Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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jeudi 17 avril 2008

jeudi 17 avril 2008

Le ministère de l'intérieur n'est pas le ministère de la proximité immédiate

La première chambre civile de la cour de cassation vient de rendre un arrêt qui déclare illégales les salles d'audience aménagées dans les centres de rétention administratives. Chers Confrères, les bonnes nouvelles en la matière étant rares, engouffrez-vous dans la brèche avant qu'elle ne soit comblée en urgence par le parlement.

Les faits étaient les suivants.

Un ressortissant algérien en situation irrégulière a fait l'objet d'un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière pris par le préfet des Bouches du Rhône. Cet arrêté était assorti d'une décision de placement en centre de rétention, c'est-à-dire que par décision préfectorale, l'étranger a été enfermé pour qu'il soit procédé à sa reconduite à la frontière par la force. La loi prévoit toutefois qu'au bout de 48 heures, l'étranger “retenu”, c'est la terminologie officielle, s'il n'a pas été expulsé, doit être présenté par le préfet au juge des libertés et de la détention (JLD) qui peut ordonner le maintien en rétention pour une durée de 15 jours. Lors de cette audience, il doit statuer sur la légalité de l'arrestation et de la privation de liberté si l'avocat de l'étranger soulève des arguments sur ces points.

Cette audience doit en principe se tenir au tribunal de grande instance, mais l'article L.552-1 du Code de l'Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d'Asile (CESEDA) prévoit que « si une salle d'audience attribuée au ministère de la justice lui permettant de statuer publiquement a été spécialement aménagée à proximité immédiate de ce lieu de rétention, il statue dans cette salle. »

Notez bien que le juge n'a pas le choix, si une telle salle existe, il doit se déplacer.

Ainsi, à Marseille, le ministère de l'intérieur a aménagé une salle d'audience pour le JLD dans l'enceinte du Centre de Rétention de Marseille (Port de Marseille, bassin d’Arenc, porte C, hangar 3, une salle d'audience dans un hangar, comme c'est symbolique du respect de la République pour sa justice).

Lors de cette audience, l'avocat de ce ressortissant algérien a soulevé l'irrégularité de cette audience au regard de l'article L. 552-1 du CESEDA. Ce que le juge a décidé, l'histoire ne le dit pas, mais la question fut soumise en appel au premier président de la cour d'appel d'Aix en Provence, qui rejeta les arguments de l'avocat de l'étranger.

Le premier président a en effet retenu que la salle d'audience était une véritable salle d'audience et non un simple bureau, spécialement aménagée, disposant d'accès et de fermetures autonomes, située dans l'enceinte commune du centre de rétention, de la police aux frontières et du pôle judiciaire, qu'ainsi il n'existait pas de violation caractérisée des dispositions de l'article L. 552-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

La cour de cassation casse cet arrêt par une décision délicieusement subtile qui réjouira les Immortels (civ. 1e, 16 avril 2008, n°06-20.390). La décision du premier président viole l'article L.552-1 du CESEDA car :

…la proximité immédiate exigée par l'article L. 552-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est exclusive de l'aménagement spécial d'une salle d'audience dans l'enceinte d'un centre de rétention.

Hé oui : « proximité immédiate » ne veut pas dire à l'intérieur (d'où le titre de ce billet). Ça veut dire “à côté”. On ne mélange pas les torchons et les serviettes, et le ministère de l'intérieur et celui de la justice.

Bref, toutes les salles d'audiences construites à l'intérieur des centres de rétention sont illégales (il y en a une à Toulouse, ce me semble ?), et tous les jugements de maintien en rétention qui y seraient rendus sont nuls. En cas d'appel, le premier président ne pourrait même pas évoquer, mais seulement constater qu'aucun jugement valable n'est intervenu dans le délai de 48 heures, et devra ordonner la remise en liberté. Les JLD vont devoir regagner leur pénates en attendant qu'une loi modifie précipitamment les mots «proximité immédiate».

À bons entendeurs…

L'affaire ANPSEDIC

Ou : le Service Public à la française en action.

Sébastien Bourgasser est un informaticien qui, ayant connu les affres de la recherche d'emploi, a conçu en 2004 un logiciel d'aide à la recherche de travail, ou plus exactement de gestion des démarches de recherche. Ce logiciel permet, en quelques opérations simples, d'adapter son CV à l'intitulé de l'offre, d'imprimer une lettre de motivation, et de noter la date d'envoi de la candidature, la date d'une réponse, et d'un éventuel entretien. Cela permet de suivre facilement des dizaines de démarches simultanées et de pouvoir démontrer aisément aux organismes sociaux la réalité et le détail des démarches entreprises, qui peut conditionner le maintien de certaines allocations.

Ce logiciel a été baptisé ANPSEDIC, mélange des signes ANPE et ASSEDIC. Logo ANPSEDIC

Ce logiciel était disponible gratuitement sur le site anpsedic.org, et était recommandé par plusieurs conseillers ANPE pour des personnes ayant du mal à s'organiser dans leur recherche de travail qui, quand elle est sérieusement menée, est une activité très prenante.

Formidable, la solidarité entre chercheurs d'emploi, la créativité de l'un mise bénévolement au service de ses prochains, n'est-ce pas ?

Non. C'est insupportable.

L'ANPE d'abord puis l'UNEDIC, l'organisme national auquel sont rattachés toutes les ASSEDIC, ont mis en demeure Sébastien Bourgasser de cesser de distribuer ce logiciel, car, tenez-vous bien : il contrefait les marques commerciales ANPE et ASSEDIC.

Que les sigles ANPE et ASSEDIC soient des marques déposées peut déjà surprendre, mais cela peut se comprendre : l'ANPE jouissant d'un monopole et l'activité de courtage en matière de contrat de travail étant très encadrée (il est notamment interdit de percevoir une rémunération du candidat), l'ANPE, en déposant sa marque, se prémunit contre du parasitisme. L'UNEDIC exerçant une mission de service public, il est légitime qu'elle protège sa dénomination contre une usurpation commerciale.

Mais nul ne peut prétendre que Sébastien Bourgasser faisait du parasitisme : il proposait gratuitement un logiciel d'aide à la recherche d'emploi qui ne fait que gérer les candidatures entrées par l'utilisateur. D'ailleurs, l'ANPE et l'UNEDIC se sont épargnés au moins le ridicule de cette insinuation.

Cela dit, le juriste peut froncer le sourcil. La marque est protégée par la loi, mais cette protection n'est pas générale et absolue. Quand j'écris : “Honte à l'ANPE et à l'UNEDIC pour ce qu'ils ont fait”, je ne contrefais pas les marques ANPE et UNEDIC, bien que je les reproduise.

La protection recouvre deux situations.

La première, que nous appellerons la protection absolue, est posée à l'article L.713-2 du Code de la propriété intellectuelle :

Sont interdits, sauf autorisation du propriétaire :

a) La reproduction, l'usage ou l'apposition d'une marque, même avec l'adjonction de mots tels que : "formule, façon, système, imitation, genre, méthode", ainsi que l'usage d'une marque reproduite, pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l'enregistrement ;

b) La suppression ou la modification d'une marque régulièrement apposée.

Pour résumer, elle porte sur les produits et services identiques, cette identité résultant de la classe dans laquelle la marque est déposée, selon une nomenclature précise résultant de l'Arrangement de Nice du 15 juin 1957 (on parle de “classification de Nice”).

La deuxième, la protection relative, résulte de l'article L.713-3 du Code de la propriété intellectuelle :

Sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, s'il peut en résulter un risque de confusion dans l'esprit du public :

a) La reproduction, l'usage ou l'apposition d'une marque, ainsi que l'usage d'une marque reproduite, pour des produits ou services similaires à ceux désignés dans l'enregistrement ;

b) L'imitation d'une marque et l'usage d'une marque imitée, pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l'enregistrement.

Pour résumer, elle s'étend à tout usage de la marque, même pour des produits différents de ceux pour lesquels elle est déposée si cet usage peut entraîner un risque de confusion dans l'esprit du public.

C'est sur ce deuxième plan que l'ANPE et l'UNEDIC attaquent : le terme ANPSEDIC étant une combinaison des termes ANPE et ASSEDIC, utilisés dans un cadre de recherche d'emploi, les deux organismes estiment qu'il peut en résulter un risque de confusion dans l'esprit du public, nonobstant la remarque figurant en page d'accueil du site précisant que ce logiciel a été créé sans lien aucun avec l'ANPE et l'ASSEDIC.

Que voulez-vous, les chômeurs sont des gens simplets qu'il faut protéger, et ils pourrait effectivement confondre un Établissement Public Administratif ou une association loi 1901 intitulée Union nationale interprofessionnelle pour l'emploi dans l'industrie et le commerce avec un logiciel tournant sous Windows.

Résultat : Sébastien Bourgasser, qui faisait ce travail bénévolement, qui n'a pas les moyens techniques de modifier le nom de son logiciel, n'ayant plus accès au programme lui permettant de compiler son logiciel, et qui n'a ni le temps, ni l'énergie ni les moyens de se bagarrer avec ces deux organismes, jette l'éponge et cesse de distribuer son programme.

Bref, grâce à l'UNEDIC et l'ANPE, les chômeurs ont perdu un outil susceptible de les aider. On applaudit bien fort le sens du service public.

Mais vous me connaissez, je vois le mal partout. Je ne peux mettre sur le compte de la bêtise ce qui peut être mis sur le compte de la méchanceté. Allons donc lire le BOPI, le Bulletin Officiel de la Propriété Intellectuelle.

Une rapide recherche (pas de lien direct possible, désolé) nous apprend que l'ANPE a déposé 26 marques, et l'UNEDIC, 5 marques ASSEDIC. Que parmi ce florilège, 18 des marques ANPE et les 5 marques ASSEDIC sont déposées dans la classe 42, soit… la conception et développement d'ordinateurs et de logiciels ! Ça alors ! Moi qui croyais que l'ANPE et l'UNEDIC étaient des organismes en charge respectivement de centraliser les offres et les demandes d'emploi et de gérer l'assurance chômage. En fait ce sont des SSII !

Mais alors, me direz-vous, l'ANPE et l'UNEDIC pouvaient revendiquer la protection absolue de l'article L.713-2, en raison de la similitude des produits ?

Absolument.

Pourquoi ne l'ont-elles pas fait ? Je l'ignore. Peut-être parce que cela se serait trop vu qu'elles préparent le lancement de leur propre logiciel ?

Si l'ANPE et l'UNEDIC ou leur Conseil souhaitent apporter des explications, ils sont les bienvenus. Avec leur autorisation, j'inclurai leur réponse ici même sous ce billet, afin qu'elle ne soit pas égarée et moins visible en commentaires. J'avoue que pour ma part, j'espère ardemment une explication qui me révélera en quoi cette attitude est conforme à l'objet de ces organismes, qui reste avant tout, il faut hélas le rappeler, de venir en aide aux chômeurs.


Mise à jour 11h43 : La direction de la communication (oui, de la communication, pas la direction juridique) de l'UNEDIC vient de contacter Sébastien Bourgasser pour organiser un rendez-vous commun avec la direction de la communication de l'ANPE afin de trouver une solution amiable. La réunion aura lieu d'ici quelques semaines. Je vous tiens au courant.

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