Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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lundi 7 avril 2008

lundi 7 avril 2008

Toutes mes condoléances. Couloir ou fenêtre ?

Le veuvage, ça peut aussi se vivre de loin.

En un mois, la vie d'Elisabeth Guerin a basculé. Cette Béninoise de 38 ans, entrée légalement en France le 16 octobre 2005 pour se marier, menait depuis deux ans une vie heureuse et tranquille. Le 3 octobre 2007, Claude, son conjoint français, meurt d'un cancer. Le second choc survient à peine un mois plus tard, avec l'envoi par la préfecture d'un courrier qui lui refuse le renouvellement de sa carte de séjour et lui donne un mois pour quitter la France.

Vous trouvez les juges inhumains ? Essayez les préfets.

Nous nous connaissions depuis des années, avec Claude. Il venait très souvent au Bénin, et puis un jour il m'a demandée en mariage. Amoureuse, j'ai abandonné les deux salons de coiffure que j'avais, pour faire ma vie avec lui ici”, raconte Elisabeth, qui ne comprend toujours pas l'enchaînement des malheurs qui l'accablent.

C'est en toute confiance qu'en septembre 2007 Mme Guerin, titulaire d'un titre de séjour temporaire, car elle n'avait pas encore trois ans de mariage, commence les démarches nécessaires pour le renouvellement de sa carte.

“Claude était alors encore vivant. Mais j'ai dit à la préfecture que, malade, il ne pouvait plus se déplacer pour signer le dossier. Et après son décès, je suis allée les en informer. Je suis une femme honnête”, explique-t-elle.

En France, l'honnêteté est toujours récompensée, disait le président Chirac. La preuve.

À toutes ses raisons d'être traumatisée s'en est ajoutée une autre : une brève interpellation.

Interpellation n'est pas le mot : c'est incarcération. Sur ordre du préfet. Notez les dates.

Mardi 1er avril, Elisabeth Guerin a été interpellée à son domicile et conduite en centre de rétention à Tours. Jeudi, le juge des libertés et de la détention (JLD) l'a libérée en l'assignant à résidence et en lui ordonnant de se présenter chaque jour à la gendarmerie de sa commune. “Je n'ai plus désormais le droit de travailler”, s'inquiète-t-elle, salariée d'une entreprise d'aide à la personne.

Deux jours en centre de rétention pour une veuve. Monsieur le préfet d'Indre et Loire, vous avez la grande classe. Si vous n'arrivez pas à votre quota d'expulsion pour 2008, je suis prêt à attester auprès de Brice que vous aurez tout fait (quoique... Vous avez essayé les bébés ? Ça ne fait pas de recours, les bébés…)

Le tribunal administratif ayant rejeté le 6 mars le recours qu'elle avait déposé contre la décision du préfet, Elisabeth Guerin attend le jugement[l'arrêt] de la cour [administrative] d'appel, qu'elle a saisi. Mais depuis, elle vit cette attente avec d'autant plus d'angoisse. “Elle est très insérée dans la commune, elle travaille, a un appartement, des amis”, insiste Reine Gasque, une voisine, directrice d'une des écoles maternelles de la commune où s'est constitué un collectif de soutien. “Voilà à quoi conduit la précarisation du séjour ! On n'a pas arrêté de repousser le moment où les conjoints de Français peuvent avoir une carte de résident”, dénonce Nicolas Ferran du mouvement Les Amoureux au banc public, qui défend le droit à une vie normale pour les couples mixtes. Depuis a loi de 2006 [loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration], les conjoints de Français doivent attendre trois ans pour faire la demande d'une carte de résident. Avant cela, un titre de séjour temporaire leur est délivré de plein droit, mais “à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé”.

Le préfet d'Indre-et-Loire a considéré que l'administration ne pouvait renouveler le titre de séjour de Mme Guerin, “même si cette rupture de communauté de vie résulte malheureusement du décès du conjoint français” comme il l'indique dans son courrier. (Article de Laetitia Van Eeckhout)

Comme ce “malheureusement” est élégant. Et parfaitement hypocrite : l'administration peut toujours délivrer un titre de séjour à un étranger. Toujours. Il n'y a pas de cas où elle est obligée de refuser la délivrance du titre. La suite de l'histoire le prouvera.

Et le pire, c'est que ce refus est parfaitement légal.

Juridiquement, voici la situation.

Madame Guérin a sollicité depuis le Bénin un visa pour venir en France afin d'épouser Claude. Une fois arrivée en France, elle a convolé, et a sollicité une première carte de séjour, valable un an, en tant que conjoint étranger de Français (article L.313-11, 4° du Code de l'Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d'Asile, le CESEDA). Cette délivrance est de droit, c'est à dire que le préfet ne peut pas la refuser si la preuve du mariage ET de la communauté de vie sont rapportés. Concrètement, les préfectures demandent des pièces écrites (compte joint en activité, factures EDF aux deux noms, etc...) et tout simplement que les deux époux se présentent ensemble pour co-signer la demande de délivrance de la carte ET pour venir la chercher. Oui, ça fait deux demi journées de travail de perdue pour tous les deux, mais comme tout français qui oserait envisager de vivre avec un étranger est suspecté d'être un fraudeur, bien fait pour lui. Cette carte est valable un an, permet de travailler et son renouvellement est de droit si les conditions sont toujours remplies : preuves de vie commune, l'époux qui se déplace. Ce n'est que lors du renouvellement de la troisième carte qu'enfin, les soupçons de l'administration s'apaisent enfin et qu'elle consent à délivrer une carte de résident, valable 10 ans et renouvelable de plein droit. Bref, que la situation de l'étranger cesse d'être précaire.

Madame Guerin a obtenue une carte de séjour temporaire (CST) une première fois en 2005, a obtenu son renouvellement en 2006. En 2007, la maladie qui devait emporter son mari étant à son stade terminal, celui-ci n'a pas pu se déplacer pour co-signer la demande. Madame Guerin ne le savait pas encore, mais son sort était scellé.

Car lors de l'examen de la demande de renouvellement, l'époux était décédé. Cela ne pouvait pas échapper au préfet, qui en avait été informé par l'intéressée elle même, mais qui en outre aura eu son attention attirée par le fait que le mari ne s'était pas présenté pour cosigner la demande, ce qui impliquait une enquête administrative qui aurait révélé le décès. Et effectivement, le décès met fin à la vie commune entre époux. Il met même fin à la vie tout court, et dissout le mariage, d'ailleurs. Donc Madame Guerin n'étant plus conjointe de français, elle n'avait plus droit à sa carte de séjour. Et comme la loi (article L.511-1, I du CESEDA) lui en donne le droit, il a assorti ce refus de carte de séjour d'une mesure coercitive appelée obligation de quitter le territoire français (OQTF).

Cette décision peut faire l'objet d'un recours suspensif devant le tribunal administratif dans le délai d'un mois (article L.512-1 du CESEDA). Dans sa grande sagesse, le législateur a décidé que ce type de contentieux bénéficierait d'une carte coupe-file, et devrait être jugé en trois mois. Car vous vous rendez compte ? Un étranger à qui on refuse sa carte et qui n'est pas d'accord : voilà un contentieux prioritaire, plus que l'indemnisation des transfusés atteints de l'hépatite C, des accidents médicaux de l'hôpital public, des victimes des dégâts causés par des travaux publics, que le contentieux fiscal, de l'urbanisme, ou de l'activité de l'administration en général. Ceux là peuvent attendre deux ou trois ans qu'on s'intéresse à eux. La veuve béninoise, voilà l'ennemi.

Ce recours a été exercé et a été rejeté le 6 mars dernier par le tribunal administratif d'Orléans. Et en effet, le droit a été respecté : Mme Guerin étant veuve, elle n'a plus droit à une carte de séjour temporaire conjoint de français. Le préfet avait parfaitement le droit de refuser le renouvellement de cette carte. Ses attaches familiales en France étant décédées, son séjour trop récent pour pouvoir invoquer efficacement la protection de sa vie privée et familiale par la convention européenne des droits de l'homme, ce refus de titre est parfaitement légal. La décision de l'assortir d'une OQTF est à la discrétion du préfet, qui y a vu une bonne occasion de rajouter une croix à ses objectifs d'expulsion[1]. Le juge refusera d'examiner le bien-fondé de cette décision, qui relève de la liberté du préfet.

Madame Guerin a fait appel devant la cour administrative de Nantes (la carte judiciaire des juridictions administratives, que vous trouverez ci-contre, est d'une simplicité qui ferait rêver Rachida Dati,Carte des juridictions administratives (site du Conseil d'Etat) sauf peut être le fait que Nouméa et Papeete soient dans le ressort de la cour administrative d'appel de Paris). Le recours n'est pas suspensif, et devrait être jugé dans un an ou deux. C'est trop long pour le préfet qui a des objectifs pour cette année. Il a donc ordonné l'interpellation de Madame Guerin et son placement en centre de rétention pour une durée de 48 heures, afin d'organiser son expulsion vers le Bénin.

Oui, cette dame a perdu son mari il y a tout juste six mois, a probablement hérité d'une partie de ses biens, voire est peut être propriétaire de la maison qu'elle occupe, mais non, le préfet pense qu'il n'y a rien de plus urgent que de la réexpédier à Cotonou, d'où elle pourra solliciter des visas (payants) pour de brefs séjours de trois mois maximum pour liquider son patrimoine en France ou en profiter. Comme au bout de 48 heures, cette dame n'a pas pu être effectivement expulsée, le préfet a demandé au juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Tours d'ordonner son maintien en rétention pour 15 jours de mieux. J'imagine la tête qu'a dû faire le JLD en lisant ce dossier… L'avocat de Madame Guerin a demandé et obtenu une assignation à résidence (art. L. 552-4 du CESEDA), c'est-à-dire que, l'étranger qui a remis son passeport aux services préfectoraux et qui a des garanties de représentations (du genre le logement qu'il a occupé légalement pendant deux ans et demi) peut, à titre exceptionnel précise la loi, ne pas être maintenu en rétention mais assigné à son domicile en attendant que la préfecture s'occupe des formalités de reconduite au pays d'origine. Oui, vous avez bien lu. Quand un personne commet un crime, la liberté est le principe, la privation de liberté, l'exception. Pour les étrangers, si l'administration le décide, sans avoir à justifier de ses raisons, et bien la liberté devient l'exception. Il m'est plus facile d'obtenir devant un JLD la liberté d'un escroc récidiviste, je pense à un exemple réel, que celle d'un étranger sans casier judiciaire et qui paye ses impôts, pour reprendre un autre exemple réel.

À titre exceptionnel, donc, le JLD de Tours a remis en liberté notre pauvre béninoise à qui rien n'aura été épargné.

Il ne manquait plus qu'une farce pour terminer cette triste affaire, et c'est notre Brice national qui s'est gentiment proposé pour jouer les maîtres Patelin.

ArrêtSurImage.net nous apprend que le ministre du drapeau a lu cet article du Monde et en a été profondément ému. Par courrier électronique adressé à nombre de journalistes, le ministre déclare :

« Le ministre, qui a pris connaissance des faits samedi après-midi à la lecture du journal Le Monde, a immédiatement demandé au préfet de régulariser la situation de Madame GUERIN. Le ministre a estimé que le Préfet avait commis une erreur manifeste d'appréciation: le décès de (…) Claude GUERIN, ressortissant français, ne saurait justifier le non-renouvellement d'une autorisation de séjour de son conjoint étranger en situation régulière. »

Brice The Nice, en somme.

Sauf que.

Sauf que le préfet d'Indre et Loire a parfaitement respecté la loi. La délivrance et le renouvellement de la carte de séjour temporaire au conjoint de français est subordonnée à la qualité de conjoint de Français, ce que le veuf n'est pas. L'article L. 311-8 du CESEDA dit en toutes lettres que «La carte de séjour temporaire et la carte de séjour " compétences et talents " sont retirées si leur titulaire cesse de remplir l'une des conditions exigées pour leur délivrance.»

Il n'est prévu qu'une seule exception : si l'époux français s'est rendu coupable de violences conjugales sur son conjoint, l'administration peut, je dis bien peut, c'est une faculté, pas une obligation, renouveler la carte de séjour[2] (art. L.313-12 du CESEDA). Claude Guerin n'ayant pas eu l'idée de frapper son épouse avant d'expirer, elle ne pouvait même pas invoquer cette protection.

Le juge administratif d'Orléans a d'ailleurs confirmé la légalité de la décision préfectorale obligeant Madame Guerin à quitter le territoire français.

J'emprunterai sa conclusion à mon ami Jules, car c'est grâce à lui qu'en pleine rédaction de cet article, j'ai appris l'intervention du ministre des trois I : rions de peur d'avoir à en pleurer en pensant que c'est la loi Sarkozy du 24 juillet 2006 qui a prévu le retrait automatique du titre de séjour en cas de disparition des conditions de délivrance ; c'est cette même loi qui a empêché Madame Guerin de devenir française au bout de deux ans de mariage, ce délai ayant été porté à quatre ans. C'est cette même loi qui l'a empêché de bénéficier d'une carte de résident de dix ans dès le début de son mariage et l'a contrainte à attendre trois années de vie commune, ce que la maladie ne lui a pas octroyé. Rions de voir aujourd'hui ce proche de l'auteur de cette loi s'exclamer qu'un préfet qui l'applique très exactement commet “une erreur manifeste d'appréciation” quand son résultat est aussi inhumain.

Mais ce résultat est très précisément celui voulu par la loi. À force de voir des fraudeurs partout, on traite tout le monde comme des fraudeurs. Y compris la majorité qui ne l'est pas. Elle est là, l'erreur d'appréciation. Dans la loi elle même. Ayez au moins le courage de l'assumer, monsieur le ministre. Ça nous changera.

Notes

[1] J'emploie ici ce terme dans son sens générique d'éloignement forcé : l'expulsion en droit des étrangers est une décision de reconduite immédiate, par la force, d'une personne présentant un risque de trouble à l'ordre public.

[2] Ce qui, par un tour facétieux, est devenu dans la bouche du président : “toute femme battue peut devenir française”. On voit qu'il n'a jamais été ministre de l'intérieur.

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