Comme un coup de tonnerre dans un ciel bleu, le Gouvernement vient d'annoncer qu'il envisage une réforme du divorce. Il y avait en effet urgence : la grande réforme du 24 mai 2004 (adoptée par un large consensus droite-gauche) est entrée en vigueur le 1er janvier 2005. Ce Gouvernement a un vrai sens des priorités. Ajoutons d'ailleurs qu'à l'occasion de la discussion de cette réforme, une déjudiciarisation du divorce par requête conjointe avait déjà été envisagée avant d'être abandonnée, pour des raisons qui demeurent valables aujourd'hui, et que je reprends plus bas.
La profession est en colère et réagit vivement. Trop à mon sens, notamment à l'égard des notaires, tant cette annonce ressemble par trop à un mouchoir rouge pour la profession, châtiée pour son indocilité chronique depuis plusieurs mois, et une façon de jouer facilement la carte du corporatisme des avocats (« ils défendent leur bout de gras ») contre le consommateur client électeur (« Ca vous coûtera moins cher, puisque la plupart du temps vous devez AUSSI passer chez le notaire »). Des gens intelligents par ailleurs n'ont pas tardé à mordre à l'hameçon.
Moins d'indignation et plus de pédagogie n'auraient pas fait de mal ici. Côté lobbying, nous avons des leçons à prendre des notaires. Ils ne vont pas bousculer des CRS et respirer du gaz lacrymogène, et leurs résultats sont meilleurs.
Bien sûr, une telle réforme serait une calamité financière pour les cabinets spécialisés dans le divorce (sur les 152000 divorces prononcés annuellement, quasiment la moitié sont par requête conjointe ; s'ils donnent lieu à perception de moins d'honoraires, le volume compense). Dans un premier temps, du moins. A moyen terme, j'en doute, vous allez voir. En tout état de cause, nonobstant ma sympathie pour mes confrères œuvrant en la matière, ce ne put être un argument regardé comme pertinent pour refuser la réforme. Les revendications catégorielles de maintien de rentes de situation m'exaspèrent, même quand elles émanent de ma profession.
Que penser de cette réforme ? Pour le moment, pas grand'chose, puisqu'elle n'est qu'une idée, et qu'une mission a été confiée à Monsieur le professeur Guinchard à ce sujet, illustre professeur de droit dont le nom est connu de tous les étudiants et ex-étudiants en droit. Attendons de lire avec profit les résultats des travaux de cet universitaire.
Pour les plus impatients d'entre vous, voici les données du problème, et les difficultés auxquelles cette réforme se heurtera à mon avis.
A titre de prolégomènes, je précise que si j'ai une expérience en matière de divorce par requête conjointe, l'activité de mon cabinet n'en dépend absolument pas. Je prie mes lecteurs de me faire le crédit de ce que je ne défends pas mon pré carré en vous invitant à me suivre dans les cabinets des Juges aux Affaires Familiales.
Rappelons tout d'abord qu'il existe deux grandes catégories de divorce : les divorces contentieux d'une part et le divorce « par consentement mutuel », dont le vrai nom est en réalité divorce par requête conjointe, d'autre part.
Le divorce par requête conjointe concerne des époux qui sont d'accord sur tout : ils veulent divorcer, et se sont mis d'accord sur toutes les conséquences du divorce. Cela inclut la répartition des biens, les relations pécuniaires (prestation compensatoire versée par le conjoint qui a la meilleure situation financière à l'autre qui a sacrifié des opportunités professionnelles pour son couple) et surtout les modalités d'exercice de l'autorité parentale : résidence habituelle des enfants, droit de visite et d'hébergement ou garde alternée, etc...).
Les divorces contentieux concernent toutes les autres situations, de la guerre ouverte (et parfois d'une violence psychologique effroyable) aux époux qui sont d'accord pour divorcer mais n'arrivent pas à se mettre d'accord sur tout, en passant par les époux séparés dont l'un se satisfait très bien de la situation actuelle et n'a pas envie de se compliquer la vie.
Les divorces contentieux ne sont pas concernés par la réforme envisagée, seul le divorce par requête conjointe l'est.
Un divorce par requête conjointe, ça se passe comment ? Comprendre : quand vous n'êtes pas président de la République ?
En apparence (notez bien le « en apparence », tout le problème est là), très simplement. Les époux peuvent prendre un seul avocat pour les deux, puisqu'il n'y a pas de contentieux, étant précisé que l'avocat unique étant avocat des deux, si les choses dégénèrent, il ne peut plus assister un des époux contre l'autre. Il doit se retirer du dossier qui sera repris par deux confrères, et le divorce devient contentieux.
L'avocat doit rédiger deux actes, dont un tient du formulaire : la requête en divorce. C'est un document qui présente les époux, résume leur situation personnelle et familiale (date du mariage, régime matrimonial, nombre et âge des enfants, métiers, revenus et patrimoine des époux) et se conclut en demandant au juge de les recevoir pour prononcer leur divorce.
Le second est la convention de divorce. Et c'est là que s'exerce l'art de l'avocat.
Cette convention doit tout prévoir sur les conséquences du divorce. Cela va de détails comme le paiement des impôts dus en commun ou la prise en charge des honoraires de l'avocat, à des points essentiels comme les règles applicables à la garde des enfants.
Assez souvent, les époux arrivent au premier rendez-vous avec un projet de convention, qu'ils ont piqué dans un quelconque magazine grand public ayant fait un dossier spécial divorce, en laissant entendre qu'il ne nous reste qu'à signer et à demander des honoraires très modérés. Pour moi, c'est une situation que j'aime beaucoup, car après dix minutes d'analyse des problèmes posés par ce document passe-partout qui en voulant servir à tout le monde n'est utile à personne, problème qui sont souvent de vraies bombes à retardement, d'ailleurs, les clients ont parfaitement compris à quoi je sers et ce que représentent mes honoraires.
En six mots : à des années de contentieux évitées.
L'avocat apporte sa connaissance de la loi et son expérience en matière de contentieux pour transformer les explications des clients sur leur accord en un texte relativement bref (on dépasse rarement les six pages, l'essentiel étant consacré aux enfants), clair (comprendre : lisible et compréhensible par les clients) et qui règle sans équivoque n'importe quelle situation sans léser un seul des époux. Car ces règles s'appliqueront « sauf meilleur accord », c'est à dire que si les parents se mettent d'accord entre eux, ils peuvent faire ce qu'ils veulent, mais qu'un désaccord survienne (suite à un malentendu, les deux parents ont pris leur mois de juillet et travaillent le mois d'août, et ils veulent tous les deux partir avec leur bambin), et la solution se trouve dans la convention (dans notre exemple, la convention prévoit que tel parent a le mois de juillet les années paires, et qui l'a les années impaires ; il n'y a plus qu'à regarder un calendrier pour avoir la réponse). Et cela va jusqu'à la désignation du parent tenu d'aller chercher ou ramener les enfants, où et à quelle heure.
C'est là, lors de ce premier rendez-vous, où on va beaucoup écouter les clients et poser de nombreuses questions, que va se nouer l'essentiel du dossier. Après, ce sont des projets soumis aux clients, commentés, des réponses à leurs questions, des rectifications, et quand c'est signé l'essentiel est fait.
Ajoutons qu'en cas de patrimoine commun à liquider (époux soumis au régime de la communauté universelle ou de la communauté réduite aux acquêts, qui concerne les époux qui se sont mariés sans contrat de mariage), notamment s'il y a des biens immobiliers, les époux doivent préalablement au dépôt de la requête en divorce, aller chez un notaire faire préparer un état liquidatif de la communauté qui doit être annexé à la requête. Cet état liquidatif partage le patrimoine commun en deux parts égales (en principe) et précise qui est à qui (le manoir à Deauville pour Madame, le chalet à Courchevel pour Monsieur). Naturellement, l'Etat prélève son écot au passage, parce que... c'est comme ça, il n'est pas obligé d'attendre que vous soyez mort pour se servir, après tout. Si le patrimoine commun est inexistant (un sofa Ikea et un frigo...),les époux peuvent se contenter d'une mention dans la convention de divorce précisant que les biens mobiliers ont déjà fait l'objet d'un partage amiable et qu'il n'y a pas lieu à liquidation. Un estimation du mobilier doit être fournie pour les services fiscaux, qui peuvent réclamer un droit d'enregistrement ; ce sera même systématique en cas de prestation compensatoire.
L'avocat n'a plus qu'à déposer la requête en deux exemplaires, signés par lui et par les époux, ainsi que deux exemplaires de la convention de divorce et l'état liquidatif notarié. Le juge aux affaires familiales, qui statue à juge unique, convoque les deux époux et l'avocat à l'audience de divorce.
L'audience a lieu dans son cabinet. Rien ne ressemble moins à une audience qu'une audience de divorce. Le juge ne porte pas la robe, et siégeant sans greffier en toute illégalité mais il n'y a qu'en fonctionnant illégalement que les tribunaux arrivent à tourner (Hé oui, on en est là), c'est lui-même qui va chercher les époux dans la salle d'attente. Il reçoit d'abord chacun des époux seuls, sans avocat, pour un bref entretien où il doit s'assurer que la décision est réfléchie, qu'aucune réconciliation n'est possible, et que le divorce n'est pas imposé à l'un des époux. En effet, au même titre qu'il faut consentir librement à son mariage, il faut consentir à son divorce par requête conjointe : comme le nom l'indique, les deux époux doivent être demandeurs.
Une fois les deux époux reçus en tête à tête, le juge les reçoit tous deux avec leur avocat, et, si son examen de la convention de divorce ne lui a pas révélé de problème (le juge doit, en vertu de la loi ,s'assurer d'une part qu'aucun époux n'est lésé par les modalités du divorce, qui, à l'instar du mariage, se fait entre personnes égales, et d'autre part s'assurer que l'intérêt des enfants, qui eux, ne sont pas représentés à la procédure, est respecté), prononcera le divorce et homologuera la convention, c'est à dire lui donnera la même force qu'un jugement. Si au contraire il n'est pas d'accord avec la convention, il y a deux possibilités.
Soit le changement qu'il estime nécessaire est mineur, et peut être apporté immédiatement, par rature ou ajout manuscrit paraphé par les parties, et les époux et l'avocat sont d'accord, et la modification est apportée immédiatement (je l'ai vu dans une convention que je n'avais pas rédigée, où l'avocat a cru pouvoir insérer une clause stipulant que la pension alimentaire n'était pas due pour le mois des vacances d'été ou le parent débiteur de la pension hébergeait l'enfant ; le JAF a fait ôter cette mention, la mensualisation de la pension étant faite dans l'intérêt du débiteur qui est lui-même payé mensuellement et non du créancier de la pension ; en outre, il y a des frais qui courent que l'enfant soit présent ou pas).
Soit le changement est majeur et ne recueille pas l'accord des parties, et le juge rejettera la requête en divorce. Les époux pourront en présenter une nouvelle une fois une solution trouvée, ou devront utiliser la voix contentieuse.
Cette audience est très rapide, d'autant que d'autres demandes attendent, et dépasse rarement les dix minutes, entretiens en tête à tête compris. On peut estimer que plus cette audience est courte, et plus cela démontre que l'avocat a bien fait son travail : une convention conforme à la loi et à la jurisprudence, équilibrée, et bien rédigée.
A la sortie du cabinet du juge, les époux sont divorcés, mais pas encore aux yeux des tiers. Il y a une formalité de publicité à accomplir, qui est effectuée par l'avocat : une copie certifiée conforme du jugement et de la convention sont envoyées à la mairie où le mariage a été célébré pour qu'il soit mentionné en marge de l'acte de mariage et en marge de l'acte de naissance des époux, seul moyen de pouvoir se marier à nouveau (il y en a qui ne se découragent jamais).
Ceci étant posé, la réforme envisagée viserait à confier au Notaire, qui doit déjà en principe dresser l'état liquidatif, la charge de rédiger aussi la convention de divorce, de lui donner force exécutoire, et d'effectuer les formalités de publicité et de communication au fisc. Les modalités exactes ne sont pas arrêtées.
En apparence, cela semble plus simple. Après tout, le notaire est par essence un rédacteur d'acte, et les notaires font ça très bien. De plus, il est de son rôle légal de recueillir des consentement éclairés. C'est même cela qui donne à ses actes, que l'on qualifie « d'authentiques » par opposition à « sous seing privé », leur force, qui est la même qu'un jugement, ou un constat d'huissier. Le Notaire est comme un poisson dans l'eau dans les rapports patrimoniaux et leurs conséquences fiscales. C'est son métier, et personne ne le fait mieux que lui (même si un avocat peut le faire aussi bien...).
De plus, c'est devant le notaire que l'on va pour le contrat de mariage. Pourquoi ne pourrait-il défaire ce qu'il a aidé à conclure ?
Plus économique, cela reste à voir. Les notaires sont eux aussi chefs d'entreprise, ils payent les mêmes charges que nous, et leurs employés ne sont pas bénévoles. Ce surcroît de travail (qui se compte en heures) fera l'objet d'un surcroît d'honoraires. Seuls ceux qui croient que les avocats se font grassement payer à ne pas faire grand chose dans un divorce par requête conjointe croiront à l'argument de l'économie et déchanteront rapidement.
D'autant que les notaires n'ont pas l'expérience du contentieux post-divorce (révision de la prestation compensatoire, de la pension alimentaire ou des modalités de la garde des enfants ; il concerne aussi ceux qui n'ont jamais été mariés) et ne l'auront jamais puisque leur métier n'est pas la représentation en justice. En la matière, ce sera du pilotage sans visibilité, ou alors ils consulteront un avocat pour cette partie de la convention, et l'avocat chassé par la porte rentre par la fenêtre.
De même, en ce qui concerne l'intérêt, personnel, pas patrimonial, des enfants, le notaire n'est pas compétent, de par sa formation et sa pratique, pour s'assurer de son respect. Ce n'est pas son métier, et je ne suis pas sûr qu'ils veuillent se mettre sur le dos cette nouvelle responsabilité.
Et quand il n'y a pas d'enfants, et que les époux ont des situations identiques, et des revenus équivalents ? Dans ce cas, oui, un divorce extra judiciaire est parfaitement envisageable. A votre avis, est-ce que cela recouvre la majorité des cas ? Pourtant, la loi ne distingue pas les procédures suivant les situations personnelles des époux.
Sur l'argument du contrat de mariage, il ne résiste pas à l'examen. Un contrat de mariage est une convention qui règle des rapports patrimoniaux futurs (le contrat de mariage est, à peine de nullité, antérieur au mariage), suspendus à l'existence d'un mariage. Ce n'est pas le notaire qui marie, de même que quand il liquide le patrimoine commun, il ne divorce pas les époux. En matière de régimes matrimoniaux, la liberté des époux, donc du notaire, est encadrée : les règles sont strictes et il n'existe que quatre régimes : la communauté universelle (tout ce qui est est à toi est à moi, tout ce qui est à moi est à toi), la séparation de bien (tout ce qui est à moi est à moi, tout ce qui est à toi est à toi), la communauté réduite aux acquêts (tout ce que nous acquerrons, sauf par héritage, sera à tous les deux), et la participation aux acquêts (il faut avoir une maîtrise de droit pour le comprendre, c'est le régime des juristes). Les époux ne peuvent apporter que des modifications à la marge (apporter des biens à la communauté, se faire des donations dans cet acte puisqu'il est notarié). Le notaire peut conseiller aux époux le régime le plus adéquat (déconseiller la communauté universelle si Monsieur veut travailler dans le capital-risque...), leur en expliquer le sens et rédiger un contrat qui sera un jeu d'enfant à liquider à la dissolution du mariage. Un époux peut refuser de signer le contrat, et s'il le faut de se marier. La conséquence est : il ne s'engage pas. Le divorce consiste à s'assurer que les époux sont profondément d'accord pour divorcer, qu'aucun n'est lésé par les modalités de la séparation, et que l'intérêt des enfants est aussi préservé. Si un époux n'est pas d'accord, il peut refuser de divorcer ; mais la conséquence est ici fort différente : s'il refuse de divorcer, il reste engagé. L'analogie avec le contrat de mariage ne tient donc pas et ne démontre pas la pertinence de l'idée.
Enfin, pour les divorcés en puissance, c'est une perte d'une sacrée sécurité, qui ne leur coûtait rien : l'intervention du juge. Tous les actes du divorce sont relus et corrigés, gratuitement (la procédure de divorce ne donnant lieu à perception d'aucun droit, frais ou taxe par le tribunal) par un magistrat spécialisé dans les affaires familiales. C'est quand même pas mal, comme garantie, non ? Quelle que soit la compétence de l'avocat, ou du notaire, un point de vue neutre, extérieur et compétent peut révéler des chausses-trappes qui auront échappé à la vigilance de l'avocat, parce que le magistrat aura déjà eu à trancher sur une difficulté identique. Outre cette correction gratuite, le juge est plus à même de s'assurer que l'intérêt des enfants est respecté, tout simplement parce que ce sont eux qui jugent les contentieux nés d'arrangements bancals pris dans l'intérêt des parents et non des enfants (nous voyons tous des parents vivant à plus de 100 km l'un de l'autre qui se sont mis d'accord pour une garde alternée une semaine chez l'un une semaine chez l'autre, ou vouloir une telle mesure parce qu'elle fait qu'il n'y a pas de pension alimentaire à payer, même si les enfants dormiront tous dans la même chambre chez un de leurs parents).
En fait, et c'est là l'aspect tragique de cette réforme, son seul intérêt est pour l'Etat : elle détourne des tribunaux une masse importante de dossiers (à mon sens uniquement provisoirement, le contentieux post-divorce va croître rapidement), libérant ainsi des moyens humains, afin d'éviter une fois de plus d'augmenter les moyens de la justice, mais de répartir un peu ces moyens pour camoufler plus la pénurie.
Bref, nous avons ici une fausse bonne idée, rendue séduisante par son aspect de sanction d'une profession un peu trop rebelle actuellement. Taper sur les avocats est toujours populaire.
Je ne suis pas sûr pour autant que ce soit le signe d'une République vertueuse.