Par Gascogne
Corporatisme, mélange des genres, il n'est guère que la consanguinité qui n'ait été mise en avant pour justifier d'une réforme de la composition du Conseil Supérieur de la Magistrature.
La commission "Balladur" en a fait la proposition (modification "relativement modeste", selon le Pr ROLIN ! j'espère qu'il me permettra d'être relativement peu en accord avec lui sur ce point...), et le projet de loi constitutionnelle est dans les tuyaux. Le citoyen lambda s'en moque comme de sa première chemise, et le magistrat lambda est prêt à se mettre en grêve (qui lui est pourtant interdite, au moins en ce qui concerne les mouvements visant à entraver le fonctionnement des juridictions) pour éviter cette réforme (je ne doute pas une seconde que les avocats suivront le mouvement). Pourquoi donc ?
Le Conseil Supérieur de la Magistrature n'est pas seulement l'organe en charge de la discipline des magistrats, qui publie chaque année une sorte d'état des lieux des instances disciplinaires, dont j'ai déjà eu l'occasion de parler par ailleurs. C'est également une instance chargée de la nomination des magistrats. En outre, la constitution (art. 64) lui donne pour mission d'assister le Président de la République dans son rôle de garant de l'indépendance de la magistrature. Il a eu dans ce cadre l'occasion d'émettre des avis.
Il est présidé par le Président de la République, le vice-président en étant le Garde des Sceaux (ce qui est pour le moins discutable en terme de séparation des pouvoirs).
Le CSM est composé majoritairement de magistrats (12), élus notamment dans le cadre d'élections professionnelles, dans lesquelles les syndicats de magistrats voient leur représentativité affirmée. Les autres membres composant les instances de ce Conseil sont des membres nommés par les autorités politiques (un membre nommé par le Président de la République, un par les Président de l'Assemblée Nationale, et un par le Président du Sénat, et enfin un membre nommé par le Conseil d'Etat en son sein). Le Conseil est au final composé de deux sections distinctes, l'une pour le siège, et l'autre pour le parquet, 6 magistrats se répartissant dans chacune des formations, les quatre personnalités extérieures siégeant dans les deux. Cette distinction vient du fait que les magistrats du siège et ceux du parquet ont des statuts différents.
La discussion actuelle concernant la composition du CSM porte sur la présence majoritaire ou non des magistrats. En effet, certains députés de la commission d'enquête parlementaire sur l'affaire dite d'Outreau ont pu se laisser aller à dire que la débacle de ce dossier était notamment due au fait que les magistrats se contrôlaient entre eux, via le Conseil Supérieur de la Magistrature, instance disciplinaire du corps. Notons au passage le mélange des genres entre instances d'appel, voire de cassation, et instances disciplinaires (pas étonnant que certains voient leur élection invalidée avec une si mauvaise maîtrise des règles de procédure...).
Je passerai sur les trois propositions de la commission "Balladur" tenant à la présidence du CSM, à ses attributions ainsi qu'à sa saisine en matière disciplinaire, intéressantes mais peu critiquables en soi, pour ne m'en tenir quà la proposition n° 70 tendant à élargir la composition du CSM.
En page 81 du rapport, consultable sur le site de la commission, cette sage instance nous sert le poncif du corporatisme alimenté par son insuffisante ouverture sur l'extérieur. Une affirmation valant mieux qu'une démonstration, surtout pour des choses aussi évidentes, le rapport ne développe pas plus. Par contre, il propose que les personnalités extérieures deviennent majoritaires, le Président de la République nommant le président du CSM, au lieu de le présider, comme actuellement. Les autres membres seraient deux conseillers d'Etat, un représentant de la profession d'avocat, un professeur d'université et deux personnes désignées par le président de l'Assemblée Nationale et celui du Sénat. Le nombre de magistrats ne varierait pas. Au total, donc, 6 magistrats et 7 personnalités extérieures, dont le président du Conseil.
En quoi cela peut-il poser problème ? En terme de nomination des magistrats, le CSM nomme les premiers présidents de cour d'appel, les présidents de tribunaux de grande instance, ainsi que les magistrats du siège à la Cour de Cassation. En outre, il donne un avis concernant tous les magistrats du siège, dont la Chancellerie propose la nomination via la fameuse "transparence" dont a parlé Dadouche, le Ministère de la Justice ne pouvant passer outre cet avis (ce qu'il peut par contre faire pour le parquet, et qu'il fait de plus en plus depuis quelques années).
Donner à une instance composée majoritairement de personnalités désignées par la pouvoir exécutif la possibilité de nommer ou de faire nommer les magistrats du siège rend donc l'emprise de ce même pouvoir accrue. Tel juge qui voudra se voir nommer à tel poste aura donc tout intérêt à ne pas déplaire au pouvoir en place. La reprise en main se poursuit...et Montesquieu, Voltaire ou Rousseau doivent se retourner dans leur tombe.
Je crois qu'au final, ce qui me dérange le plus n'est pas que le pouvoir politique nous crache son "corporatisme" à la figure, mais qu'il fasse croire au justiciable qu'il sera le grand gagnant de cette réforme (classée dans le rapport de la commission dans le chapitre "des droits nouveaux pour les citoyens"). Il n'est qu'en pays totalitaire que la justice est la main aveugle du pouvoir. Le citoyen n'y a jamais gagné quoi que ce soit.