Par Dadouche
Rachida Dati était ce matin l'invitée du 7/10 de France Inter, où elle a répondu aux questions d'auditeurs (après avoir peu répondu à celles de Nicolas Demorand).
A 8 h 48, Bernard, de l'Eure, lui a tenu à peu près ce langage : "pourquoi cet acharnement contre les jeunes ? L'aménagement de la majorité pénale, le nouvelle révision de l'ordonnance de 45, la multiplication des CEF, la construction d'EPM qui sont pleins à peine terminés de construire... N'est-ce pas là qu'il faut donner la priorité à la réinsertion ?
Dans la réponse de la Ministre, les informations suivantes, qu'il ne paraît pas inutile de compléter :
-il n'y a aucune surpopulation carcérale des mineurs
C'est vrai (au plan national, parce que localement ça dépend où).
Encore heureux, compte tenu du nombre de places ouvertes cette année. En effet, 4 établissements pénitentiaires pour mineurs ont été ouverts, chacun d'une capacité d'environ 60 places.
- depuis un an le nombre de mineurs détenus a diminué de près de 4 %
Si l'on observe ici les dernières statistiques mensuelles relatives aux mineurs écroués, on constate que le nombre de mineurs détenus a oscillé entre 600 et 825 durant les deux dernières années.
Au 1er mai 2008, ils étaient 771, soit dans la moyenne. Au 1er mai 2007, ils étaient 712.
- la plupart des mineurs considérés comme primo-délinquants, quand ils sont jugés pour la première fois, ont en réalité déjà commis des infractions, majoritairement 20, 30 ou 40 affaires.
J'aimerais connaître les statistiques qui permettent cette affirmation, qui contredit complètement l'expérience de nombreux juges des enfants. Les Parquets n'ont pas attendu la circulaire prise en 2007 par Mme la Ministre pour poursuivre les mineurs auteurs d'infractions pénales.
J'ai pris mes fonctions de juge des enfants en 2006 et, dans la juridiction où j'exerce, les mineurs étaient déjà systématiquement poursuivis s'ils avaient déjà fait l'objet d'une ou deux mesures alternatives, voire immédiatement pour les faits d'atteintes aux personnes.
- le taux de réponse pénale [1] est passé de 87 à 92 % depuis 1 an.
C'est vrai. Et ça ne fait que suivre l'évolution constatée depuis plusieurs années.
On apprend en effet dans l'annuaire statistique de la justice 2007 que ce taux a progressé pour les mineurs de 77, 1 % en 2001 à 85, 5 % en 2005.
Précisons que dans le même temps le taux de réponse pénale général (majeurs et mineurs confondus) est passé de 67, 3 à 77,9 %.
- la délinquance des mineurs a diminué depuis 1 an, parce que dès la première infraction il y a une réponse.
En valeur absolue, le nombre d'affaires poursuivables impliquant des mineurs a augmenté entre 2001 et 2006, passant de 139 579 à 148 592.
Mais dans le même temps, la part des mineurs dans la délinquance n'a cessé de diminuer, passant de 10,5 % en 2001 à 9,7 % en 2006, comme on l'apprend dans le passionnant rapport de l'Assemblée Nationale sur l'exécution des décisions pénales concernant les mineurs.
Que les plus matheux d'entre vous me corrigent si je me trompe, mais cela signifie me semble-t-il que la délinquance des mineurs, et ce depuis plusieurs années, progresse moins vite que la délinquance des majeurs.
Si on rajoute une autre variable, celle de la part d'affaires poursuivables dans le nombre d'affaires traitées chaque année par les parquets, qui ne fait que croître (26, 9 % en 2001, 30,2 % en 2005) notamment grâce à un meilleur taux d'élucidation, on a le sentiment que la délinquance n'augmentait pas tant que ça, notamment celle des mineurs.
Encore faut-il définir ce que l'on entend par "réponse". Là encore, le très fouillé rapport de l'Assemblée Nationale sur l'exécution des décisions pénales concernant les mineurs démontre qu'aucune évaluation qualitative de l'effet de cette réponse n'est actuellement possible. La réponse ne peut pas simplement consister à passer devant le juge et attendre 2 mois que la mesure éducative décidée soit mise en place. Mais c'est un autre débat...
- les mineurs qui sont dans les CEF ne sont pas des enfants comme on peut les imaginer dans l'inconscient des uns et des autres mais ont pour la plupart commis des actes de nature criminelle
D'après les chiffres de l'édifiant rapport de l'Assemblée Nationale sur l'exécution des décisions pénales concernant les mineurs, 722 mineurs ont été pris en charge dans des CEF en 2006. La même année, 729 mineurs ont été incarcérés.
Sachant que ce sont environ 500 mineurs qui sont chaque année condamnés pour crime en France (529 en 2005), que ceux poursuivis pour les crimes les plus graves sont incarcérés et que bon nombre de ceux qui restent ne font pas l'objet d'un placement en CEF , peut on raisonnablement soutenir que la majorité des mineurs placés en CEF le sont à la suite d'actes criminels ?
Non. Cela contredit par ailleurs complètement mon expérience de terrain : parmi tous les mineurs que je suis qui ont eu à séjourner dans un CEF, aucun n'avait commis de faits criminels. La grande majorité sont en réalité des multiréitérants de délits du type extorsion, vol avec violences, violences aggravées, trafic de stupéfiants etc...
Il y a dans les CEF des mineurs poursuivis pour des actes criminels. Ce ne sont pas "la plupart" des mineurs placés dans ces établissements.
- la plupart des mineurs pris en charge dans les CEF sont alcooliques depuis l'âge de 8 ans ou 11 ans
Bon ben là, je ne sais pas quoi dire, les bras m'en sont tombés (il faut dire qu'ils ne tenaient déjà plus très bien après tout ça)...
De nombreux mineurs (et pas que des délinquants) ont des consommations abusives d'alcool et de toxiques. Le rapport de la Défenseure des Enfants "Adolescents en souffrance : plaidoyer pour une véritable prise en charge" fait ainsi état des statistiques suivantes : 22 % des 15-16 ans consomment du cannabis une fois par mois ; à 15 ans un jeune sur trois déclare avoir déjà été ivre ; 28 % des 15-19 ans disent avoir été ivres quatre fois dans l'année ; 30 à 40 % des premières relations sexuelles ont lieu sous alcoolisation.
Là encore, je ne peux faire état que de mon expérience personnelle (cela dit, des mineurs délinquants, je pense que j'en ai croisé plus que la Ministre), mais si effectivement de nombreux mineurs placés en CEF ont des consommations d'alcool et de toxiques, parler d'alcoolisme dès 8 ou 11 ans pour la plupart d'entre eux me paraît une généralisation pour le moins surprenante.
En cette saison du bac, c'était mon commentaire composé de la parole ministérielle.
Sujet de philo de l'année prochaine : "Peut-on croire n'importe qui ou dire n'importe quoi ?"
Merci Bernard (de l'Eure).
Notes
[1] rapport entre le nombre d'affaires effectivement poursuivies ou faisant l'objet d'une alternative aux poursuites et celui des affaires poursuivables, c'est à dire des infractions pénales caractérisées dont l'auteur a été identifié