La cour de cassation vient de rendre un arrêt qui casse l'arrêt de la cour d'appel de Paris ayant confirmé la condamnation du site alapage.com à payer 50.000 euros de dommages-intérêts au Syndicat de la Librairie Française (SLF) pour avoir violé l'interdiction de la vente à prime sur les livres posée par la loi Lang du 10 août 1981.
Quand on sait qu'Amazon a été condamné à la même chose, ça va sabler le champagne à Seattle.
Les faits étaient les suivants : Alapage, comme Amazon, vendent des livres sur internet. Or depuis une loi Lang du 10 août 1981, le prix du livre n'est pas libre en France : il est fixé par l'éditeur, la loi ne permettant au détaillant de le vendre qu'à un prix au maximum inférieur à 5% à ce prix là. De même, pour éviter le contournement de cette interdiction, la vente à prime est interdite, c'est à dire d'offrir avec le livre un bien ou un service gratuit de nature différente, sauf à ce que le même bien ou service soit proposé par l'éditeur lui-même à tous les détaillants (ce sont les livres que vous pouvez vous voir remttre portant la mention “exemplaire non destiné à la vente”). Loi faite pour protéger les libraires indépendants mais qui a surtout fait le succès des supermarchés du livre qui, eux peuvent appliquer ce rabais sans difficulté. Ceux qui en doutent n'ont qu'à aller chercher une librairie dans le quartier Latin.
Afin d'être attrayants, ces libraires en ligne ont fait une promotion consistant à offrir à l'acheteur les frais de port, au-delà d'un certain montant dans un premier temps puis quel que soit le montant. Ainsi, pour l'acheteur, l'opération est économiquement la même d'aller acheter un livre dans une librairie de quartier (pratiquant le rabais de 5%) que de commander en ligne.
Ce que le SLF a estimé contraire à la loi Lang. En effet, opinait-il, suivi en cela par le tribunal de grande instance de Créteil le 25 janvier 2005, lui-même approuvé par la 5e chambre de la cour d'appel de Paris le 23 mai 2007, les frais de port étant normalement à la charge de l’acheteur, le seul fait pour le vendeur, dans un but de promotion et d’incitation à l’achat, d’annoncer au client auquel le lie un contrat à titre onéreux, qu’il assume lui-même le paiement de la livraison et d’en faire un service gratuit caractérise la prime prohibée au sens des articles 6 de la loi du 10 août 1981 et L. 121-35 du code de la consommation. Et ces sites d'être condamnés à 50.000 euros de dommages-intérêts pour concurrence déloyale outre 5000 euros de frais de procédure .
N'en démordant pas, le libraire en ligne a porté le litige devant la cour de cassation. Bien lui en a pris, car la cour suprême lui donne raison.
En effet, la cour de cassation estime que les conseillers de la cour d'appel se sont trompés dans l'application de la loi, et ce par un raisonnement de pur droit des obligations dont l'orthodoxie réjouira les étudiants de deuxième année, qui feraient bien de potasser cet arrêt en vue de leurs partiels : en statuant ainsi, estime la cour de cassation, alors que la prise en charge par le vendeur du coût afférent à l’exécution de son obligation de délivrance du produit vendu ne constitue pas une prime au sens des dispositions du code de la consommation, la cour d'appel a violé la loi par fausse application.
Explications pour ceux qui n'ont pas connu le Shangri-La de la deuxième année de droit. La vente est un contrat dit synallagmatique : les deux parties ont chacune des obligations réciproques. L'acheteur doit payer le prix. Le vendeur doit délivrer la chose. Et le contrat se forme instantanément dès qu'il y a accord sur la chose vendue et sur son prix. Cet accord n'a à prendre aucune forme particulière, dès lors qu'il est univoque. Ce peut être une phrase : “Une baguette, s'il vous plaît” ; ce peut être un geste : prendre un livre en rayon et le tendre à la caissière, ou un clic de souris sur un bouton “acheter maintenant”. Peu importe qu'au moment précis où ces mots sont prononcés ou le geste accompli, le vendeur n'ait pas aussitôt réception du paiement. Peu importe que l'acheter n'ait pas aussitôt sa baguette ou son livre entre les mains : le contrat est formé et parfait, il ne reste plus qu'à l'exécuter.
Cela veut dire pour l'acheteur de payer. Tendre du numéraire au vendeur, ou user d'un moyen de paiement, chèque ou carte bancaire. Cela veut dire pour le vendeur de délivrer la chose, c'est à dire remettre matériellement un bien conforme au contrat. Si en nos jours électronqiues, le paiement est dématérialisé et sinon instantanné du moins immédiatement confirmé au vendeur, la délivrance, elle suppose la remise du bien généralement entre les mains de l'acheteur (on parle depuis le droit romain de traditio, qui a donné en français tradition, ce qui est transmis, et en anglais trade, le commerce).
Or les libraires en ligne sont constitués d'un serveur informatique qui gère le site en ligne et d'un entrepôt où sont stockés des livres et commandés les exemplaires plus rares avant d'être expédiés par voie postale à l'acheteur. Cet envoi postal constitue la traditio, la remise matérielle du contrat. C'est une obligation du vendeur, c'est même son obligation princiaple, l'essence du contrat. Dès lors, rien n'oblige l'acheteur à assumer ce coût (c'est possible, mais il doit y avoir consenti, donc être prévu dans le contrat), et si le vendeur prend à sa charge ce coût, il ne fait qu'exécuter son obligation de délivrance, ce qui ne saurait être assimilé à une prime, c'est à dire un service gratuit auquel aurait donné droit l'achat du livre.
Ceux qui veulent en savoir plus sur cette exception française qu'est la situation du livre en France pourront se reporter au livre que mon cher ami communard Hugues vient de sortir, disponible chez Amazon et chez fnac.com (pas trouvé sur alapage). Frais de port offerts, vous savez désormais pourquoi.