Par Dadouche
Le maître des lieux m’ayant filé un double des clés pour arroser les plantes en son absence en échange d’une chambre d’ami, je débarque avec mes petites affaires.
Si vous lisez ce billet, c’est que j’ai bien compris les instructions et que je ne suis pas restée coincée à la porte. C’est déjà ça.
Le plus dur reste à venir : trouver un sujet...
La carte judiciaire, ça, c’est bon, c’est fait, même si on en reparlera forcément.
Les moyens de la justice, c’est un peu comme la pub dans la boîte au lettres : on en parle tellement, à chaque détour de billet, que personne n’y fait plus attention.
Le droit des étrangers, j’y connais rien, le traité constitutionnel européen, pas beaucoup plus. Et puis j’aurais l’impression de squatter la chambre à coucher.
Qu’est ce que je connais mieux qu’Eolas ? Au fur et à mesure que je lis ses billets, ça se réduit comme peau de chagrin.
Si, il y a quand même un truc : l’envers du décor judiciaire, celui dont les avocats n’ont qu’un aperçu.
Voilà, c’est avec ça que je vais décorer la chambre d’ami : les coulisses de la justice en province.
J’ai déjà quelques bibelots, posés ça et là dans ce blog au fil des commentaires : les affres du JLD, la journée d’un substitut, le délibéré d’assises ou encore les joies de l’assistance éducative et de l’audience Muscadet (n’ayant pas encore trouvé le placard des produits d’entretien, je suis bien incapable de mettre les liens qui vont bien ça y est j'ai trouvé, j'espère que je n'ai pas laissé de miettes partout).
Il n'y a plus qu'à meubler autour...
Mon armoire normande, ça pourrait être le point commun à tout ça : le greffier.
Parce qu'un magistrat sans greffier, c’est Actarus sans Goldorak, Harry sans Ron et Hermione, Philémon sans Baucis, le yin sans le yang ou l’Auvergne sans Saint Nectaire : rien du tout.
Le greffe d’un tribunal comprend des greffiers (catégorie B) et des agents (catégorie C), sous l’autorité du greffier en chef (catégorie A). Le Livre huitième de la partie réglementaire du Code de l’Organisation Judiciaire leur est consacrée.
Leur rôle est ainsi défini : les greffiers en chef et les greffiers “assistent les magistrats à l’audience et dans tous les cas prévus par la loi”. Les agents peuvent également tenir ce rôle en “faisant fonction” de greffier en prêtant serment (mais pour pas un rond de plus...).
Au delà de cette fiche de poste un peu sèche, le personnel de greffe est l’âme d’un tribunal.
N’importe quel avocat vous le dira : entre le juge et le greffier, choisissez toujours le greffier. Les juges passent mais les greffiers restent et ils peuvent singulièrement faciliter ou compliquer la vie d’un auxiliaire de justice selon son attitude avec le personnel de greffe.
Les avocats les plus malins sont ceux qui se ruinent en ballotins de chocolat au moment des fêtes pour les distribuer dans les services du tribunal.
L'accueil des justiciables est réalisé par le personnel de greffe, au standard téléphonique ou au Guichet Universel de Greffe (GUG).
Au Parquet, le secrétariat-greffe enregistre toutes les procédures qui arrivent au bureau d’ordre et les font parvenir aux magistrats, puis assurent l’intendance des décisions prises.
Un classement sans suite ? On sort le courrier d’avis à la victime.
Une citation devant le tribunal correctionnel ? On audience le dossier en faisant parvenir la citation à l’huissier et on met le dossier en état (demande de casier judiciaire, avis à la victime etc...)
Une audience correctionnelle ? On assiste à l’audience où l’on prend les notes qui feront foi sur son déroulement, on met en forme le jugement et on le fait signifier si besoin est, avant d’assurer la transmission au casier judiciaire, à la maison d’arrêt, au JAP, au Trésor Public, bref, à tous ceux qui concourent à l’exécution de la décision ou doivent en être informés.
Une session d’Assises ? Il faut convoquer les jurés, les chouchouter, convoquer les experts et les témoins, prendre en charge les mémoires de frais de tout ce petit monde, veiller à éviter la moindre nullité de procédure.
Dans les procédures civiles, le secrétariat-greffe tient le répertoire général des affaires dont la juridiction est saisie et verse au dossier tous les documents relatifs à l’affaire.
Un certain nombre d’avis sont également délivrés, ainsi que les convocations des parties dans certaines matières.
Le greffier assiste à l’audience puis assure la mise en forme du jugement tel qu’il a été motivé par le juge ainsi que la délivrance des copies des décisions et la transmission des dossiers d’appel.
Dans les fonctions de cabinet (juge des enfants, juge d’instruction, juge d’application des peines, juge des tutelles) où on “gère” des stocks de dossiers plutôt que des flux, le couple juge/greffier est la pierre angulaire du système. Contrairement au service pénal ou civil, le juge et le greffier ont souvent des bureaux mitoyens (et généralement communicants) et travaillent main dans la main toute la journée.
Le greffier adresse toutes les convocations, assiste à l’audience (enfin en principe, parce que chez le juge des enfants, ce n’est pas toujours le cas), met en forme les jugements et ordonnances, délivre les copies de dossier aux avocats.
Le greffier d’instruction est le garant de la fidélité du procès verbal, le greffier du juge des enfants est la courroie de transmission indispensable avec les familles et les services éducatifs, le greffier du JAP est en relation fréquente avec l’établissement pénitentiaire et le service pénitentiaire d’insertion et de probation, le greffier des tutelles reçoit souvent la visite impromptue de majeurs protégés qui viennent râler contre leur tuteur ou curateur.
Si le courant ne passe pas entre les deux membres du couple, la cohabitation est douloureuse et le fonctionnement du cabinet peut être altéré.
Les greffiers sont en première ligne, souvent le rempart du juge contre les justiciables qui veulent débarquer dans le bureau, les avocats extérieurs qui veulent “dire un mot au juge” pour le sonder avant l’interrogatoire, les officiers de police judiciaires qui attendent la prolongation de commission rogatoire qui est restée sous la pile.
Il faut rappeler que c’est une greffière du TGI de Rouen qui a été brûlée par une justiciable furieuse d’un refus de modification du contrôle judiciaire et qu’ils sont plus généralement les victimes immédiates du mécontentement des justiciables.
On comprend qu'une formation de gestion des "publics difficiles" leur soit fréquemment proposée...
Et quel soulagement, après un interrogatoire tendu, une audience de placement difficile, une reconstitution sous la pluie toute une journée, un procès d’Assises sur plusieurs jours, un débat devant le juge des libertés et de la détention qui se termine à 23 heures, de pouvoir échanger avec quelqu’un qui l’a vécu à côté de vous.
Pour avoir travaillé pendant 5 ans avec une greffière d’instruction exceptionnelle dotée d’un sens de l’humour à toute épreuve et avoir la chance encore aujourd’hui d’avoir à mes côtés une greffière de juge des enfants expérimentée qui materne “sa” juge et a l'art d'apaiser les familles les plus vindicatives, je mesure tout ce que le personnel du greffe peut apporter à l’oeuvre de justice.
Pourtant, les délais de traitement des procédures et les conditions d’accueil du public se dégradent, notamment parce que les secrétariat-greffes souffrent d’un sous-effectif chronique (revoilà la pub dans la boîte aux lettres).
Selon l’annuaire statistique de la Justice 2006, il y avait en 2005 environ 22000 fonctionnaires et contractuels des services judiciaires (ce qui comprend aussi les agents de service techniques, les concierges, les chauffeurs etc...), dont 10000 greffiers et greffiers en chef, pour 7500 magistrats. Enfin, ce sont les effectifs budgétaires, qui ne sont pas tous pourvus.
De nombreuses juridictions ne “tournent” que grâce au dévouement des fonctionnaires, qui assument, comme les magistrats, de plus en plus de tâches.
Exemple : la loi Perben (je ne sais plus le numéro, j'ai perdu le fil) prévoit la délivrance d’un avis à victime pour toutes les procédures classées sans suite au motif “auteur inconnu”. Compte tenu du taux d’élucidation des procédures, cela a représente en 2004 3.300.000 procédures sur les 5.400.000 enregistrées dans les parquets français. Le même nombre de greffiers est donc censé envoyer plus de 3 millions de courriers-type en plus. Etant donné que certains greffes ne parviennent même pas à enregistrer les procédures dont l’auteur reste inconnu, je vous laisse imaginer comment la nouvelle loi va être appliquée.
Et encore, les magistrats font de plus en plus eux-mêmes des tâches en principe dévolues aux greffiers, qui eux mêmes sont contraint d’abandonner souvent leur rôle de garant de la procédure pour un travail de secrétariat auquel les agents ne suffisent plus depuis longtemps.
Je profite donc de l'emménagement dans ma chambre d’ami pour ce coup de chapeau à ceux qu’on entend assez peu, et qui seront les plus gravement touchés par la réforme de la carte judiciaire (et on a pas fini d’en parler de celle-là).
A Moulins, ce sont des avocats et une greffière qui se sont mis en grève de la faim...
Spéciale dédicace à mon Goldorak de l’instruction et ma Baucis du tribunal pour enfants.