression que le jugement se fait "à la tête du client".
Signalons d'abord qu'Eolas et Anaclet de Paxatagore (message personnel : Paxa ! Reviens !) avaient, dans un temps que seuls des lecteurs ante jugement de Lille peuvent connaître, consacré un fort intéressant billet à quatre mains sur le juge et la peine, dans lequel ils rappelaient (notamment) que la peine résulte à la fois de la gravité intrinsèque des faits et du parcours du délinquant.
J'avais moi même tenté dans un billet-fiction de retracer dans les grandes lignes comment une cour d'assises peut, dans son délibéré, déterminer une peine.
Le documentaire Cour d'assises : crimes et châtiments diffusé par France 3 ce soir, qui suscitera lui aussi j'en suis sûre de nombreux commentaires, donne à voir trois crimes, trois criminels [1], trois peines.
Tous encouraient la réclusion criminelle à perpétuité.
Jeannot R. est condamné pour tentative d'assassinat sur son épouse, séquestration et violences avec arme contre les gendarmes à 10 ans de réclusion (15 ans requis)
David A. est condamné pour le meurtre de son père à 5 ans d'emprisonnement dont 3 ans et demi assortis d'un sursis avec mise à l'épreuve (6 ans requis)
Benjamin C. est condamné pour meurtre aggravé à 30 ans de réclusion (perpétuité requise).
A titre liminaire, rappelons que si on se pose cette question, c'est que l'on considère la culpabilité acquise. Dans un délibéré, on n'aborde la question de la peine qu'une fois que l'on s'est prononcé sur la culpabilité.
Chaque intervenant dans un procès pénal a sa réponse sur ce que "ça vaut", en fonction des intérêts qu'il représente.
Le premier à se poser la question du « combien ça vaut », c'est le législateur.
C'est lui qui fixe dans le code pénal la peine maximale qui peut être prononcée par une juridiction pénale pour une infraction donnée.
Ici, qu'il s'agisse de la tentative d'assassinat, du meurtre d'un ascendant ou du meurtre avec torture et acte de barbarie, le législateur a décidé que « ça vaut » le plus en prévoyant la réclusion criminelle à perpétuité.
C'est la fonction dissuasive de la peine : on espère effrayer les criminels en puissance en leur promettant un dur châtiment s'ils contreviennent aux lois de la société.
C'est ensuite à l'avocat général de résoudre l'équation impossible : dans cette affaire précise, pour cet accusé, quelle est la peine qui garantira au mieux les intérêts de tous et notamment ceux de la société.
C'est à lui qu'est revenu, dans les trois affaires montrées dans le documentaire, la tâche de rappeler que c'est à la vie humaine qu'on a attenté.
Même si c'est la vie d'un tyran domestique, qui a battu sa femme et ses enfants impunément pendant des décennies à coups de « Mirza ».
Des réquisitions particulièrement clémentes, s'agissant d'une victime haïssable, ne risqueraient-elles pas de sous-entendre qu'il y a des vies qui ne méritent pas d'être protégées ? A quelle durée d'emprisonnement évalue-t-on la vie humaine ?
L'avocat général doit aussi s'interroger sur l'avenir : la société doit-elle être protégée durablement du criminel ? S'agissant de Benjamin C., c'est clairement une peine d'élimination qui a été requise contre un jeune homme qui présente une personnalité dangereuse. S'agissant de Jeannot R., plus tout jeune, peut-être bien aussi.
Le rôle de l'avocat général est cependant plus complexe que cela et ne se limite pas à la défense des intérêts de la société. Mais il est certainement celui qui les a le plus à l'esprit.
Les avocats tentent également de répondre à cette question, que ce soit en défense de l'accusé ou au soutien des intérêts de la partie civile.
La partie civile ne requiert pas de peine. Elle fait cependant souvent savoir quel degré de sévérité elle attend de la cour. Il arrive, dans des drames familiaux, que l'avocat plaide une relative clémence, pour sauvegarder les intérêts et l'avenir commun de tous.
Il arrive, plus souvent, qu'il souligne l'horreur du crime et s'attache à rappeler à la cour et aux jurés que la peine a une fonction rétributive et doit être une sanction à la hauteur des souffrances infligées. Et c'est ce que fait l'avocat de la famille de la victime de Benjamin C.
L'avocat de l'accusé doit quant à lui (quand il plaide la peine et non l'acquittement) mettre en perspective les faits commis par son client avec l'histoire personnelle de celui-ci. Non seulement son passé, qui peut comporter des éléments d'explication du passage à l'acte, mais aussi son avenir, qui dépendra étroitement de la décision. Les « paliers » se situent souvent à des durées symboliques : celle qui implique un retour en prison, celle qui prive d'un espoir de réinsertion sociale rapide, celle qui élimine durablement voire définitivement.
Enfin, c'est à la Cour et aux jurés d'apporter la réponse, singulière à chaque affaire, à cette question lancinante : « combien ça vaut ?».
Ils doivent avoir à l'esprit les intérêts de tous et ne trahir ni ceux de l'accusé, ni ceux de la victime, ni ceux de la société. La quadrature du cercle quoi.
Chaque jury d'une même session est unique. Chaque session d'assises comporte un panel différent de jurés potentiels. Chaque semaine de la session (voire chaque affaire) voit siéger des assesseurs différents. Chaque cour d'assises a son président. Et chacun a son idée sur ce que « ça vaut ».
Il n'y a aucune réponse absolue. C'est vertigineux. Mais c'est bien comme ça.
Parce que chaque affaire est unique. Chaque criminel est singulier. Chaque plaidoirie ou réquisitoire porte différemment.
Bien sûr, les magistrats professionnels, qui siègent régulièrement aux « assiettes » ont en tête des points de référence. Chacun se souvient que, pour des faits « du même genre » la cour avait prononcé telle peine. Mais pourquoi « ça vaut » 10 ans plutôt que 5 ? Pourquoi 15 plutôt que 12 ?
Parce que c'était lui, parce que c'était eux. Parce que c'était cette audience, cet accusé, ce jury, cet avocat, parfois cette actualité.
S'il n'y a en fait aucune réponse in abstracto à ce "combien ça vaut", on peut néanmoins apporter des éléments aux interrogations rappelées plus haut :
- pourquoi 12 ans, alors qu'un meurtre c'est 30 ans ?
Parce que la peine est individualisée en fonction non seulement des circonstances de fait mais aussi de la personnalité de l'auteur (et parfois de la victime), de son âge, de ses perspectives de réinsertion. Qui imaginerait condamner Jeannot R. ou David A. à la perpétuité qu'ils encouraient ?
Il ne faut pas non plus se leurrer. Comme le souligne Florence Aubenas dans le documentaire, certains sont plus égaux que d'autres devant la justice.
Ceux qui parviennent à verbaliser, ceux qui présentent bien, ceux qui ont un avocat expérimenté et parviennent à s'en remettre à lui, ceux qui ont fait leur paix avec eux-mêmes, ceux qui expriment des regrets, pour tous ceux là, "ça vaut" moins que pour ceux qui dissimulent leur peur derrière une apparente arrogance, ceux qui ne trouvent pas les mots qu'il faut ou qu'on attend d'eux, ceux qui ne peuvent eux mêmes croire à ce qu'ils ont fait et nient des évidences, ou ceux qui n'ont (et souvent à tort) pas confiance dans leur avocat commis d'office et à l'aide juridictionnelle parce que "si c'est gratuit c'est que c'est moins bien".
C'est aussi le rôle des magistrats professionnels, qui voient défiler toute l'année en correctionnelle, en surendettement ou encore en assistance éducative les petits cousins de ces accusés difficiles, de désamorcer l'impression laissée aux jurés.
C'est parfois difficile...
-depuis un bon nombre d'années les cours d'assises, lorsqu'il y a un doute, au lieu d'acquitter, condamnent à demi: 7 ans, 10 ans pour un meurtre...
Cette affirmation ne repose sur rien.
Je ne dis pas qu'il n'arrive jamais qu'un juré vote la culpabilité alors qu'il n'a pas d'intime conviction, parce qu'il voit que c'est l'opinion générale. C'est regrettable, c'est trahir son serment, mais c'est humain. Comme il est humain, trois jours après le délibéré, de se réveiller en sueur en se demandant si on n'a pas fait une erreur.
En revanche, les mécanismes de vote et de majorité me paraissent limiter considérablement le risque de décisions de culpabilité malgré un doute réel.
Une peine de 7 ou 10 ans d'emprisonnement pour un meurtre n'a en soi aucune signification à cet égard. Sauf peut-être que le cours de la vie humaine a baissé, tandis que celui de l'innocence abusée a grimpé en flèche, si l'on en croit les peines régulièrement supérieures à 10 ans de réclusion prononcées pour des viols sur mineurs.
Par ailleurs, il faut se rappeler que la culpabilité n'est pas nécessairement votée à l'unanimité (elle doit recueillir 8 voix sur douze) [Et dix sur quinze en appel - NdEolas]. Quoi de plus normal que les jurés ou magistrats qui ont pu voter "non" à cette première question s'attachent, dans la suite du délibéré, à faire descendre autant qu'ils le peuvent la peine finalement prononcée ?
- en cas de doutes graves et sérieux, on acquitte, en cas de doutes légers, on condamne à demi-peine, en cas d'absence totale de doute, on condamne lourdement.
Il me semble que le documentaire de France 3 apporte un démenti éclatant à cette affirmation si étayée...
- pour un même meurtre (tuer quelqu'un d'une balle de coup de fusil dans la cervelle, après une dispute), on peut recevoir huit, douze ou trente ans, en fonction"de la personnalité de l'auteur et des circonstances des faits",il devient difficile de prévoir. On a l'impression que le jugement se fait "a la tête du client".
C'est exactement ça, à ce léger détail près qu'aucun meurtre n'est jamais le même, dans ses ressorts ou dans ses protagonistes.
Et pourtant, beaucoup de greffiers d'assises peuvent prédire, avec une marge d'erreur infime, à la fin des débats, la peine qui sera finalement prononcée.
On ne sait sans doute toujours pas "combien ça vaut", mais j'espère qu'on comprend un peu mieux comment on calcule.