Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mercredi 25 juin 2008

mercredi 25 juin 2008

Continuons à innover avec la naturalisation rétroactive d'application immédiate

Lu dans Carla Magazine Libération du 21 juin 2008 : Maître Eolas, l'air quelque peu dubitatif

Libé : Donc «fais gaffe à toi, je suis italienne»…

Carla Bruni : Je pourrais vous le dire par exemple ! Mais je ne suis plus italienne depuis trois mois.

Libé : Vous êtes donc naturalisée française ?

Carla Bruni : Pas encore, la procédure est longue pour tout le monde, mais je suis désormais française.

Elle n'est pas (encore) naturalisée, car la procédure est longue —Ça je confirme, quatre ans facilement—, mais elle est déjà française.

Je voudrais pas poser de question idiote, mais… Pourquoi demander la naturalisation, si elle est française, alors ?

À moins que pour la fête de la musique, la première dame de France, à qui l'on prête quelque talent artistique, n'ait décidé de nous jouer du pipeau ?


Quelques précisions : si l'acquisition de la nationalité française par déclaration après mariage avec un Français rétroagit au jour de la demande quand bien même il faut un an au ministère de l'intérieur pour réagir, cette demande suppose quatre années de mariage (loi Sarkozy du 24 juillet 2006, modifiant l'article 21-2 du Code civil). Ça ne peut pas être par cette voie qu'elle a acquise la nationalité française.

Quant à la naturalisation, elle ne rétroagit pas, mais prend effet au jour de la signature du décret de naturalisation (article 21-15 du Code civil). Donc, pas de naturalisation, pas de nationalité.

Enfin, je ne suis pas obsédé par la nationalité de la première Dame de France. Je pense qu'elle n'a aucune importance en soi. Et sa nationalité italienne, État membre de l'UE, ne pose aucun problème particulier de déplacement, les obligations des italiens en matière de visas étant strictement les mêmes que pour les Français.

Non, ce qui me sidère dans cette affaire, c'est que même sur un point qui précisément n'a aucune importance, il puisse paraître préférable de mentir effrontément aux Français plutôt que de leur dire la vérité. Même sans prendre la moindre précaution pour avoir une histoire crédible. « Je ne suis pas encore naturalisée, mais je suis déjà française », vraiment… Là est le scandale, au-delà même de l'évident passe-droit dont bénéficiera l'épouse du président pour obtenir promptement sa carte d'identité, qui peut se comprendre sans nécessairement s'excuser.

Ici, il y a du vrai travail de journaliste à faire : démontrer le mensonge et demander au couple présidentiel les raisons de ce mensonge. Sommes-nous considérés comme trop xénophobes pour admettre l'idée d'une étrangère à l'Élysée ? Cette réponse-là m'intéresse, au plus haut point. J'aime savoir à partir de quelle importance on considère que la vérité n'est plus bonne pour moi. Visiblement, la barre est très basse, ces temps-ci.

Affaire Mulholland Drive : clap de fin

La Cour de cassation vient de mettre un terme à l'affaire du DVD Mulholland Drive, du nom du film de David Lynch, DVD qui avait été protégé par DRM, en français MTE (Mesures Techniques Efficaces) : arrêt de la première chambre civile du 19 juin 2008, n°07-14277, en attente de publication au Bulletin.

Dans cette affaire, l'acquéreur d'un DVD avait attaqué l'éditeur de l'œuvre pour annulation de la vente en raison de l'obstacle insurmontable (à l'époque…) à la réalisation d'une copie privée de l'œuvre : pas de copie de sauvegarde sur un DVD-R, pas de transfert sur un disque dur.

Le tribunal de grande instance de Paris avait débouté le cinéphile frustré, mais la cour d'appel de Paris lui avait donné raison. La cour de cassation avait cassé cet arrêt dans une décision que j'avais commentée à l'époque, et avait renvoyé devant la cour d'appel de Paris. Le 4 avril 2007, la 4e chambre de la cour d'appel de Paris (section A) avait débouté l'acheteur, qui était à nouveau allé chanter famine chez la cour de cassation sa voisine.

Cette affaire était devenue anecdotique depuis l'entrée en vigueur de la loi DADVSI qui a légalisé ces MTE quand bien même elles feraient obstacle à la copie privée ; mais le droit antérieur devait continuer à s'appliquer pour ce litige, non rétroactivité de la loi oblige, et la cour en profite pour préciser un point important sur la copie privée.

En effet, elle donne un satisfecit à la cour d'appel de Paris en disant qu'elle avait jugé « à bon droit », ce qui équivaut à des félicitations du jury, quand ladite cour d'appel a dit dans son arrêt que :

la copie privée ne constitue pas un droit mais une exception légale au principe prohibant toute reproduction intégrale ou partielle d'une œuvre protégée[1] faites sans le consentement du titulaire du droit d'auteur.

La cour d'appel, toujours sous les applaudissements et trépignements de joie de la cour de cassation (il y a une de ces ambiances, parfois, à la première Chambre civile… Il n'y a qu'à la chambre criminelle qu'on rigole plus.), en déduit que l'exception de copie privée ne peut servir de fondement à une action formée à titre principal, mais peut uniquement être opposée en défense à une action.

Le Chœur des lecteurs : — Gné ?

Rassurez-vous, je vous explique.

Vous n'avez pas un droit à faire une copie à titre privée d'une œuvre. L'auteur ne peut s'y opposer dès lors qu'il a divulgué son offre.

Supposons que, jaloux de mes billets, je trouve un moyen technique imparable de vous permettre de les afficher, mais qui vous empêche absolument de les enregistrer ou de les imprimer, fût-ce par copier-coller dans un traitement de texte. Je sais que c'est techniquement impossible, mais c'est une hypothèse. Vous ne pourriez invoquer l'article L.122-5, 2° du Code de la propriété intellectuelle pour me contraindre en justice à vous permettre de copier mes textes pour vous faire une compilation personnelle.

Mais si je découvre qu'un jour l'un d'entre vous a imprimé mes mille billets (oui, le billet que vous lisez est mon millième) et que, ivre de rage, je le cite en correctionnelle pour contrefaçon, il pourra invoquer avec succès comme moyen de défense le fait que cette impression pour votre usage est une copie privée, et il sera relaxé. Mais attention, au titre de la copie privée, on peut imprimer une fois mille billets, on ne peut pas imprimer mille fois mille billets… Non, attendez, ce n'est pas ça. On peut imprimer mille fois un billet… Non, zut.

Bref.

La cour de cassation répond ici aux contempteurs de la loi DADVSI qui invoquaient la copie privée comme un droit auquel ladite loi porterait atteinte. Nenni, répond la cour, même avant cette loi, la copie privée n'a toujours été qu'une exception, une tolérance légale, à laquelle un auteur astucieux peut tout faire pour porter atteinte. Elle lui interdit juste de se plaindre quand néanmoins un tiers y arrive. Ce qu'apporte de nouveau la loi DADVSI, c'est que porter atteinte à une MTE apposée sur une œuvre digitale est interdit, c'est un délit, non couvert par l'exception de copie privée. Mais par exemple, pointer un camescope sur un écran de télévision pour enregistrer une œuvre protégée par des MTE à une fin personnelle n'est pas un délit. La diffusion de cette copie, par contre, le serait, car l'exception de copie privée ne jouerait plus.

Cette pratique dans les salles de cinéma n'est pas non plus un délit, mais la situation est différente car vous êtes lié par un contrat avec la salle de cinéma. Celle-ci peut prévoir comme clause du contrat l'interdiction de filmer, et la violation de cette interdiction justifierait votre reconduite hors de la salle de cinéma (qui s'analyse en une annulation du contrat pour non respect de ses clauses, on dit en droit une résolution).

Enfin, pour en terminer avec cet arrêt, la cour confirme que la possibilité de réaliser une copie privée n'est pas une caractéristique essentielle d'un DVD dont l'absence justifierait la nullité de la vente. Nullité, qualités essentielles, tiens, ça me rappelle quelque chose ? Attention toutefois aux amalgames trop rapides : nous sommes ici en droit des contrats, et plus spécialement en droit de la vente, ce ne sont pas les mêmes textes qui s'appliquent, même si le vocabulaire est le même. D'une part, le DVD ne consent pas à ce que vous l'achetiez, et d'autre part, personne ne considérera comme une qualité essentielle d'un DVD de Mulholland Drive… que le DVD soit vierge.


Merci à Caroline, qui m'a permis de retrouver cette désopilante parodie des pubs anti-piratage, extraite de la série anglaise The IT Crowd. Puisque ce billet se veut un hommage au 7e art…

Notes

[1] Par œuvre protégée, il faut entendre protégée par la loi, pas par des mesures techniques efficaces (DRM) : le fait de ne pas mettre de DRM ne signifie pas que l'œuvre devient libre de droit.

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