Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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dimanche 17 février 2008

dimanche 17 février 2008

Vis ma vie

Par Gascogne.


Tout comme Tchouang Tseu nous racontait l'histoire de Tchéou qui ne savait pas s'il rêvait qu'il était un papillon, ou s'il était un papillon rêvant qu'il était Tchéou, me voilà par je ne sais quel tour de magie plongé dans une robe d'avocat.

Ma semaine commence sur les chapeaux de roue. Ou bien est-ce la précédente qui finit mal ? Toujours est-il que je dois partir ce dimanche à pas moins de 80 km pour un gardé à vue qui me réclame. Le planton de garde me reçoit plutôt froidement. Il doit voir en moi un grand ami des délinquants, un empêcheur d'arrêter en rond. L'OPJ me raconte rapidement l'histoire. Mon client m'en donne une autre version. Pas crédible. Quand comprendront-ils qu'il est dans leur intérêt de ne pas me mentir ? Je conçois qu'ils ne voient en moi qu'un "baveux", un type qui a fait des études, comme le proc' ou le juge, un gars bizarre qui met une robe pour travailler, mais quand même. Je n'ai qu'une demi-heure, et pas le moindre procès verbal sous les yeux, pour tenter de démêler les fils de l'histoire, et voir où se situe l'intérêt de celui qui m'a appelé à l'aide. Je sens que nous allons nous revoir dans la semaine, mais pas à mon cabinet...

Lundi : Pourquoi les juges ne trouvent-ils rien de mieux que de coller toutes les audiences possibles et imaginables en même temps ? Ils pensent que les avocats ont le don d'ubiquité, sans doute. Je cours, robe sous le bras, vers les différents bâtiments qui abritent qui une audience de prud'hommes, qui les juges aux affaires familiales, qui le tribunal de commerce. Surtout, ne pas s'emmêler les pinceaux dans les dossiers. Si je demande une prestation compensatoire à un conseiller prud'homal, il risque de mal le prendre.

Mardi : J'ai rendez-vous avec mes clients, mais je dois aussi assister mon gardé à vue devant le juge d'instruction, une espèce d'ours mal léché, et je n'ai pas intérêt à être en retard...Ma secrétaire décommande, sous les vivas des clients pour qui leur dossier a nécessairement plus d'importance que les autres. Devant le juge, je lui présente ce qui est censé n'être que de brêves observations, pour tenter de le dissuader de saisir le JLD. Peine perdue. Nouvelle plaidoirie devant ce dernier, nouvel échec. Mon client part en détention provisoire. Visiblement, il ne m'en veut pas, il me remercie même pour mes efforts. Par contre, sa famille, qui attend dehors, est beaucoup moins réceptive à mes explications. Je passe encore un mauvais moment.

Mercredi : Audience au tribunal d'instance. Le juge est un vice-président blanchissant qui croit utile de faire de l'humour sur mon dos...Les confrères se bidonnent, je tente de faire bonne figure. Heureusement qu'il n'y a plus grand monde dans la salle d'audience. C'est le problème des avocats comme moi, sans épaisseur humaine...Heu, pardon, jeunes dans le métier. Je passe dans les derniers, l'ordre protocolaire voulant que passent en premier les confrères extérieurs, puis le bâtonnier en exercice, puis les anciens bâtonniers, puis les avocats dans l'ordre d'ancienneté d'inscription au barreau. Bref, encore une demi-journée à attendre, perdue pour les autres dossiers. Espérons que l'après midi sera plus calme, que je puisse rédiger quelques conclusions. Si le téléphone me laisse un peu de répit.

Jeudi : mes clients se pressent dans la salle d'attente. Je reçois un couple et leurs deux enfants. Ils sont convoqués chez le juge des enfants dans quelques jours. Monsieur fait visiblement un concours du plus grand porteur de piercings et de tatouages. Madame installe sans rien me dire un tapis de jeu et laisse le petit dernier jouer au sol avec un ordinateur pour enfants qui imite à la perfection les bruitages de "la guerre des étoiles". Et quand j'ai le malheur le toucher la tête brune de crasse de sa progéniture, je me fais envoyer sur les roses...Tout juste si elle ne me traite pas de pédophile. Je leur explique que le juge des enfants va décider soit de placer leurs enfants, soit de nommer un éducateur pour les assister, mais la seule réponse que j'obtiens est que si la moindre personne approche, ils ont tous les fusils qu'il faut à la maison. Ca promet.

La cliente suivante veut a-bso-lu-ment obtenir un droit de garde et d'hébergement sur le Yorkshire que son ex-mari a gardé. Comment lui dire sans la vexer que si le ridicule ne tue pas, je tiens quand même un tant soit peu à ma réputation ? Et je ne vous parle même pas de lui faire comprendre qu'en droit, son chien est un meuble, et qu'on ne se partage pas la garde d'un meuble.Tout au plus dissout-on la communauté...

La journée s'écoule sous les complaintes. Quelques cas juridiques ou humains intéressants, mais ils ne sont pas majoritaires. Je me sens récipiendaire de toutes les détresses humaines.

Vendredi : la fin de semaine sera-t-elle plus calme ? Que nenni. Je pars en correctionnelle juge unique "circulation". C'est le juge d'instruction de mardi qui préside. Ca promet. Les savons volent autant que les suspensions de permis, et voilà le tour de mon client. Il a cru bon, alors qu'il conduisait sa camionnette, de s'arrêter pour prêter main forte à des gendarmes qui intervenaient sur un accident de la circulation. En soi, c'est plutôt le geste d'un citoyen modèle. Le problème est qu'il avait un taux d'alcoolémie de quasiment deux grammes d'alcool par litre de sang. En plus, il refuse de reconnaître l'infraction, et je jongle donc dans mes explications entre des arguments tous plus recevables les uns que les autres. Je n'ose pas de front demander la relaxe, comme mon client me l'a pourtant demandé. Je veux bien avoir un mandat impératif, mais il y a des limites, que je n'ai pas réussi à faire comprendre à mon prévenu. Pour lui, il me paye, donc j'obeis...Le président se bidonne, condamne, et passe à un autre dossier. Mon client veut que j'aille immédiatement faire appel. Il veut se ridiculiser une fois de plus à la Cour. Je jetterais bien l'éponge en le dirigeant vers un confrère, mais n'est-ce pas l'abandonner un peu ?

J'allais terminer ma semaine de permanence pénale par l'assistance d'un mineur devant le juge des enfants (un juge chevelu qui semble sortir tout droit d'une bande dessinée de Lucky Luke, version frères Dalton), quand je me réveille en sursaut dans mon lit. Cette course infernale n'était qu'un cauchemar. Ma robe n'est pas celle d'un avocat, et mes contraintes ne sont pas les mêmes. Je n'ai pas de clients mécontents à gérer, je n'ai en face de moi "que" des justiciables. Je peux me rendormir tranquille, en pensant tout de même à la vie infernale de tous ces avocats qui m'entourent.

Avis de Berryer : Patrice Leconte

Peuple de Berryer, réjouis-toi ! Les travaux de la conférence reprennent.

Ce vendredi 29 février à 21 heures 30 en la salle des Criées de notre beau palais, Patrice Leconte, cinéaste, sera l'invité de l'Académie des Douze.



Les sujets proposés sont :



1er sujet : Faut il planter son bâton ?



2ème sujet : doit on confier le harem à l’eunuque ?

ATTENTION : il n'y a pas pour le moment d'invitations en ligne et il est fortement conseillé de se présenter à partir de 19 heures 15 devant le palais avec une pièce d'identité. Les mesures de sécurité au palais sont très strictes ces temps-ci. D'où l'urgente nécessité d'y amener des rires et de la dérision.

Inscriptions des candidats auprès de mon confrère Cédric Alépée, Quatrième secrétaire : cedric_alepee[at]yahoo.fr

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