Un professeur de technologie dans un collège du Nord est poursuivi en correctionnelle pour avoir asséné une gifle à un élève de onze ans au cours d'un incident au cours duquel l'élève l'aurait traité de « connard ».
Cette affaire, qui ne décolle pas du niveau du fait divers, fait beaucoup parler d'elle. D'abord par les circonstances qui l'ont suivi : le père de l'élève, gendarme de profession, a été convoqué après l'incident et s'est présenté en uniforme. Il a aussitôt porté plainte et l'enseignant a été placé en garde à vue pendant 24 heures et sera jugé le 27 mars prochain. On voit tout de suite les ingrédients de la polémique : l'enseignant insulté est celui qui est poursuivi, le père gendarme fait soupçonner la collusion des gens de justice, bref, la victime est poursuivi et le garnement est présenté comme la victime. Solidarité des enseignants, et semble-t-il d'une bonne part de l'opinion publique qui n'aime rien plus que l'idée que les enfants des autres se prennent des baffes.
Les faits ne sont pas contestés par l'enseignant, qui déclare à la presse avoir été « impulsif » et que le coup était « parti tout seul ».
Revoyons les faits sous l'angle juridique.
En France, l'éducation est une obligation depuis l'age de six ans jusqu'à l'age de 16 ans : art. L.131-1 du Code de l'Education.
C'est une obligation qui pèse sur les enfants mineurs, contrairement à l'idée reçue qui veut que les mineurs baignent dans un doux cocon d'irresponsabilité et d'immunité aux obligations. Cette obligation se compose d'une obligation d'assiduité, d'accomplissement du travail donné et de respect des règles de l'établissement : c'est l'article L.511-1 du code de l'éducation.
Les enseignants tirent de ce règlement intérieur une autorité de police et une autorité disciplinaire : leurs consignes pour l'organisation des cours doivent être respectées, faute de quoi ils peuvent exclure un élève d'un cours, qui n'est pas une sanction disciplinaire mais vise à rétablir l'ordre dans la classe (l'attitude ayant conduit à l'exclusion pouvant donner lieu à des sanctions disciplinaires) ou mettre en mouvement une action disciplinaires pour voir prononcée une des mesures prévues par le même règlement intérieur.
On en distingue deux ordres : pour les faits les moins graves, ce sont des punitions, prévues par une circulaire du 11 juillet 2000 (le texte se situe après le décret), article 2.2 :
Considérées comme des mesures d'ordre intérieur, elles peuvent être prononcées par les personnels de direction, d'éducation, de surveillance et par les enseignants ; elles pourront également être prononcées, sur proposition d'un autre membre de la communauté éducative, par les personnels de direction et d'éducation.
La liste indicative ci-après peut servir de base à l'élaboration des règlements intérieurs des établissements :
- inscription sur le carnet de correspondance ;
- excuse orale ou écrite ;
- devoir supplémentaire assorti ou non d'une retenue [Les fameuses "colles" - NdEolas] ;
- exclusion ponctuelle d'un cours. Elle s'accompagne d'une prise en charge de l'élève dans le cadre d'un dispositif prévu à cet effet. Justifiée par un manquement grave, elle doit demeurer tout à fait exceptionnelle et donner lieu systématiquement à une information écrite au conseiller principal d'éducation et au chef d'établissement ;
- retenue pour faire un devoir ou un exercice non fait.
Pour les faits les plus graves, on parle de sanction, qui elles sont au nombre de quatre et sont prévues par un décret du 30 août 1985, article 3 :
Le règlement intérieur comporte un chapitre consacré à la discipline des élèves. Les sanctions qui peuvent être prononcées à leur encontre vont de l'avertissement et du blâme à l'exclusion temporaire ou définitive de l'établissement ou de l'un de ses services annexes. La durée de l'exclusion temporaire ne peut excéder un mois. Des mesures de prévention, d'accompagnement et de réparation peuvent être prévues par le règlement intérieur. Les sanctions peuvent être assorties d'un sursis total ou partiel. Il ne peut être prononcé de sanctions ni prescrit de mesure de prévention, de réparation et d'accompagnement que ne prévoirait pas le règlement intérieur.
Comme on le voit, c'est une société en miniature qui est reconstituée au sein de l'établissement : les règles et leurs sanctions sont fixées établissement par établissement qui se dote ainsi d'un mini code pénal beaucoup plus facile d'accès, ainsi que la façon dont les sanctions doivent être prononcées (réunion d'un conseil de discipline, etc), ces règles particulières devant bien sûr respecter la législation nationale (un règlement intérieur ne peut prévoir de règles constituant une discrimination fondée sur le sexe, l'origine ou la religion par exemple) et n'excluent nullement l'application de celle-ci, notamment le code pénal, l'école demeurant partie intégrante du territoire français.
Ces règles sont néanmoins des règles de droit : elles fixent des comportements obligatoires ou interdits, et assortissent le non respect de ces normes de sanctions. Et s'agissant de règles de droit, elles s'appliquent à tous de la même façon. Aux élèves comme aux enseignants.
Je n'ai pas pu me procurer le règlement intérieur du collège Gille de Chin, mais je ne pense pas prendre de gros risques pour la fiabilité de la suite de mes explications en retenant l'hypothèse qu'insulter un enseignant y est expressément prohibé, ainsi que de manière générale toute violence.
En insultant son professeur, l'élève a incontestablement commis une faute, et d'une gravité telle qu'elle justifie que des sanctions soient prononcées, non une simple punition. Mais en aucun cas cela ne donnait le droit à l'enseignant de s'affranchir du règlement intérieur et de se faire justice à lui-même. L'école est aussi un apprentissage de la vie en société, et le fondement de la notre est que même les personnes qui fixent les règles sont tenues de les respecter. C'est la première leçon de l'Etat de droit.
La deuxième est que le code pénal s'applique aussi dans les écoles. Et ici il a été sollicité.
Tout d'abord, par l'élève lui-même. Pour avoir, par parole de nature à porter atteinte à sa dignité ou au respect dû à ses fonctions, outragé son professeur, personne chargée d'une mission de service public, le galopin a commis le délit d'outrage prévu par l'article 433-5 du code pénal, aggravé par cette circonstance que les faits se sont produits dans un établissement scolaire, délit puni de 6 mois d'emprisonnement et 7500 euros d'amende.
Mais aussitôt après par l'enseignant lui-même, qui, pour avoir volontairement commis des violences n'ayant pas entraîné d'incapacité totale de travail sur la personne du galopin, avec ces circonstances que les faits ont été commis (1) sur un mineur de 15 ans (2) par une personne chargée d'une mission de service public (3) dans un établissement d'enseignement, a commis des violences volontaires aggravées par trois circonstances, faits prévus et réprimés par l'article 222-13 du Code pénal et punis de sept années d'emprisonnement et de 100.000 euros d'amende, outre un prélèvement des empreintes génétiques pour inscription au fichier national de ces empreintes (le FNAEG).
Un petit mot ici sur un de ces circonstances : celle de commission dans un établissement d'enseignement. Il s'agit d'un ajout de la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, article 48, II, 1° (lui-même issu d'un amendement parlementaire de M. Philippe Houillon), dont l'objet n'était absolument pas, les travaux parlementaires en attestent, de lutter contre la violence des enseignants, seuls les élèves étant dans l'esprit du législateur capables de tels actes. Peu importe, la localisation géographique est le seul critère, et la circonstance aggravante joue à l'égard de l'enseignant. Amis profs, vous êtes prévenus (en tout cas votre collègue, lui, l'est pour l'audience du 27 mars).
S'agissant du bambin, son très jeune âge le met à l'abri des peines prévues par le code pénal : il ne peut faire l'objet au pire que de sanctions éducatives (articles 15 et 15-1 de l'ordonnance du 2 février 1945). Tout ceci sans préjudice des sanctions disciplinaires encourues dans son établissement.
S'agissant du professeur, bien sûr, la peine prononcée sera très très loin des sommets voulus par le législateur, qui, le jour où il a pensé et voté que des violences n'ayant pas entraîné d'incapacité totale de travail pourraient opportunément être sanctionnées de sept années d'emprisonnement avait visiblement fêté le beaujolais nouveau à la buvette de l'assemblée. Il n'y a pas en France un seul juge, aussi répressif soit-il, qui envisagerait cela la moindre seconde.
Mais ses malheurs ne s'arrêteront pas là car il encourt en prime des sanctions disciplinaires par le ministère de l'éducation nationale, suspension provisoire, déplacement d'office, mise à la retraite d'office, rétrogradation... pouvant aller jusqu'à la révocation.
Beaucoup de bruit pour rien ?
Sans doute la disproportion des peines encourues contribue à donner une image de martyr à l'enseignant.
Il demeure : frapper un élève est un geste inacceptable, et frapper un enfant l'est encore plus. Quel que soit le comportement de ce dernier. L'école apprend la vie en société, et la première de cette vie en société est de renoncer à la violence, pas de la subir de la part des personnes qui exercent l'autorité.
Le châtiment corporel est d'un autre âge, y compris administré par les parents. Accepter la fessée comme normale, c'est accepter le premier échelon d'une échelle qui peut amener très vite trop haut. Car la fessée ne fait pas mal, et l'enfant finira par ne plus en avoir peur. Il faudra aller plus loin. Et quand il aura quinze ans et mesurera 1m80, que va faire le parent ?
Demandez aux juges des enfants ce que certains parents considèrent comme relevant du droit de correction, sous prétexte qu'eux même, quand ils étaient petits, se prenaient bien pire de leur propre père, qui avait bien raison. Ou ce que font certains adolescents difficile à leurs parents devenus plus faibles qu'eux. Voilà où amène la violence subie.
La société refuse ces comportements, à raison, et tout particulièrement de la part de ceux à qui les enfants sont confiés. Que ceux-ci se retrouvent chargés d'une mission d'éducation des enfants, parfois par délégation complète des parents qui y ont renoncé, quand leur mission ne devrait recouvrir que l'instruction, c'est un problème évident. Il ne peut se régler par la violence. Face à cette situation, la société réagit, par son bras séculier, la justice. C'est normal, sauf à sonner à l'enfant un message disant "quand tu es à l'école, tu es sans protection face aux plus grands que toi". Faisons cela et à 13 ans il viendra avec un couteau pour se protéger.
Que l'enseignant réfléchisse à son geste, il est en arrêt maladie jusqu'à l'audience. Qu'il comprenne pourquoi ce coup n'est certainement pas "parti tout seul" comme quand on nettoie une arme approvisionnée. Cette explication est inquiétante, et ne plaira certainement pas au juge, avec le désormais célèbre "j'ai pété les plombs", meilleur moyen de faire péter les plombs du tribunal lors du délibéré.
A la télévision, la justice, c'est toujours les gentils contre les méchants. La vie n'est pas aussi simple. La victime peut être une tête à claque : cela n'autorise personne à lui en asséner ; l'auteur peut avoir mille excuses, sans avoir une seule justification. Et les collègues soutiennent l'un, et les associations de protection de l'enfance protègent l'autre, et les parents soutiendront l'un ou l'autre.
Au milieu, le juge, qui devra trancher, avec la certitude que sa décision déchaînera la colère des uns ou des autres.
Qui a dit que c'était un métier facile ?