Par Gascogne
L'on apprend dans la presse de cette semaine que sur le contingent des promus à l'ordre de la légion d'honneur figure, outre quelques personnalités comme Ingrid BETANCOURT, Jacques SEGUELA ou Dany BOON, une dame se nommant Nicole CHOUBRAC. Fort bien pour elle, me direz-vous...Et Gascogne aurait-il abusé d'exposition solaire pour parler de cela ? Non, mon indice 60 se porte bien, merci. Ce qui me dérange, c'est que Mme CHOUBRAC est magistrate. Rien n'interdit à un magistrat d'être décoré, mais cette possibilité m'a toujours posé question. Non pas parce qu'il s'agirait de "hochets de la République", dont je pourrais me sentir jaloux, mais parce que ce genre de récompense peut prêter à interprétation.
Comment ça, me direz-vous (si, si, je suis sûr que vous me le direz, et j'ai envie de vous faire participer, amis lecteurs). Reprenons notre exemple : s'il a attiré mon attention, c'est que Mme CHOUBRAC n'est pas n'importe qui. Outre le titre de vice-présidente au Tribunal de Grande Instance de Nanterre depuis le 1er février 2004, elle est en charge des fonctions de juge aux affaires familiales. Et surtout, elle s'est occupée du divorce de certaines personnalités, du fils de Richard Anthony à l'actuel Président de la République.
Je ne remets absolument pas en cause les compétences professionnelles de cette personne, que je ne connais pas par ailleurs. En outre, elle est nommée sur le contingent du Ministère de la Justice au milieu de bien d'autres professionnels du droit. Ce qui me gêne, c'est l'impression de mélange des genres. Récompense-t-on pour "services rendus" ? Et dans ce cas, lesquels ?
Les juges ne peuvent pas d'un côté hurler à l'atteinte à l'indépendance du pouvoir judiciaire, et de l'autre accepter les récompenses de l'exécutif, à plus forte raison lorsque le membre de l'exécutif en question a été partie à une procédure jugée par la récompensée. C'est sans aucun doute très flatteur pour l'égo et reconnaissant pour le travail effectué, mais c'est très dangereux du point de vue des symboles.
De plus, comment expliquer que ce qui est interdit au membre du pouvoir législatif (art. 12 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires[1]) soit autorisé pour les magistrats ? Une proposition de loi récente avait bien été présentée à l'Assemblée nationale, mais n'avait pas été suivie d'effet.
Comme j'ai pu le raconter, un membre "politique" du Conseil Supérieur de la Magistrature avait répondu à un membre magistrat de ce même Conseil qui déplorait le plus que faible budget de la justice : "tant que vous n'accepterez pas le collier, vous n'aurez pas la soupe". J'ai toujours en moi la crainte que pour les moins affamés d'entre nous, un hochet ne suffise.
Mise à jour du 20 juillet : Merci à Fantômette de m'avoir signalé que la Cour Européenne des Droits de l'Homme a pris une résolution concernant l'éthique de ses juges, où le problème des décorations est abordé : c'est ici.
Notes
[1] Art. 12. - Les membres des assemblées parlementaires ne peuvent être nommés ou promus dans l’ordre national de la Légion d’honneur ni recevoir la médaille militaire ou toute autre décoration, sauf pour faits de guerre ou actions d’éclat assimilables à des faits de guerre.— Disposition reprise à l’article R.22 du code de la Légion d’honneur et de la médaille militaire et, partiellement, à l’article 17 du décret n° 63-1196 du 3 décembre 1963 s’agissant de l’ordre national du Mérite.