Billet de Gascogne, magistrat, et invité permanent de ce blog
Y'a des jours comme ça...
Me voilà dans les rues de ma ville, enrobé comme jamais, traînant mes guêtres de serviteur de la République au milieu d'une nuée d'avocats tout autant enrobés que moi, à aller déverser notre fumier...Euh, non, notre mécontentement, devant la préfecture de mon si riant département. Il fait gris, la fumée sort plus de nos bouches que les slogans, et j'ai froid aux pieds. Bref, tout va bien.
Un copain m'aperçoit de la fenêtre de son bureau et se rue sur son téléphone portable : "Mais qu'est-ce que tu fous là, à faire le trottoir habillé en robe ?".
"Ben, ch'crois que je suis en grêve...En fait, non, je pense que je me mobilise contre la réforme de la carte judiciaire. Enfin, non...Pas contre...Je suis pour...Enfin, pas comme ça, quoi..."
Le copain a déjà raccroché, plaignant mon surmenage. En même temps, il n'y connaît rien, à la justice (il travaille avec le troisième âge). Et puis lui expliquer que m'est interdite toute action concertée visant à entraver le fonctionnement des juridictions, ça demanderait un temps que la faiblesse de ma batterie de téléphone ne me permet pas d'envisager.
Je soutiens le mouvement des avocats. Contre le mépris des politiques, contre une réforme bâclée et rédigée d'avance, sans aucune logique ni moyens. C'est vrai qu'on se répète un peu, sur les moyens. Mais les 900 millions d'Euros pour mettre en place la réforme, ils vont les trouver où ? Une bonne partie des fonds est déjà engagée dans le nouveau traitement du président de la République...Il va encore falloir que nous économisions les post-its (un greffier en chef m'avait déjà dit de les couper en trois, je crois qu'il va falloir que je passe à six).
Et pour les regroupements dans les juridictions, on les met où, les collègues et les greffiers, sur nos genoux ? Pour certains, je veux bien, mais je veux avoir le droit de choisir...
Nous voilà devant l'antre de la République. Un gentil secrétaire général accepte de nous recevoir, avocats, élus, fonctionnaires, magistrats. Il nous écoute bien gentiment, prend des notes, oscille de la tête comme le premier de la classe qu'il a nécessairement dû être. On se sent utile, écouté, sous les dorures de la République.
Quand tout le monde s'est exprimé, il nous dit qu'il nous remercie vraiment beaucoup, que c'est très gentil d'être passé, qu'il va faire remonter toutes les informations au plus haut niveau.
Et il ajoute qu'en tout état de cause, les arguments développés ainsi que la motion présentée par les avocats ont déjà été communiqués précédemment au ministère. J'ai enfin compris ce que voulait dire "pisser dans un violon".
Voilà comment vous casser le moral pour le reste de la journée.
Moi qui me disais que ce genre de manifestations (très peu fréquentes, est-il besoin de le préciser) rapprochait deux corps de métiers qui parfois se regardent en chiens de faïence, avocats et magistrats ayant par moment des points de vue difficilement conciliables. Je me disais que s'il y avait parfois divergence, c'était de cette opposition nécessaire des points de vue que naissait l'équilibre. Mais voilà que j'ai entendu par la rumeur publique parler de collègues qui se faisaient héberger par des avocats, et qui en profitaient pour refaire la déco de leur chambre.
De quoi perturber ma vision des choses. Où va la justice de mon pays...Ca m'déprime, tiens...