Anecdotique, peut-être, mais tellement représentatif de la politique de gribouille qui semble être l'unique objectif du législateur depuis des années, et je devrais parler de décennies, et qui ont le don de m'agacer prodigieusement.
Le 31 octobre 2007 était promulguée une loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007 instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté. L'idée, ma foi, était plutôt bonne, même si elle créait une énième autorité administrative indépendante qui permet au Gouvernement de se délester du poids de quelques responsabilités en priant les mécontents d'aller se plaindre ailleurs.
« Lieux de privation de liberté ? » vous étonnerez-vous. Oui : c'est une expression à tiroir visant à désigner à la fois les prisons et les centres de rétention administratives pour les étrangers, que la loi définit par une charmante litote : « local ne relevant pas de l'administration pénitentiaire », c'est-à-dire en se contentant de dire ce qu'ils ne sont pas.
Ce Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), calqué sur le modèle du Médiateur de la République, est censé pouvoir venir à tout moment visiter prisons, centre de rétention administratives (CRA), locaux de rétention administrative (LRA), commissariat, zones d'attente, et tout ce que l'imagination fertile de la République a trouvé pour bafouer le premier mot de sa devise (on estime leur nombre à 5500 tout de même), pour « contrôler les conditions de prise en charge et de transfèrement des personnes privées de liberté, afin de s'assurer du respect de leurs droits fondamentaux ». Ce qui est d'un optimisme béat, la réalité étant qu'il irait constater que ces droits ne sont pas respectés, et ce dans des lieux qui, s'ils appartenaient à une personne privée, l'exposeraient à 10 ans de prison.
Toujours est-il que la création de cette autorité était attendue avec impatience par la profession, qui assurément lui aurait donné du travail à faire.
Le 12 mars 2008, le décret d'application était enfin publié, dernier préalable à la mise en place de cette autorité, avec la désignation de l'heureux lauréat.
À ce jour, toujours rien. Certes, il y avait des urgences comme dénoncer la Convention de Strasbourg de 1963, mais tout de même. Il s'agissait d'un projet de loi du Garde des Sceaux, voté au pas de charge (projet déposé le 11 juillet, adopté le 18 octobre, pendant la session extraordinaire).
L'Ordre des Avocats s'est donc enquis auprès de la Chancellerie si, quand ils auront enfin fini de rectifier des fautes de frappe aux effets potentiellement désopilants, ils pensaient à nommer le CGLPL.
La réponse nous est communiquée dans notre bulletin interne (n°19 du 13 mai 2008), et, comment dirais-je ? Ah, voilà : elle vaut son pesant de cacahouètes.
la nomination de ce haut fonctionnaire semble être remise en cause par le projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République adopté le 28 avril 2008 en Conseil des ministres. Il prévoit en effet la création d’un «défenseur des droits des citoyens» nommé par le Président de la République pour un mandat de six ans. Cette institution remplacerait le médiateur de la République et également le contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Oui mes chers amis, vous avez bien lu. Une loi dont le projet a été déposé en juillet 2007, dont le décret d'application vient d'être pris ne va probablement jamais être appliquée car un autre projet de loi va créer une nouvelle autorité qui remplacerait l'autorité déjà créée mais pas nommée. Car il est tellement urgent de défendre nos droits qu'il faut reporter la mise en application des mesures adoptées à cette fin. Sous réserve bien sûr que d'ici là, une nouvelle idée ne vienne pas faire avorter la précédente. Vous savez ce que c'est, la réforme, ça tient parfois du coïtus interruptus.
Les honorables parlementaires qui ont dû sacrifier la moitié de leurs vacances l'été dernier pour voter la loi institutant le CGLPL vont apprécier. Je serais au Gouvernement, j'inscrirais le projet de loi constitutionnelle au cours d'une session extraordinaire l'été prochain, histoire d'ajouter à cette farce le comique de répétition.