Par Fantômette
Le 1er juillet dernier s’est tenue devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme une audience qui devrait intéresser au plus haut point aussi bien les partisans que les opposants à la loi sur la rétention de sûreté, dont vous trouverez des commentaires notamment ici, et là.
Il est inévitable que la loi française soit tôt ou tard déférée devant la cour européenne des droits de l’homme. La décision du conseil constitutionnel, que l’on qualifiera aimablement ici de décision « en demi-teinte », a réussi à laisser insatisfaits aussi bien les inévitables piliers de comptoir les partisans d’une réponse ferme - et si possible définitive - au problème de la récidive, que les amis des assassins les partisans d’une réponse pénale plus mesurée.
La loi allemande présente suffisamment de similitudes avec la loi sur la rétention de sûreté pour laisser penser que la décision à venir, quelle qu’elle soit, offrira d’intéressants arguments aux deux camps en présence, et ceci très rapidement, les juridictions nationales se référant depuis fort longtemps, tant aux principes posés par la convention européenne des droits de l'homme, qu'à la jurisprudence de la cour.
Comment se présentait l’affaire en l’espèce ?
RM a été condamné par le tribunal régional de Marburg en 1986, pour tentative de meurtre et vol, à une peine de 5 ans d’emprisonnement.
Son parcours laisse penser qu’il a toujours présenté d’importants troubles psychiques, puisqu’il alterne depuis sa majorité pénale séjours en prison et séjours en hôpital psychiatrique[1].
En plus de sa peine d’emprisonnement, le tribunal a également ordonné le placement du condamné en "détention de sûreté", placement jugé nécessaire au vu de la "forte propension du requérant à commettre des infractions portant gravement atteinte à l’intégrité physique"[2].
C’est ce fameux "placement en détention de sûreté", qui évoque grandement notre propre mesure de "rétention de sûreté".
Le droit pénal allemand connaît, comme le droit pénal français, la distinction classique entre les peines (Strafen) et les mesures de sûreté (Maßregeln der Besserung und Sicherung). L’objectif de ces mesures est double, et vise aussi bien à la réhabilitation du condamné, qu’à préserver l’ordre public, en écartant les personnes dangereuses.
La mesure de détention de sûreté, qui se rajoute à la peine d’emprisonnement mais ne s’y confond pas, fait naturellement partie des mesures de sûreté.
Le droit pénal allemand prévoit que la durée de cette mesure de détention doit être proportionnelle à la gravité des infractions commises ou susceptibles d’être à nouveau commises (sic), comme à la dangerosité du condamné. Précisons enfin qu’à la date de la condamnation du requérant, le maximum légal d’une détention de sûreté ne pouvait excéder 10 ans.
En 1991, après avoir purgé l’intégralité de sa peine d’emprisonnement, le condamné commence sa détention de sûreté, et en 2001, dix ans plus tard, donc, il saisit la Cour Régionale de Marburg d’une demande de libération.
Sa demande est rejetée.
Le coeur de cette affaire relève en effet d'un problème d’application de la loi dans le temps, qui n’est pas sans rappeler celui posé par la loi française sur la rétention de sûreté.
Par une loi du 26 janvier 1998, entrée en vigueur le 31 janvier 1998[3], une réforme a supprimé le maximum légal d’une détention de sûreté, détention qui, non seulement peut désormais excéder 10 ans, mais pourra même désormais ne jamais prendre fin.
Désormais, au bout de dix années de détention, la cour[4] ne met fin à cette mesure que s’il n’y a plus de risque que le détenu commette des infractions, provoquant de graves préjudices physiques ou moraux à d’éventuelles victimes [5].
Le détenu relève désormais de ces dispositions, qui lui ont été déclarées immédiatement applicables, malgré le fait que tant les faits que sa condamnation étaient largement antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi nouvelle. L’argumentation des juridictions allemandes, similaire à l’argumentation du conseil constitutionnel, consiste à opérer la traditionnelle distinction entre peine et mesure de sûreté, réservant au seul bénéfice des premières l’application du principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère.
Après avoir épuisé toutes les voies de recours internes, qui ont toutes rejeté ses arguments, le 24 mai 2004[6] RM a saisi la cour européenne des droits de l’homme.
Il fonde son recours sur les deux points suivants, dont nous attendrons avec impatience qu’ils soient soigneusement examinés par la cour de Strasbourg :
- L’article 5.a de la convention européenne des droits de l’homme qui dispose :
"Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf ...s'il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent;"
- Et l’article 7.1 de cette même convention :
"Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international. De même il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise."
Ci-dessous, pour ceux, dont je fais partie, qui n’ont jamais assisté à une audience devant la cour européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales : Mesdames et Messieurs, chers lecteurs, amis magistrats, et chers confrères, levez-vous…
L’affaire a été mise en délibéré. Aucune date n’a pour le moment été communiquée, à ma connaissance, pour la publication de l’arrêt sur le site.
Il faut préciser que depuis que le requérant a saisi la Cour, il a pu bénéficier d'une mesure de libération, son état psychatrique ayant évolué positivement selon les experts. La libération est assortie de mesures de contrôle.
PS : le nom du requérant figure en toute lettre à de multiples endroits sur le site de la cour européenne, et il est maintes fois cité dans les débats. Néanmoins, le Conseil de celui-ci a formellement requis que la Cour veuille bien ne publier l'arrêt à venir qu'en préservant l'anonymat de son client. L'arrêt pourrait être un arrêt de principe - en fait, il devrait être un arrêt de principe. Il fera probablement l'objet d'une large publicité, laquelle ne pourrait qu'être préjudiciable à RM, et nuire à ses perspectives de réinsertion. La Cour n'a évidemment pas tranché sur cette demande. J'ai pris le parti dans le billet de prendre néanmoins les devants, et de ne me référer au requérant que par le biais de ses initiales. Je vous remercie de bien vouloir vous en tenir à cette règle en commentaires.
Notes
[1] C’est d’ailleurs alors qu’il était encore suivi dans le cadre d’un séjour en HP qu’il a tenté de commettre un homicide volontaire sur une bénévole de l’établissement.
[2] oui, je sais. C’est rédigé ainsi dans le résumé des faits publiés sur le site de la CEDH.
[3] Alors donc que le condamné purge son temps de détention de sûreté
[4] dont il semble qu’elle soit automatiquement saisie à l’expiration de ce délai, si j’interprète correctement l’article 67.D-3 du code pénal allemand.
[5] La traduction officielle anglaise présente sur le site est la suivante : the court shall declare the measure terminated if there is no danger that the detainee will, owing to his criminal tendencies, commit serious offences resulting in considerable psychological or physical harm to the victims…
[6] oui, je sais, c’est un peu long. D’aucun se gausseront de voir la cour européenne condamner très régulièrement le France – et bien d’autres Etats – pour le délai déraisonnable dans lequel certaines affaires sont jugées. Il est permis de déplorer que la cour elle-même ne puisse mettre ses affaires en état plus rapidement, sans pour autant admettre que les juridictions nationales en fassent autant.